Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 18

Ce matin, j’ai l’impression d’avoir une g.ueule de bois. J’ai l’esprit dans le brouillard et j’ai du mal à croire que la soirée de la veille s’est réellement produite.
J’ai fait un rêve étrange. J’étais au restaurant avec Sven, il a mis un genou à terre pour me demander en mariage et j’ai dit oui. Une situation complètement folle.
Puis je regarde ma main, je vois la bague. Un œil sur mon téléphone avec un message énamouré de Sven. Mon cœur se serre, je me souviens. Ce n’était pas un rêve, mais bien la réalité.
Me voilà fiancée à Sven. Je m’assois sur le bord du lit et je me prends ma tête entre mes mains. Les souvenirs de la veille me reviennent et je me rappelle de la joie et l’empressement de Sven à propos du mariage. Il a hâte que nous soyons réuni, que nous formions notre famille. Il a proposé de nous marier au printemps prochain. La tête ailleurs, j’ai dit oui. Le printemps, c’est bientôt, ça va arriver vite, avant que j’ai le temps de souffler. Le départ pour la Suède sera prévue peu de temps après. Ce qui laisse, très peu de temps pour tout organiser.
Mais qu’est-ce que j’ai fait…

Je me sens perdue. Deux jours se sont passés et je n’ai toujours rien dit à personne. J’ai l’impression d’errer, d’avancer sans vraiment m’impliquer dans la réalité. Quand Sven m’appelle, je dis amen à tout ce qu’il dit pour ne pas le vexer. J’ai la tête ailleurs et je n’ai absolument rien d’une jeune femme qui s’apprête à se marier.
Aujourd’hui, il fait un froid glacial dehors et je profite du feu de cheminée pour me réchauffer. Mon regard se perd dans les flammes tandis que mon esprit s’évade ailleurs. Je me pose tellement de questions quant à mon avenir… Ai-je vraiment envie de partir vivre en Suède ? Ai-je vraiment envie d’épouser Sven ? Je n’en ai aucune idée… Ma seule certitude est que cela permettrait d’offrir une famille à ma fille, notre fille… Qui pourrait enfin vivre avec son père.

Tout va bien ma grande ? Me demande subitement mon père, me faisant sursauter. Je ne l’ai pas entendu s’approcher de moi.
-Oui, tout va bien Papa… Lui soufflé-je en réponse, loin d’être convaincante.
-Tu es sûre ? N’est évidemment pas dupe Papa. Rosie, je vois bien que quelque chose te tracasse. Ca fait deux jours que tu as la tête ailleurs…. Cela m’inquiète tu sais. M’avoue-t-il finalement, ce qui me serre le cœur. Papa se fait déjà suffisamment de soucis comme ça pour moi et Joy, et j’ai bien conscience que je lui en rajoute une couche. Me murer dans le silence ne fera qu’accentuer ses inquiétudes et je n’ai pas envie de lui causer davantage de soucis. Il n’a pas besoin de ça…

-Ce sont mes problèmes Papa, je n’ai pas envie de t’embêter avec mes bêtises. Lui soupiré-je en me tournant vers lui, essayant de gagner du temps. J’ignore comment il va réagir à l’annonce de mon mariage. J’ai peur d’être une énième déception pour lui… J’aimerais tellement rendre mon père fier, mais j’ai l’impression de faire tout l’inverse….
-Tu ne m’embêtes pas ma puce. Et tu sais bien que tu peux tout me dire. Tente-t-il de me rassurer en m’offrant un sourire tendre. Je suis ton père, c’est mon rôle d’être à ton écoute quand quelque chose te tracasse.
-J’ai peur de te décevoir …
-Tu ne me décevras ma puce, je te le garantis. Mais que se passe-t-il, Rosie?
-Sven m’a demandé de l’épouser et de partir vivre avec lui et avec Joy… Et… j’ai dit oui. Lui annoncé-je, hésitante, terrifiée par la réaction de mon père.

-Pardon ?! S’exclame-t-il, surpris, me jetant un regard choqué, comme s’il ne me croyait pas. Mais, depuis quand ?
-Il m’a demandé il y a deux jours, quand nous sommes sortis au restaurant… Lui dis-je, honteuse, ayant le sentiment d’avoir fait une bêtise. Je suis comme une enfant prise en faute, attendant de se faire gronder par son père en colère.
Mais un silence s’installe entre nous. Papa m’observe sans rien dire, comme s’il essayait d’assimiler l’information. Je le vois secouer subitement la tête.

-Mais… C’est ce que tu veux ? C’est prévu pour quand ?
-Au printemps… C’est prévu pour le printemps… Lui réponds-je, en omettant volontairement sa première question. Je soupire finalement devant son regard suspicieux, et je finis par m’asseoir sur le canapé. Il me rejoint, s’installant sur le fauteuil.

-Tu m’en veux ? M’inquiété-je alors, face à son silence.
-Bien sûr que non ! Me rassure-t-il aussitôt, choqué que je puisse penser cela. Je suis simplement surpris… et inquiet. Tout va si vite et je me demande si ce mariage, c’est vraiment ce que tu veux. D’autant plus que tu as attendu deux jours pour m’en parler… Je ne veux que ton bonheur, Rosie. Si te marier avec Sven te rend heureuse, alors je suis ravi pour toi et je te soutiens sans problème. Mais, je t’avoue que ton attitude me laisse penser le contraire.
-C’est que… Que je suis complètement perdue, Papa.
-Alors, pourquoi tu as accepté de l’épouser ? Si ce jeune homme est quelqu’un de bien, qui t’aime vraiment, il aurait compris que tu ais besoin de réfléchir…
-J’ai surtout pensé à Joy, pour tout t’avouer. Lui expliqué-je alors, avec plus d’assurance. Elle a besoin de son père, et la situation est difficile pour elle… Épouser Sven, et partir vivre avec lui en Suède, nous permettrait de former une famille …
-C’est tout à ton honneur, de penser à ta fille … Mais toi ? Est-ce que tu as envie de partir vivre en Suède ? Et rien ne t’oblige à épouser Sven toute suite, tu peux partir et attendre … Ou l’inverse. M’interroge Papa, dans l’incompréhension face à la situation qui se présente à nous.

-Le mariage… C’est plus simple d’un point de vue migratoire. Soupiré-je, dépitée. Joy peut vivre en Suède sans problème puisqu’elle est la fille de Sven, mais moi… Et Sven a une place en or dans une maison d’édition et tu sais aussi bien que moi que l’édition est un milieu bouché. C’est très difficile de trouver du travail dans une maison d’édition… Alors que l’associatif… C’est plus simple que ce soit moi qui parte plutôt que lui. Finis-je de lui expliquer, consciente des enjeux. J’ai passé deux jours à retourner la situation dans ma tête, ne trouvant aucune autre solution. Je n’ai pas le choix : en épousant Sven, je serai obligée de tout quitter. Y compris mon travail et mon père.
-Tu sembles bien renseignée… Alors, pourquoi es-tu si perdue ?
-Je… Je suis perdue dans ce que je ressens Papa… Et… Et Sven semble avoir tellement de rêves, de projets, pour nous… Je t’avoue que cela me fait un peu peur … Il veut même d’autres enfants…
-Tu ne lui as pas dit que tu es devenue stérile à la naissance de Joy ? Semble surpris mon père, alors que je me mords la lèvre inférieur.
-Je… Je n’ai pas osé… j’ai eu peur… Je sais pas… de le décevoir…. Je l’ai déjà privé des premières années de sa fille… Alors, lui dire qu’il n’aura pas l’occasion de connaitre ça… Je suis déjà perturbée par ce mariage, c’est au-dessus de mes forces d’affronter cette déception pour le moment.
-Il faudra bien que tu lui dises, à un moment donné. Me signale-t-il en secouant la tête.
Je sais bien… Admis-je dans un murmure. J’ai peur de te laisser seul, ici… Avoué-je d’une petite voix. J’ai l’impression de t’abandonner.
-Oh ma puce… Semble-t-il touché par mon aveu. Je ne veux pas entrer en ligne de compte dans ta décision. Je ne veux surtout pas être un poids pour toi. C’est dans l’ordre des choses que tu quittes la maison et que tu vives ta propre vie. Je ne veux pas que tu renonces au bonheur juste pour t’occuper de moi. Si cela peut te rassurer, si tu pars en Suède avec Joy, je partirai probablement à Brindleton Bay pour me rapprocher de ton frère. Donc tu vois, je ne serai pas tout seul. La seule chose dont je veux être sûr, c’est que tu sois certaine de ton choix.
-Je… Je crois que je le suis, Papa. C’est ce qu’il y a de mieux pour tout le monde…… Que j’épouse Sven et qu’on aille vivre avec lui, avec Joy, en Suède…
-QUOI ?! S’écrie subitement une voix enfantine, nous faisant sursauter avec Papa.

Je me retourne aussitôt et je blanchis à vue d’œil en voyant ma fille. Je ne l’ai pas entendu descendre les escaliers pour nous rejoindre au salon. Je me sens terriblement mal, réalisant qu’elle a entendu notre conversation. Qu’elle a appris de la plus mauvaise des manières notre départ pour la Suède, et notre mariage avec son père. Et, au vue des éclairs qu’elle me lance, la nouvelle est loin de lui plaire.
-Ma chérie… Soufflé-je, mal à l’aise, ne sachant pas quoi lui dire. Je n’ai absolument pas réfléchi à la manière de lui annoncer cela, et encore moins dans un tel contexte.
-Maman, c’est pas vrai qu’on va partir en Suède ? M’interroge-t-elle, les yeux plein d’espoir. C’est pas vrai, hein ? Et que tu vas épouser Papa ?
-Ma chérie… Si, c’est la vérité …
-Et Papy ?
-Sa vie est ici ma puce. Lui réponds-je, au comble du malaise. La conversation est sur une pente glissante, très glissante, dans un équilibre plus que précaire.
-La nôtre aussi ! Je ne veux pas partir en Suède ! Se met-elle à crier, en colère. Je suis assez décontenancée. Je ne l’ai jamais vu aussi énervée, elle qui d’habitude, est si calme…

-Joy, chérie, ne t’énerve pas comme ça. Tu n’es pas contente que nous formions une famille, avec ton père ? Tenté-je de comprendre, lui parlant avec une voix calme. Je me lève doucement du canapé, pour ensuite m’avancer vers elle. J’avance doucement, comme si je m’apprêtais à désamorcer une bombe.
-Non ! Moi, je veux rester avec Papy ! Refuse-t-elle aussitôt avec véhémence. Ses yeux bleus reflètent sa colère et me fixent avec hargne.
-Ca, Joy, ça ne va pas être possible. Après le mariage, nous allons partir toutes les deux. Ta place est avec tes parents… Et tu seras avec ton papa, tu n’auras plus à parler avec lui sur Skype.
-Je m’en fiche de ça ! Je préfère parler avec lui sur l’ordinateur que de quitter Papy ! Je veux rester avec Papy ! Je m’en fiche de Papa ! Et tu peux pas me forcer à partir d’ici !

-Ca suffit maintenant, Joy ! Commencé-je à perdre patience face à la crise de ma fille. Je suis ta mère et tu me parles sur un autre ton !
-T’es pas une maman ! T’es jamais là et tu t’occupes jamais de moi ! Réplique Joy, toujours plus en colère, me balançant ses mots comme elle lancerait des poignarts en plein cœur. J’en hoquette de douleur. Il n’y a que Papy qui m’aime ici ! C’est de ta faute si j’ai jamais eu de Papa d’abord ! Maintenant c’est trop tard, j’en veux pas ! Je veux rester avec Papy ! Vous, vous êtes nuls !
-Joy, tu vas trop loin. Va dans ta chambre et tu n’en sortiras pas jusqu’à nouvel ordre ! M’énervé-je à mon tour, blessée par les mots de ma fille. Mais comme on dit, il n’y a que la vérité qui blesse…
-Je te déteste !! Crie-t-elle une ultime fois, avant de monter les escaliers en courant. Quelques secondes plus tard, j’entends la porte de sa chambre claquer avec violence.
Dépitée, au bord des larmes, je me laisse tomber sur une chaise. Je suis sonnée par cette dispute virulente et je suis profondément triste. Malgré notre relation qui est loin d’être parfaite, jamais nous nous sommes disputées ainsi avec Joy. Elle qui est si calme et si douce, n’a jamais été haineuse à mon égard.
-Ne t’inquiète pas, Joy ne pensait pas ce qu’elle disait. Elle a parlé sur le coup de la colère. Tente me rassurer mon père, qui a assisté à la scène, impuissant. Il s’approche de moi et pose sa main sur mon épaule pour me soutenir.
-Je ne sais pas… Il y a du vrai dans ce qu’elle a dit. Je suis une mère épouvantable et c’est de ma faute si elle n’a pas connu son père plus tôt. Soupiré-je, dépassée par la situation. Et maintenant, grâce à moi, on vient de se fâcher.
-C’est une enfant, Rosie, elle fait des colères, c’est normal. Elle est frustrée car la situation ne lui convient pas et elle s’énerve. On va attendre quelques minutes qu’elle se calme, et j’irai lui parler. D’accord ? Me propose-t-il ensuite, avant de me prendre dans ses bras pour me consoler. Incapable de répondre, j’hoche simplement la tête, profitant de l’étreinte rassurante de mon père.

Quelques minutes plus tard, Papa se rend à l’étage pour rejoindre Joy dans sa chambre. Je le suis également, mais je reste sur le palier. Je me contenterai d’écouter la conversation au travers de la porte. Papa toque doucement à la porte, mais il n’obtient aucune réponse. Il entre tout de même à l’intérieur, et il s’installe sur la banquette au pied du lit. Joy est allongée sur son lit, boudant dans son coin, mais ne réagit pas à l’arrivée de son grand-père dans la pièce.
-Comment tu te sens, Joy ? Finit-il par lui demander, sachant qu’elle ne lui parlera pas d’elle-même.
-Je veux être tranquille, Papy. Finit-elle par soupirer après un silence. Le ton de sa voix montre que la colère est maintenant retombée.
-Tu n’as pas été très gentille avec ta maman, tout à l’heure. Lui signale-t-il avec calme. Elle est triste, après votre dispute.
-Mais elle veut me forcer à vivre en Suède. Se défend-t-elle, sans bouger d’un pouce.

-Parce que tu es sa fille, et qu’elle veut ton bonheur. Me défend-t-il, sans perdre sa patience. Il est d’un calme olympien, je l’envie de parvenir à rester ainsi. Ta place est auprès d’elle, et elle juge que tu as besoin de vivre également avec ton père.
-Elle n’a jamais été là pour moi. Il n’y a que toi et Mamie qui vous êtes occupés de moi.
-C’était difficile pour elle, à l’époque. Tu sais, elle venait d’avoir 18 ans quand elle est tombée enceinte, et ton père venait de la quitter. Et ta naissance a été compliquée à vivre pour elle.
-Comment ça ? Semble-t-elle intriguée, en redressant la tête pour regarder son grand-père.
-Il y a eu des complications, au moment de ta naissance. Lui explique-t-il en faisant attention à utiliser des mots simples, afin que Joy puisse comprendre. Pour la sauver, et pour te sauver toi, le médecin a du prendre une importante décision. Et aujourd’hui, ta mère ne peut plus avoir d’enfant. Cette nouvelle a été une goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et elle a perdu pied. Il a fallu qu’elle prenne le temps de se reconstruire, avant qu’elle puisse s’occuper de toi. Tu comprends ?
-Oui… Je crois. Bredouille-t-elle en s’asseyant sur le bord du lit. Mais je n’ai pas envie de vivre en Suède. Je veux rester avec toi.

Son grand-père n’attend pas une seconde pour quitter la banquette et aller s’asseoir à côté de sa petite-fille. Touchée par l’amour qu’elle lui porte, il ne tarde pas à la prendre dans ses bras et la serrer contre lui.
-Ca me fait plaisir que tu veuilles rester avec moi, ma puce. Lui avoue-t-il alors. Mais ta place est auprès de ta mère. C’est peut-être dur à envisager pour toi, mais je ne suis pas éternel. Un jour, j’irai rejoindre Mamie au ciel et là, tu auras besoin de tes parents.
-Je veux pas que tu ailles au ciel, moi. Marmonne Joy d’une petite voix.
-Oh je ne suis pas pressé, mais cela finira par arriver. La vie est ainsi ma puce. Mais je ne veux pas que tu t’en fasses pour moi. C’est juste pour que tu comprennes pourquoi tu vas partir avec ta mère.

C’est pas juste. Pourquoi c’est pas Papa qui vient vivre ici ? Soupire alors Joy.
-C’est compliqué ma puce, ce sont des histoires d’adultes. Mais ce n’est pas parce que vous êtes en Suède que nous nous verrons plus. Vous pourrez revenir ici pour les vacances et je viendrai vous voir aussi.
-Tu promets ?
-Promis juré. Je vous aime trop pour me passer de vous.
-Papy ? L’interpelle-t-elle d’une petite voix, après un silence où elle est restée dans ses bras.
-Oui Joy ?
-C’est pas vrai ce que j’ai dit à Maman. C’est ma maman et je la déteste pas.
-Je sais ma puce. Mais il va falloir que tu ailles t’excuser car tu as fait du mal à ta maman. Il faut toujours faire attention avec les mots, ils peuvent blesser bien plus que les coups.
-Tu crois qu’elle me pardonnera ?
-J’en suis sûr. Une maman, ça pardonne toujours.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 17

Après la fête de Noël, le temps reprend doucement son cours. Joy n’a pas quitté son kit d’apprentis chimiste et s’amuse à montrer les résultats de ses expériences à son grand-père. Cela amuse Papa de la voir ainsi, et je pense qu’elle doit lui rappeler Maman. C’était pas rare qu’elle nous parle de ses expériences à son travail, et il est vrai que l’on retrouve la même passion dans le son de sa voix.
Aujourd’hui, Joy fait d’ailleurs ses premiers pas à l’école. J’ai une boule au ventre en la voyant partir ce matin. Elle lève les yeux au ciel face à mes recommandations et elle part en vitesse. Lorsque je rejoins Papa sur le canapé, je remarque sans peine son air amusé.

-Qu’est-ce qui t’amuse au juste ?
-Toi, on dirait une mère poule. Me répond-t-il en souriant. Et puis, tu étais comme elle à son âge. Mais pas pour les mêmes raisons.
-Comment ça ?
-Toi, tu voulais aller à l’école pour te faire des amis alors que Joy veut apprendre de nouvelles choses. Me précise-t-il.
-Sans doute …. J’espère juste que tout va bien se passer pour elle ….
-Pourquoi voudrais-tu que cela se passe mal ?

-Parce que les enfants ne sont pas forcément tendres entre eux, surtout envers ceux qui sont différents… Soupiré-je, inquiète pour ma fille. Ma fibre maternelle laisse peut-être à désirer, mais j’ai tout de même envie de protéger Joy. Imaginer que des enfants puissent se moquer d’elle à cause de mes erreurs me retourne l’estomac.
-Tu n’as pas à t’en vouloir, tu sais. Comprend aisément mon père. Tu n’as pas choisi cette situation et tu ne peux pas contrôler ce qui va se passer à l’école. Mais… dis-toi que Joy ne se retrouvera pas dans une situation délicate, comme une enfant qui ne connaîtrait pas son père. Si l’instituteur demande qui sont ses parents, Joy saura répondre. A priori, les autres enfants ne remarqueront pas toute suite que notre situation familiale diffèrent de la leur. Et d’ici là, elle se sera fait des amis et elle ne sera pas toute seule en cas d’éventuelles moqueries.
-Tu as peut-être raison … Soufflé-je alors que la sonnette de la porte d’entrée se fait entendre.
-Ah, ça doit être ton frère. Il devait passer. M’informe mon père en se levant du canapé, tandis que je me pers dans mes pensées.
J’essaie de me dire que mon père n’a sans doute pas tort. Mais, je ne saurais l’expliquer, l’inquiétude subsiste en moi, comme si j’avais un mauvais pressentiment. Je me mets à regarder le plafond, priant pour que cette première journée d’école se passe à merveilles pour ma fille.

Papa passe un moment à discuter avec Ryan, tandis que je pars vaquer à mes occupations. Bien que la période des fêtes de fin d’années est plutôt tranquille, j’ai plusieurs événements à préparer pour la nouvelle année. Je suis même sortie faire un tour, espérant trouver l’inspiration pour trouver des thématiques afin d’attirer du monde et de susciter des dons.
A mon retour, Ryan est toujours là, et j’en profite pour passer un peu de temps avec lui.
-Enfin tu sors de ta cachette ! S’en amuse-t-il alors que je m’installe à côté de lui sur le canapé.
-Y’en a qui bosse, que veux-tu ! Tu devrais essayer ! M’empressé-je de répliquer sur le ton de la taquinerie.
-Papa m’a dit que tu t’inquiètes pour l’entrée à l’école de Joy. Ca va aller ?
-Je n’ai pas trop le choix… J’ai hâte qu’elle rentre pour être sûre que tout s’est bien passé. Lui avoué-je alors.
-Ca va aller, j’en suis sûr. Et estime-toi heureuse, tu n’as qu’une fille. Imagine-nous, avec trois enfants qui entrent en même temps à l’école !
-Oui, mais au moins, tes triplés pouvaient compter les uns sur les autres.
-C’est pas faux. Mais Joy a de la ressource, ça compte pour trois !

Après une journée à m’inquiéter pour elle, Joy finit par rentrer de l’école. Sans attendre, elle ouvre son cahier et s’installe à table pour commencer ses devoirs. Elle est concentrée sur ce qu’elle fait, et ne semble pas particulièrement perturbée. Curieuse, et ayant besoin d’être rassurée, je m’installe avec elle à table.
-Ca s’est bien passé aujourd’hui ? Lui demandé-je alors, sans passer par quatre chemins.
-Oui ça a été. Me répond-t-elle simplement, concentrée sur ses exercices.
-Tu… t’es faite des amis ?
-Pas vraiment, non. Me dit-elle en haussant les épaules avec nonchalance. Ils voulaient tous jouer dehors à la neige. J’aime pas le froid, j’ai préféré la bibliothèque. Il y a beaucoup de livres dedans, c’est fou ! Et la bibliothécaire est super gentille, elle m’a dit que je pouvais venir quand je voulais et qu’elle pourrait me conseiller des livres !
-Ah … Euh, c’est chouette … Soufflé-je, ne sachant pas tellement quoi penser des réponses de ma fille. D’un côté, elle ne semble pas avoir passé une mauvaise journée mais de l’autre, j’aimerais qu’elle puisse se faire des amis. Mais les autres enfants ont été gentils avec toi ?
-Bah… Oui mais ils voulaient que jouer, moi je voulais lire au chaud. Mais c’est pas leur truc. Mais je m’en fiche, ils font ce qu’ils veulent.
-Mais, c’est important d’avoir des amis, tu sais….
-Mais je vais aller jouer avec eux si j’ai pas envie de jouer au ballon. Marmonne-t-elle en secouant la tête. Et Maman, j’ai des devoirs à faire. Ca m’intéresse, j’ai envie d’apprendre plein de trucs !
-Bon, je te laisse tranquille alors… Soupiré-je avant de me lever de table pour la laisser travailler, perplexe suite à cette discussion.
Je ne sais pas tellement quoi en penser, puis je tente de me raisonner en me rappelant que ce n’était que son premier jour à l’école. Puis, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le prends aussitôt pour regarder qui m’a envoyé un message, constatant aussitôt qu’il s’agit de Sven.
-Joy, ma puce, ton père souhaite te parler tout à l’heure. L’informé-je alors. Quand tu auras fini tes devoirs, tu pourras aller sur Skype discuter avec lui.
-C’est obligé ? J’ai commencé un livre et j’aimerai le finir. Soupire-t-elle alors.
-Oui ma puce. Il veut savoir comment s’est passé ta première journée d’école.
-Bon, d’accord.

Bon gré mal gré, Joy consent à aller dans le bureau, discuter un peu avec son père par internet. Depuis qu’il est rentré en Suède et que Joy est au courant qu’il est son père, il demande régulièrement à parler avec elle sur Skype, afin de pouvoir faire sa connaissance et être présent dans la vie de sa fille. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien. De toute façon, nous n’avons pas de meilleures solutions.
Au début, Joy était plus motivée à parler avec son père, mais très vite, elle s’est lassée de ses discussions. Alors qu’elle acceptait volontiers de parler avec Sven au départ, maintenant, j’ai plus l’impression qu’elle lui parle parce qu’elle est obligée. Cela me sert le cœur, car je ne comprends pas pourquoi elle réagit ainsi. J’ai essayé de lui en parler, mais sans succès. Elle assure que tout va bien et que je me fais des idées.
-Oui Papa, ça a été ma journée… Assure-t-elle à son père, après qu’il lui ait demandé si cela s’était bien passé à l’école.
-Et les autres enfants, ils sont gentils ? L’interroge-t-il ensuite.
-Ouais… Mais ils passent leur temps à jouer dehors, c’est nul.
-Pourquoi tu ne vas pas avec eux ?
-Parce que c’est nul. Moi, je préfère les livres. Et dehors, il fait froid.
-Oh, on voit que tu n’as jamais mis les pieds en Suède. Je suis sûr qu’il fait plus chaud chez toi qu’ici.
-Ouais, peut-être. Hausse-t-elle simplement les épaules. Papa, y’a Papy qui m’a promis de m’apprendre à jouer aux échecs ! Comme ça, je pourrai être aussi forte que Mamie !
-Ah c’est super ça ! Comme ça, tu pourras m’apprendre quand je viendrai, et on jouera tous les deux !
-Ouais… Mais pour ça, faudrait déjà que Papy puisse m’apprendre à y jouer…
-Oh je vois… Je vais te laisser dans ce cas. Comprend-t-il alors, visiblement déçu de voir que Joy ne souhaite pas poursuivre la conversation. Observant la scène avec dépit, je secoue la tête, déçue de l’attitude de Joy. J’étais content de parler un peu avec toi.
-Oui, moi aussi. A bientôt Papa ! S’exclame-t-elle avant de se lever de la chaise de bureau pour sortir rapidement de la pièce. Dépitée, je ne tarde pas à prendre sa place pour m’excuser auprès de Sven. Il semble déçu de ne pas avoir pu parler davantage avec sa fille, mais tente de se montrer compréhensif. Il est vrai que c’est sans doute plus intéressant pour elle de jouer avec son grand-père que de parler avec son père par ordinateurs interposés…

Après avoir abandonné la conversation avec son père, Joy rejoint rapidement son grand-père à l’extérieur, prête à apprendre à jouer aux échecs. Papa semble surpris de la voir si vite arriver, mais ne dit rien. Il se contente d’apprendre les règles de base du jeu et de commencer une partie avec sa petite-fille.
-Je ne m’attendais pas à te voir arrivée si vite. Lui dit-il tout de même au bout de plusieurs minutes. Je croyais que tu devais parler avec ton père.
-Oui, mais moi j’avais envie de jouer aux échecs. Avoue-t-elle en haussant les épaules.
-Joy, ce n’est pas très gentil pour lui. La réprimande-t-il, tout en conservant un ton normal et calme. C’est ton père, et il veut faire partie de ta vie. C’est normal qu’il veuille te parler.
-Il fait ça parce qu’il se sent obligé. Hausse-t-elle les épaules en réponse. Il sait qu’il a une fille alors il veut me parler pour faire semblant qu’il s’occupe de moi.
-Joy, tu peux pas dire ça. Tu sais bien que la situation est plus compliquée que ça.
-Ouais, peut-être. Marmonne-t-elle, en se concentrant sur l’échiquier. En attendant, il vient jamais ici.
-C’est… compliqué ma puce. La Suède, c’est loin d’ici et il ne peut pas …
-Quand on veut, on peut. Se contente-t-elle de répliquer. Échec et mat Papy !!
-Oh… J’ai rien vu venir… Bravo ma grande !

Suite à sa conversation avec Joy à propos de Sven, Papa m’en a évidemment parlé. Vraisemblablement, Joy en veut à son père de ne pas être plus présent, physiquement, auprès de nous. Il est difficile de lui en vouloir : comment peut-elle créer des liens avec son père, sans passer véritablement de temps avec lui ? Il ne m’a pas fallu plus de temps pour en parler avec lui, pour qu’il sache ce qu’il se passe dans la tête de sa fille et que nous essayons de trouver ensemble une solution plus adaptée. Il m’a promis d’y réfléchir et m’a annoncé avoir posé des jours de congés : bientôt, il sera de retour parmi nous !
Et son retour n’a pas tardé : nous n’avons pas encore fêté la nouvelle année que Sven est de nouveau à Willow Creek. Il n’a pas reçu un accueil chaleureux de la part de Joy, mais nous restons optimiste. Nous pensons qu’il faut lui laisser le temps de s’attacher à son père.
Ce soir, Sven m’a proposé d’aller au restaurant, tous les deux. Cela nous permettra de discuter de notre avenir, à tous les trois. Il m’a semblé bien sérieux d’un coup, mais je n’ai pas pu refuser. Il s’agit, après tout, du but principal de sa visite.
Une fois devant le restaurant, je suis surprise de son choix : nous sommes dans le restaurant de Magnolia Promenade, juste à côté du cinéma. Celui où nous sommes allés il y a quelques années. Celui qui a vu les débuts de notre histoire. Je suis émue en repensant à ces souvenirs, mais si je me rappelle bien, la nourriture était … particulière. C’est surprenant qu’il ait voulu revenir ici.

En vérité, pour être tout à fait honnête, je dois avouer que je ne suis pas particulièrement à l’aise face à lui, en tête à tête. Je vois bien ses regards plein d’amour et d’espoirs. Ce sont des regards que je connais bien : il me regardait de la même façon lorsque nous étions adolescents. A l’époque, ils me provoquaient des papillons dans le ventre. Aujourd’hui, ils me mettent mal à l’aise. Je tente de faire bonne figure en examinant le menu, cherchant désespérément un plat qui me fasse envie, parmi tout ceux au nom bien étrange.
-Tu trouves ton bonheur ? Me demande alors Sven, en m’affichant un merveilleux sourire. Je tente de le lui rendre, mais j’ai l’impression d’être ridicule.
-Je ne sais pas trop… J’ai bien peur que ce soit toujours bizarre que dans mon souvenir.
-Laisse-leur une chance : peut-être que leurs plats salés sont meilleurs que leurs desserts !
-Espérons. Lui souris-je, pour ensuite passer commande auprès du serveur.

La discussion poursuit son cours, Sven se révélant être très bavard. Il m’interroge sur mon travail et parle avec passion du sien. De temps à autre, il me parle de sa famille, de ses amis. Visiblement, sa vie en Suède est palpitante et il n’a pas le temps de s’ennuyer. Parmi ses activités, je trouve quand même admirable qu’il parvienne à trouver du temps pour parler avec Joy sur Skype. Il essaie de s’investir dans sa vie et je vois bien qu’il s’est attaché à elle, qu’il veut bien faire.
Mais la situation est loin d’être simple et plus la soirée passe, plus j’ai l’impression qu’il tente de me faire passer un message. Mon malaise grandit et j’avoue que j’abuse un peu du jus de fruit pour me donner du courage. Ce n’est pas raisonnable, je suis même très probablement paranoïaque.
-Tu as déjà été en Suède, Rosie ? Me demande brusquement Sven, me faisant avaler ma gorgée de travers. Je manque de m’étouffer, désarçonnée par sa question. Elle semble anodine, mais mon instinct me dit qu’elle cache autre chose.

Le serveur finit par arriver, pour nous donner nos plats. Je lui lance un regard reconnaissant, comme s’il venait de me sortir d’une mauvaise passe. Mon regard se focalise sur mon assiette, et je suis rapidement sceptique face à son contenu. Autant, je reconnais rapidement le morceau de saumon, autant le reste demande encore à être identifié.
-C’est toujours aussi bizarre que dans mon souvenir. Remarqué-je alors, affichant un fin sourire, aussitôt partagé par Sven.
-J’avoue que j’avais oublié que c’était aussi bizarre leur plat. Ricane-t-il ensuite, affichant une moue désolée. En tout cas, je peux te garantir qu’en Suède, je n’ai pas encore trouvé de restaurant semblable à celui-ci.
-Je trouve que tu parles beaucoup de la Suède, ce soir. Lui fais-je alors remarqué, avec une moue suspicieuse.
-Oh euh… C’est juste que je trouve que c’est un pays formidable… Je pense qu’il pourrait te plaire, et à Joy aussi …
-Et pourquoi te mets-tu à penser à ça ?
-Eh bien… Joy me reproche de ne pas être assez présent dans sa vie. Alors, je me dis qu’il faudrait, envisager, un jour, de nous rapprocher. Et vivre en Suède pourrait être une possibilité. M’avoue-t-il doucement, comme s’il marchait sur des œufs.
-Euh, on verra. Marmonné-je, terriblement gênée, alors que son regard semble encore plus amoureux. J’ai l’impression qu’il espère que nous venions vivre avec lui, en Suède. J’avoue ne m’être jamais posée la question. Notre avenir est incertain, j’ignore jusqu’à quel point il souhaite s’engager auprès de nous. Je n’ai aucune envie de me casser les dents et me retrouver dans un pays dont j’ignore absolument tout…

Le repas se termine tranquillement. C’est avec soulagement que je termine mon assiette et que je vois l’heure de rentrer chez moi se rapprocher de plus en plus. La compagnie de Sven est agréable, mais la conversation dérive sur une pente un peu trop glissante à mon goût. De plus, les jus de fruits commencent à me monter à la tête et j’ai du mal à réfléchir. J’aurais peut-être du modérer un peu plus ma consommation.
Une fois nos assiettes vides, nous nous levons de table, prêts à partir. Sven se rapproche néanmoins de moi, me souffle qu’il passe une merveilleuse soirée en ma compagnie. Il me prend tendrement dans ses bras pour venir m’embrasser, avec tout l’amour dont il est capable.
Quant à moi, je me laisse faire. Le baiser est agréable, surtout avec l’esprit embrouillé, mais je ne peux m’empêcher de me dire que la situation n’est pas naturelle.

Lorsqu’il libère mes lèvres, j’avoue que je ne comprends plus ce qu’il se passe. Sven est de plus en plus bizarre. Il ne lâche pas mes mains et me regarde avec une tendresse infinie. Cela me touche, mais quelque chose cloche sans que je ne puisse dire quoi.
-Rosie… Je… Je dois t’avouer un truc…
-Quoi donc ?
-Je… Je t’aime. Me souffle-t-il avec douceur. Durant toutes ses années, je ne t’ai jamais oublié. Mes amis ont bien essayé de me faire sortir et rencontrer du monde, je n’ai jamais réussi à te retirer de ma tête… De mon cœur. Quand je t’ai revu, à San Myshuno, et que tu m’as annoncé par la suite que nous avons une fille, j’ai pris cela pour un signe du destin…
Je lui souris face à sa déclaration. Elle toucherait n’importe qui ayant un cœur. Je sais que je l’ai énormément aimé, à l’époque. Aujourd’hui, il conserve une place particulière dans mon cœur, et c’est la seule certitude que je peux avoir à jour, dans mon esprit tout embrouillé. Je m’apprête d’ailleurs à lui répondre, quand il fait un truc complètement insensé ….

Sven pose un genou à terre. Là, devant tout le monde, sans me quitter du regard. Je suis complètement interloquée par la situation. Mais que fait-il ? Pourquoi se met-il à genou ? Mon cœur bat à mille à l’heure. Est-ce par anticipation ou est-ce à cause du stress ? Je ne sais plus du tout. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe !
-Sven ?! Mais qu’est-ce que tu fais ?
-Rosie, je suis convaincu que tu es la femme de ma vie. M’avoue-t-il en toute sincérité. Ces derniers jours, ça a été une torture de vivre sans toi, et sans Joy. J’aimerais que nous vivions ensemble, tous les trois, que nous formions une famille. J’aimerais que vous me rejoigniez, en Suède. Je sais que c’est compliqué, que tu ne peux pas partir comme ça, sans aucune garanti… Mais, je te garantis que je t’aime, que je veux vieillir avec toi. Je veux élever Joy avec toi. Je… Je veux d’autres enfants avec toi. Poursuit-il, évoquant un à un ses projets, alors que mon cœur se serre. Je ne peux m’empêcher de repenser à ma stérilité, dont il n’est pas au courant. Et voilà qu’il m’annonce vouloir d’autres enfants… Mais… Où veut-il en venir au juste ?

Et là, il sort une bague de sa poche. Une magnifique bague… de … fiançailles. Je louche aussitôt dessus, mon cerveau est en arrêt, ayant du mal à assimiler les informations qui se présentent à lui. Sven est-il réellement en train de faire ce que je pense ? Mais… Pourquoi ? Je ne comprends pas…
-Rosie, je veux faire ma vie avec toi. J’aimerais que tu me rejoignes à l’autel, dans une magnifique robe blanche, et que tu me dises oui pour la vie. Rosie, acceptes-tu de venir vivre avec moi, pour former notre propre famille ? Acceptes-tu de devenir ma femme ?

Oh… Mon… Dieu…
Le temps semble suspendu, attendant ma réponse pour reprendre son cours. Je suis totalement déstabilisée. Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il me demande de l’épouser, et de vivre avec lui. En Suède. C’est complètement insensé. C’est de la folie. Mais que suis-je censée répondre, au juste ?
Je n’ai même pas le temps de la réflexion, en plus. Je sens le regard du serveur peser sur moi. Je sens aussi que tous les autres clients du restaurant sont suspendus à mes lèvres, intéressés de savoir la suite des événements.
Quant à moi, je suis totalement perdue. Je ne sais pas ce que je veux. Ai-je envie de tout quitter pour partir vivre avec lui ? Ai-je envie de l’épouser ? Ai-je envie de tout ce qu’il me propose ?
Je l’ignore. Je suis perdue…
Puis, je pense à Joy. A Joy, qui ressent l’absence de son père. A Joy qui aimerait avoir un père plus présent. A Joy, qui voudrait sans doute vivre avec son père, pour ainsi pouvoir se rapprocher de lui.
Peut-être que, pour le bien de Joy, le mieux est de créer notre famille….
-Sven… C’est… C’est inattendu…
-Je sais. C’est peut-être un peu rapide. Mais je suis sûr de moi. Alors, pourquoi attendre ? Alors que nous avons perdu autant de temps ?
-Sven, je… Bredouillé-je, perdue, avant de finalement soupirer. Oui… C’est d’accord… Je veux bien t’épouser.

Instantanément, je vois le regard de Sven s’illuminer. Je lis tout le bonheur, toute la joie qu’il doit ressentir en cet instant. Un immense sourire s’affiche sur son visage. Sans aucun doute, il s’agit du plus beau jour de sa vie. Il semble tout d’un coup soulagé, libéré d’un poids, heureux de ma réponse. Je me mets à comprendre et compatir. Il est revenu de Suède avec l’idée de me demander de l’épouser, de tout quitter pour lui, pour nous. Depuis tout ce temps, le stress devait le ronger de l’intérieur, craignant une réponse négative de ma part. Maintenant que j’ai dit oui, le voilà libérer de ce poids, allégé par le bonheur d’un mariage imminent et la promesse d’un avenir merveilleux.
Pourtant, quand je glisse sa bague sur mon doigt, elle me semble peser une tonne.

Tandis que ma main tremble, Sven se relève, affichant toujours le même air heureux. Il ne tarde pas à m’embrasser, me transmettant tout l’amour qu’il a pour moi. Mon malaise grandit, j’ai l’impression que je vais tomber dans les pommes.
-Je suis si heureux, tu ne peux pas l’imaginer. Me susurre Sven, alors que j’affiche un sourire de façade. Je me sens monstrueuse. Tu verras, nous aurons une belle vie tous les trois. Je ferai tout pour.
-Je… J’imagine oui. Bredouillé-je avec un sourire timide, sonnant terriblement faux. Un trouble qu’il doit sans doute mettre sous le coup de l’émotion.
Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 16

Je suis un peu perturbée depuis le départ de Sven et le baiser que nous avons échangé après l’anniversaire de Joy. Je m’attendais à ressentir à nouveau des frissons et les papillons dans le ventre, comme lorsque nous étions adolescents, mais il n’en était rien. La sensation était tout autre et étrange, et cet échange m’a laissé plus mal à l’aise qu’euphorique.
Peut-être parce que nous avons besoin de nous retrouver un peu, après tout ce temps passé éloignés l’un de l’autre ? Après tout, nous avons bien changé et peut-être que nous avons besoin de nous réhabituer à la proximité de l’autre pour que tout redevienne une évidence.
Il y a également un autre point qui me préoccupe. Maintenant que Sven est de retour dans nos vies, même s’il vit en Suède, je dois annoncer à Joy qu’il est son père. Je ne me vois pas continuer à lui faire croire qu’il s’agit juste d’un ami, et elle est en droit que connaitre l’identité de son père. Pour le moment, ce sont les vacances et elle n’est pas encore allée à l’école. Mais, une fois là-bas, elle se rendra vite compte que les autres enfants ont deux parents, alors qu’elle n’a juste que sa mère. Je n’ai pas envie qu’elle se pose des questions inutiles… Alors, autant profiter de ce moment d’accalmie pour discuter avec elle… En espérant qu’elle le prenne bien.

-Qu’est-ce que tu lis de beau ? Lui demandé-je en entrant dans sa chambre, la découvrant assise sur son lit avec un livre dans les mains.
-Un livre de fantasy ! Ca parle d’une fille qui vit sur Terre et qui a des pouvoirs et un jour, elle découvre qu’elle vient d’une autre planète et qu’un méchant veut sa peau ! C’est génial ! S’exclame-t-elle joyeusement alors que j’hausse un sourcil intrigué. Je n’ai absolument rien compris, mais j’imagine que cela a du sens pour elle…

Je m’installe ensuite sur son lit, à ses côtés, et elle ne semble pas tellement perturbée par ma présence. Au contraire, elle semble absorbée par sa lecture, m’ignorant complètement. Je regarde par-dessus son épaule pour tenter de lire quelques lignes de son roman, mais je ne comprends pas davantage l’histoire. La seule chose que j’ai saisi, c’est qu’il y a une histoire d’extra-terrestre. Je repense avec émotion à Maman, quand elle s’amusait à raconter ses histoires à Joy pour la convaincre d’aller prendre son bain. Visiblement, cela a laissé des traces.
-Je peux te parler ma puce ?
-Oui bien sûr. Me confirme Joy, sans pour autant lever les yeux de son livre.
-Est-ce que tu peux poser ton livre deux minutes ? C’est important.

Je suis un peu gênée de lui demander ça. J’ai l’impression de la déranger dans son quotidien et ses loisirs. Mais je n’ai pas envie de parler à une couverture de livre …
Néanmoins, malgré mes craintes, elle se contente d’obtempérer sans discuter. Elle glisse un marque-page avant de fermer son livre et me regarde avec bienveillance.
-Tu veux me dire quoi, Maman ? Me demande-t-elle, tout en allant poser son livre sur sa banquette avant de revenir s’asseoir à côté de moi.

-Tu… Tu te souviens du monsieur blond, qui est venu à ton anniversaire ? Commencé-je, afin de voir si elle le visualise bien.
Et, je l’avoue, j’essaie de gagner du temps. Le stress me ronge de l’intérieur et je crains sa réaction. Je ne lui ai jamais parlé de son père jusqu’ici et elle ne l’a jamais vu. Elle n’a jamais posé de question mais elle pourrait très bien s’énerver d’avoir été privée de son père pendant toutes ses années… d’autant plus que je ne suis pas une mère très présente non plus.

-Oui, ton ami suédois, c’est ça ? Me répond-t-elle alors que je suis surprise de sa bonne mémoire. J’espérais qu’elle se souvienne qu’il s’agit d’un ami, mais j’étais loin de me douter qu’elle se rappellerait qu’il vient de Suède.
-Oui c’est ça… Lui confirmé-je dans un souffle, essayant de rassembler mes mots pour lui annoncer sa véritable identité.
-Maman ? Pourquoi tu me reparles de lui ? Me questionne-t-elle, me sortant ainsi de mes pensées.
-Et bien… Tu sais, je ne t’ai jamais parlé de… ton père jusqu’ici.
-Je sais mais c’est pas grave. Hausse-t-elle les épaules avec désinvolture. Et je vois pas le rapport.
-Ma puce… Il est temps que je te parle un peu plus de lui… Lui assuré-je alors qu’elle semble m’écouter avec attention. Elle a beau dire que ce n’est pas grave que je lui ai jamais parlé de lui, mais elle a l’air également curieuse de ce que j’ai à dire. Il était mon correspondant, au lycée. Lorsqu’il est venu ici, nous… Nous nous sommes beaucoup aimé… Et puis, il est reparti chez lui et nous avons convenu de ne plus nous parler. C’était trop douloureux, alors que nous savions que nous nous reverrions probablement plus… C’est pourquoi je ne t’en ai jamais parlé, jusqu’à aujourd’hui.
-Euh, d’accord… Me répond-t-elle, ne semblant pas comprendre où je veux en venir. Et donc ?
-Joy, ce monsieur qui était là, à ton anniversaire. Il s’appelle Sven Arendel… Et c’est lui ton père. Lui annoncé-je, en essayant de ne pas laisser paraître mon angoisse.

Le visage de ma fille reste impassible. Je perçois un léger mouvement de sourcils, sûrement dû à l’étonnement. Un silence s’installe entre nous et j’ai l’impression qu’elle cherche à m’analyser, comme si elle essayait de déterminer si je dis bien la vérité ou non.
-Ah… Mais je croyais que vous ne deviez plus vous voir ? Me demande-t-elle alors, tout en restant calme.
-Je l’ai recroisé il y a quelques jours. Totalement par hasard. Il était ici pour le travail. Je lui ai parlé de toi, et il a souhaité te rencontrer, d’où sa présence à ton anniversaire. Mais il a du rentrer en Suède pour les fêtes, et pour le moment, nous ne savons pas quand est-ce qu’il pourra revenir. Mais vous pourrez faire connaissance par internet, si tu veux.
-Ok. Se contente-t-elle de me répondre, en haussant les épaules.
-Ok ? C’est tout ? M’étonné-je alors, ne m’attendant pas à cette réaction-là. J’ai presque l’impression… qu’elle s’en fiche. Tu… Tu n’as pas de questions ? Tu… tu peux tout me dire tu sais.
-Bah… non. Je sais qui est mon père, c’est bien. Discuter avec lui sur l’ordinateur, pourquoi pas. Mais en soi, ça change pas grand chose au final. Me dit-elle avec nonchalance. Je peux reprendre mon livre ?
-Euh, oui, bien sûr. Accepté-je alors qu’elle m’offre un grand sourire ravi, pour ensuite récupérer à la hâte son roman pour se replonger dans sa lecture.
Je suis estomaquée par sa réaction. Je m’attendais à plus d’incompréhension, d’éclats, de colère de ne pouvoir être avec son père. Et au contraire, Joy a pris l’information avec beaucoup de calme …
Elle n’a encore jamais connu son père, mais visiblement, la ressemblance ne se limite pas qu’à l’apparence.

Les jours suivants, nous nous sommes concentrés sur la préparation des fêtes de Noël. C’est l’effervescence à la maison, même si, pour cette année, nous ne serons que nous trois. Ryan a déjà promis à la belle-famille de passer les fêtes chez eux, mais il m’a assuré que nous passerons le prochain Noël ensemble. Papa est un peu déçu, mais il a vite été consolé par l’enthousiasme de Joy. Son petit rayon de soleil, comme il dit, ravi de passer du temps avec sa petite-fille qui ne le lâche pas d’une semelle. Alors, quand il lui a proposé de décorer le sapin ensemble, elle a accepté sans hésiter.

Joy est très proche de son grand-père. Je ne peux pas lui en vouloir… Il a été là pour elle durant toute sa vie, alors que moi, je suis absente la plupart du temps, encore aujourd’hui. D’autant plus avec mon travail qui me prend de plus en plus de temps. Et aussi, parce que j’ai du mal à assumer mon rôle de mère, dans sa vie…
Je culpabilise car, même si pour le moment elle semble se satisfaire de la situation, elle risque de me reprocher mon absence, un jour. Et je crains ce jour car j’aime ma fille malgré tout. Et je voudrais qu’elle soit heureuse…

Après avoir fini de me préparer pour la soirée de Noël, je me dépêche de les rejoindre pour les aider à décorer le sapin. Joy me sourit en me voyant, avant de se reconcentrer sur sa tâche tout en riant des plaisanteries de son grand-père. Malgré ma culpabilité, observer leur complicité me touche. Ils sont beaux à voir tous les deux et je suis ravie de voir Joy s’entendre aussi bien avec son grand-père.
Papy, tu connais des contes de Noël ? Lui demande subitement Joy.
-Nous avons quelques livres oui, mais il faut terminer le sapin avant.
-Tu peux lui raconter une histoire si tu veux, je vais terminer. Lui proposé-je en souriant.
-Tu es sûre ?
-Mais oui.
-Merci Maman !! S’exclame avec joie ma fille alors que Papa va chercher un livre dans le bureau.

Pendant que je termine d’accrocher les boules de Noël dans le sapin, mon père s’installe sur le fauteuil du salon. Joy, quant à elle, prend place sur le canapé, prête à écouter avec attention l’histoire que son grand-père va lui raconter.
Pendant toute l’histoire, elle ne dit rien, ne pose pas de questions. Elle m’étonne car je ne me souviens pas d’avoir été aussi sage lorsque j’avais son âge. Je crois même que je ne pouvais pas m’empêcher de couper mes parents pour leur poser des questions sur l’histoire.
Joy, elle, attend sagement la fin de l’histoire.

Le reste de la soirée se déroule tranquillement. Nous avons dîné tous les trois, Papa ayant préparé une dinde cette après-midi. Une dinde au tofu… Même si nous ne sommes pas végétariens et que Maman n’est plus parmi nous, c’est devenu une habitude. Je dois admettre que cela me ferait tout drôle de me retrouver avec une vraie dinde dans mon assiette. J’aurais l’impression de trahir Maman en faisant ça.
Après le dîner, nous déposons des cadeaux au pied du sapin, et nous invitons Joy à ouvrir le sien. Doucement, elle prend son paquet et semble surprise par le poids. Elle s’empresse de l’ouvrir et ses yeux s’ouvrent en grand.
-Un kit de petit chimiste !! S’exclame-t-elle joyeusement. Je vais pouvoir faire comme Mamie !!
-Exactement. Confirme aussitôt Papa. Tu vas pouvoir faire des expériences, comme ta grand-mère. Je te l’installerai là-haut tout à l’heure.
-Merci Papy !!
Après, c’est au tour de Papa d’ouvrir son cadeau… Il est surpris de découvrir un album photo. Cela m’a demandé pas mal de temps de lui préparer cette surprise, mais j’ai réussi à retrouver des photos de lui et Maman et à créer l’album sans qu’il ne s’en aperçoive. Il est ému mais cela lui fait plaisir.
Puis, enfin, c’est mon tour d’ouvrir mon cadeau de Noël. Papa semble fier de lui, visiblement persuadé d’avoir tapé dans le mille. En ouvrant le paquet, je découvre une carte cadeau pour un soin au spa… Pour deux.
-Il n’y a pas de date de fin de validité. Je me suis dit que tu pourras y aller avec Joy lorsqu’elle sera plus grande. Comme ta mère l’a fait avec toi et ta sœur.
-Oh merci Papa ! C’est parfait ! Lui dis-je, touchée, avant de le prendre dans mes bras pour le remercier.

Joy ne tient plus en place et Papa n’a pas d’autres choix que de lui installer son kit de petit chimiste dans les minutes qui suivent. Habitué à bricoler dans la maison, il ne lui faut pas longtemps pour tout monter sur le palier, à l’étage.
A peine monté, à peine testé. Pendant tout le temps où Papa montait le kit, Joy était plongé dans la lecture de la notice, donnant des indications pour réaliser des expériences. Elle est donc ravie de pouvoir mettre en application sa lecture, afin de pouvoir « faire comme Mamie » !

Pendant que Joy joue les apprentis scientifiques, nous descendons au salon avec mon père. Et là, nous nous rendons compte que nous avons une visite très spéciale, dans le salon. Le Père Noël est là, en train de déposer de nouveaux paquets au pied du sapin !
Aussitôt, Papa appelle Joy, pour qu’elle ne manque pas cette arrivée et qu’elle puisse profiter de la présence du Père Noël à la maison.

Joy ne tarde pas à descendre et c’est avec surprise qu’elle découvre le Père Noël dans notre salon. Ses yeux pétilles d’excitation, mais elle est brusquement toute intimidée. Elle n’ose pas aller vers lui et elle se contente de l’observer au loin. Compréhensif et ayant certainement l’habitude, le Père Noël va donc à sa rencontre avec un cadeau dans les mains.
-Tiens Joy, c’est pour toi. Joyeux Noël à toi !
-M-merci, Père Noël ! Bredouille-t-elle, avant de s’empresser d’ouvrir son cadeau. La dernière poupée à la mode en ce moment. Elle lui sourit, mais je devine que c’est par politesse. Les poupées, ce n’est pas tellement son truc mais elle semble tout de même contente de son cadeau.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 15

Quelques jours passent et je n’ai pas beaucoup l’occasion de revoir Sven. Il a du travail, et moi aussi. D’autant plus que je dois m’occuper d’organiser l’anniversaire de Joy. J’envoie plusieurs photos d’elle à Sven, qui semble ravi d’en recevoir.
Mais, je crois que je commence à fatiguer à suivre ce rythme effréné. Un soir, je rentre tard à la maison car nous organisons un événement important à l’association et je suis souvent obligée de faire des heures supplémentaires. Mais, en arrivant chez moi, j’aperçois une lumière étrange dans le jardin. Curieuse, je traverse la maison pour aller sur la terrasse, et là, la lumière se focalise sur moi. En levant la tête…. Je vois une soucoupe volante !
Je fais un bond en arrière mais je n’ai pas le temps de faire quoique ce soit de plus que je suis attirée vers cette chose. Mon dieu ! Les histoires de Maman sont définitivement vraies !!

Au bout de plusieurs heures à avoir l’esprit dans le flou, je finis par rentrer chez moi. Je ne me souviens pas de ce qu’il s’est passé dans ce vaisseau. La seule chose que je peux soupçonner : c’est que les aliens ne connaissent pas le chauffage ! Je suis frigorifiée, comme si j’étais restée longtemps dans un froid polaire sans aucun vêtement chaud !
Tremblante, je m’installe sur le fauteuil, juste en face de la cheminée encore allumée. J’ai bien besoin de profiter de cette chaleur réconfortante pour me remettre de cette drôle d’aventure !

Une fois réchauffée, je vais me coucher, exténuée. J’ai soudain l’impression d’être vidée de toute mon énergie. Une boule se forme dans mon ventre : j’espère que cette rencontre du 3e type ne m’empêchera pas d’être opérationnelle demain, pour l’anniversaire de Joy.
Le lendemain, j’ai la tête dans le brouillard lorsque je me lève. J’ai également un mal de tête épouvantable, comme après une soirée trop arrosée. Je ne me souviens pas avoir bu du jus de fruit, pourtant, hier…
En allant dans le salon, je constate que mon père et ma fille sont déjà réveillés, et installés à table pour le petit déjeuner. Je vais chercher de quoi manger dans le frigo, et je m’installe avec eux, espérant que cela suffira à me redonner de l’énergie.
-Papa ? Lui dis-je, me souvenant que je ne l’ai pas encore prévenu de la venue de Sven, ce soir.
-Oui ma puce ?
-Je… J’ai oublié de te dire… J’ai… J’ai revu Sven. Il est de passage ici pour le travail. Lui annoncé-je, nerveuse, craignant sa réaction.
-Sven ? Ne semble-t-il pas comprendre.
-Le… Le père de Joy… Lui rappelé-je à voix basse tout en jetant un coup d’œil craintif à ma fille. Mais elle semble bien plus obnubilée par ses céréales qu’à notre conversation. Je lui ai dis la vérité pour elle…
-Oh… Et comment il a réagi ?
-Il est un peu sonné mais c’est normal… Mais du coup je lui ai proposé de venir ce soir, pour qu’il puisse voir sa fille.
-Oh je vois. Tu as bien fait ma grande… Tu m’as dit qu’il s’appelait comment déjà ?
-Sven, Papa. Il s’appelle Sven. Soupiré-je, tentant d’ignorer mon cœur qui se serre face à cette petite perte de mémoire.

Il a beaucoup neigé ces derniers jours, recouvrant le paysage d’un épais manteau blanc. Pendant que je suis au travail, Papa décide de faire découvrir la neige à Joy en l’emmenant dans le jardin, après l’avoir habillée bien chaudement. Une fois dehors, Joy est comme fascinée face à ce spectacle. Ses yeux pétillent d’émerveillement. Papa lui propose vite de faire un bonhomme de neige.
Joy s’amuse comme une petite folle à ajouter des tas de neige sur la grosse boule formée par son grand-père. Il fait le plus gros du travail, mais cela l’amuse. Il retrouve son âme d’enfant !

Une fois le bonhomme de neige terminée, Joy l’observe avec curiosité. Elle ne semble pas croire de qu’elle voit. Par curiosité, elle enfonce un doigt dans le ventre du bonhomme, pour le ressortir aussitôt. Le voilà qu’il est tout blanc ! Elle n’hésite pas une seconde de plus et le met aussitôt dans sa bouche. En réaction, elle grimace.
-Aaah ! C’est froid !! S’écrie-t-elle alors, faisant rire son grand-père.
Loin d’être traumatisée par cette expérience, Joy se désintéresse du bonhomme de neige et plonge ses deux mains dans la neige au sol. Et hop ! Elle envoie deux petits tas de neige dans les airs, au-dessus de sa tête. Elle rit, et continue son activité en faisant de petits tas de neige sur le sol, comme pour faire un château de … neige.

Au bout d’un certain temps, Papa finit par la rentrer à l’intérieur et la réchauffer. Il ne faudrait pas qu’elle attrape froid et il doit commencer à préparer son gâteau d’anniversaire.
Quand je rentre du travail, Joy joue tranquillement dans sa chambre. Je la rejoins et je m’installe doucement sur la banquette pour la regarder jouer. Elle m’ignore au début, avant de me lancer un regard intrigué.
-Papy m’a dit que vous avez passé l’après-midi dehors. Tu as aimé joué dans la neige ? Lui demandé-je doucement.
-Oui ! La neige, c’est rigolo !
-J’imagine bien… Dis, il va falloir arrêter les cubes. Maman va te préparer pour ce soir. Tu te rappelles que c’est ton anniversaire aujourd’hui ? En temps que reine de la soirée, il faut te faire belle !
En toute réaction, elle me lance un regard dubitatif mais elle se laisse faire sans rechigner. Je soupire. Je crois qu’elle accepte juste pour me faire plaisir…

Le soir venu, je descends au salon avec ma fille dans les bras, avant de la laisser vagabonder à sa guise. Excellent timing, c’est à ce moment-là que la sonnette résonne, annonçant l’arrivée de mon frère et de sa famille.
Je leur ouvre en souriant, ravie de les voir ici pour cette occasion. Papa pose le gâteau aux fraises sur la table avant d’aller à la rencontre de Ryan.

-Salut mon grand ! Tu sors de la salle de sport ?
-Oui, faut m’excuser, j’ai pas eu le temps de me changer… Avoue-t-il, un peu gêné par sa dégaine alors que Juliette s’est faite toute belle pour ce soir.
-C’est pas grave, va ! On est entre nous !
-Et puis tu sais, Joy, elle ne fait pas tellement la différence entre une tenue de sport et une tenue de fête ! Ajouté-je en souriant. Par contre, c’est vrai que tu piques les yeux ! Le taquiné-je ensuite en affichant une mine innocente.
-Saleté ! En rit-il, loin de se vexer de ma plaisanterie.

-Maman !! Je veux rentrer !!! S’exclame subitement Alexandre en tirant sur le bas de la robe de Juliette pour attirer son attention. Visiblement, le pauvre n’est pas ravi d’avoir du suivre ses parents ici.
-Pas question Alex ! On passe la soirée en famille, on te l’a déjà dit !
-Mais j’allais tuer le dragon !!
-Ce n’est qu’un jeu ! Et ça suffit maintenant, ça te fera pas de mal de décrocher un peu de l’ordinateur ! Soupire d’exaspération Juliette. Sois gentil un peu, c’est l’anniversaire de ta cousine.
-Pffff !

Petit à petit, tous les invités arrivent à la maison. Après mon frère et sa famille, arrivent Pierre, Caroline et Manon puis enfin… Sven. Il est un peu embarrassé face à tout ce monde. Il est vrai que j’avais oublié de l’avertir du nombre d’invités présents… J’essaie de le rassurer comme je peux, avant d’être interrompue par Pierre.
-Hey Sven ! Ca fait plaisir de te revoir ! Ca va, t’es pas trop dépaysé avec un temps pareil ? S’exclame-t-il alors, en affichant un grand sourire.
-Non ça va ! Il fait même chaud je trouve ! Plaisante Sven à son tour, bien qu’il ait l’esprit ailleurs.

En effet, bien qu’il répond à Pierre sans difficulté, Sven regarde quelqu’un d’autre… Joy. Qui est tranquillement assise par terre, à jouer avec ses cubes. Il n’est pas difficile pour lui de deviner qu’il s’agit de sa fille. Il la fixe, scrutant le moindre de ses faits et gestes, sans oser s’approcher d’elle.
Tu peux aller la voir, tu sais. Elle ne va pas te manger. Lui assuré-je, comme pour l’encourager.
-Je.. Je préfère la laisser tranquille. Elle est avec … ?
-Kylian, son cousin. L’informé-je ensuite, observant mon neveu entrain d’inciter Joy à faire une énorme tour de cubes.

Très vite, Sarah se joint à eux mais Joy garde les yeux rivés sur son grand-père, qui s’affaire à apporter les dernières touches à son gâteau d’anniversaire. Je souris. Cela me fait plaisir de voir mes neveux tenter d’aller vers leur cousine, bien qu’ils la connaissent pas beaucoup. J’espère qu’ils pourront être proches, à l’avenir. Ils sont de la même famille, après tout.
Quant à Sven, il continue de l’observer, sans oser aller vers elle. Le pauvre, il est tout intimidé face à tout ce monde, à cette famille dont il fait désormais partie.

Soudain, Ryan s’approche de moi pour me prendre dans ses bras. Je sursaute à ce contact, ne m’attendant pas à ce qu’il vienne me faire un câlin.
-Ravi de te revoir, petite sœur. Me dit-il à l’oreille.
-Merci à toi d’être venu. Cela me fait plaisir que tu sois là, pour Joy. Lui soufflé-je à mon tour.
-A défaut d’avoir été un bon frère, j’espère pouvoir être un bon tonton ! M’avoue-t-il en souriant, avant de me chuchoter : Alors, c’est lui le père de Joy ? Me demande-t-il en désignant Sven. Je me contente alors d’hocher la tête. Eh beh, une chose est sûre : il ne peut pas la renier ! C’est son portrait craché !
-Ca, c’est sûr !

Puis, vient le moment pour Joy de souffler ses bougies. Quand on lui annonce, Joy est subitement excitée comme une puce, réclamant que son grand-père la prenne dans ses bras. Elle ne veut personne d’autre et Papa ne tarde pas à s’exécuter. Après avoir allumé les bougies, il la prend dans ses bras pour pouvoir la rapprocher du gâteau. Joy observe avec fascination les bougies, avant qu’on l’encourage à souffler pour les éteindre. Ce qu’elle fait, avec un peu de difficulté, mais aider par son grand-père.
-Bon anniversaire, Joy ! Exclamons-nous, tous ensemble, y compris Sven. Ce dernier semble regarder sa fille avec de plus en plus d’émerveillement.

En ce jour, Joy devient ainsi une enfant. Une adorable petite fille à la chevelure dorée. Timidement, elle va voir l’ensemble de l’assemblée pour les remercier d’être là, sans grand enthousiasme cependant. Je remarque qu’elle semble mal à l’aise, mais qu’elle se prête tout de même au jeu.
-Bon anniversaire Joy ! C’est trop bien ! On va pouvoir jouer ensemble maintenant ! S’exclame joyeusement Kylian en enlaçant sa cousine.
-Euh oui… Cool. Merci en tout cas. Bredouille-t-elle en réponse, comme si elle ne savait pas quoi répondre.

Après qu’elle ait remercié tout le monde, je lui donne une part de son gâteau. Elle s’installe alors en bout de table, et regarde le nez plongé dans son assiette. Je la surveille du coin de l’œil, mais elle ne semble pas particulièrement triste. Je pense qu’elle doit être juste un peu fatiguée par sa journée et le fait de grandir.
Pendant ce temps-là, je rejoins Caroline et Manon, qui sont en grande discussion avec Sven, qui commence enfin à se détendre.
-Vous menez une vie au top, à ce que je vois ! C’est fou ce parcours depuis le lycée ! Réagit Sven alors que mes amies lui racontent leur vie depuis qu’il est parti.
-Eh ouais ! Faut pas croire mais on t’a pas attendu pour vivre notre vie ! Le taquine gentiment Caroline. Mais toi aussi tu as une vie cool, à voyager partout ! Et puis, le monde est petit ! Tu as même retrouvé notre Rosae !
-J’avoue que j’ai eu pas mal de surprises, en revenant ici ! Si on m’avait dit ça il y a quelques semaines, je l’aurais pas cru !
-Tu m’étonnes ! S’esclaffe Manon, tout en veillant à ne pas trop en dire. En effet, tout le monde ici est au courant que Joy ignore encore tout de son père … Je préfère lui en parler avant, et ne pas la mettre devant le fait accompli.

Pendant que Sven et mes amies discutent, je vais rejoindre ma fille en bout de table. Joy ne dit pas un mot depuis qu’elle a soufflé ses bougies. Même si je pense que c’est juste la fatigue, je préfère m’assurer que tout va bien et que rien ne la chiffonne.
-Tout va bien ma puce ? Tu passes une bonne soirée ? Lui demandé-je alors, tout en m’asseyant à côté d’elle.
-Oui Maman. Je profite juste du gâteau de Papy, il est trop bon ! M’assure-t-elle en m’offrant un timide sourire.
-Tu es sûre ? Tu me le dirais si quelque chose ne va pas ? Insisté-je, un peu inquiète par son attitude. En effet, je trouve cela curieux qu’elle ne cherche pas spécialement à jouer avec ses cousins, qui sont les seuls enfants présents ici.
-Mais oui ! Me confirme-t-elle, avant d’ajouter. Dis Maman, c’est qui le monsieur blond ? Me demande-t-elle, me mettant brusquement mal à l’aise. Que vais-je répondre à ça ? Je l’ai jamais vu.
-C’est… un ami de Maman. Il habite en Suède normalement mais il est de passage en ce moment. Lui réponds-je, songeant que ce n’est pas le meilleur moment pour lui avouer la vérité.
-Ok, cool. Hausse-t-elle les épaules, avant d’aller ranger son assiette, comme si elle était déjà passée à autre chose. Visiblement, elle ne se pose pas davantage de questions sur lui.

La soirée se poursuit calmement. Joy laisse ses cousins venir vers elle, mais elle ne cherche pas spécialement à se rapprocher d’eux. J’ai l’impression qu’elle est dans la lune, mais cela ne l’empêche pas de passer une bonne soirée. Enfin, d’après ce que je peux observer.
Petit à petit, la maison se vide de ses invités. Caroline et Manon sont les premières à partir, suivit de près par Pierre. Ryan, Juliette et leurs enfants partent peu de temps après, les triplés étant fatigué. Papa profite de cette occasion pour aller coucher Joy, me laissant ainsi seule avec Sven.
Qui est également sur le départ. Malgré le froid hivernal, je le raccompagne dehors, profitant de ces quelques instants pour discuter seule avec lui.

-Tu… Tu as passé une bonne soirée ? L’interrogé-je, ne sachant pas ce qu’il a bien pensé ce soir.
-Oui assez. Me confirme-t-il en souriant, les yeux pétillants. Cela m’a fait plaisir de voir Joy.
-Je suis désolée que tu n’ais pas pu passer plus de temps avec elle. J’essaierai de lui parler pour lui expliquer qui tu es, et tu devrais pouvoir passer plus de temps avec elle la prochaine fois.
-Pas de soucis, je te fais confiance là-dessus. M’assure-t-il, devenant soudainement nerveux. Rosie, il faut que je t’avoue un truc… J’ai réussi à prolonger mon séjour ici pour être là ce soir, mais je dois rentrer demain en Suède. D’autant plus que j’ai déjà dit à mes parents que je serai à la maison pour les fêtes.
-Oh, euh oui bien sûr. Je comprends tout à fait Sven, ne t’en fais pas. Le rassuré-je, nullement surprise par son annonce. Je savais bien qu’il n’allait pas rester ici éternellement.
-J’essaierai de revenir vite, Rosie, je te le promets…. M’assure-t-il, avant de marquer une pause. Rosie… Je… Tu m’as manqué durant tous ces années, tu sais…
-Euh, toi aussi tu m’as manqué. Lui dis-je après une hésitation. Je ne vois pas où il veut en venir, et je n’ai pas su quoi lui répondre d’autre. Et puis, même si j’ai appris à vivre sans lui, il est vrai qu’il m’a manqué dans ma vie, surtout au début, après son départ.

Un silence s’installe soudain entre nous. Nous nous regardons, un peu gênés, sans trop savoir quoi faire.
Et puis, alors que j’allais lui dire au revoir, Sven s’approche de moi pour me prendre dans ses bras. Et ses lèvres se posent sur les miennes, timidement, cherchant à me retrouver. Je réponds à son baiser, presque machinalement. Comme s’il était évident, que c’était ce que je devais faire.
A la fin de notre baiser, Sven me sourit, m’offre un autre baiser au bout des lèvres et finit par partir pour rejoindre son hôtel. Quant à moi, je reste debout, comme une idiote, devant ma maison, à le regarder partir.
Ce n’était pas comme je l’imaginais. Je pensais que cela serait comme avant, avant qu’il ne parte pour la Suède.
Mais pas du tout. C’était juste… Étrange.
Et je ne sais pas du tout comment l’interpréter.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 14

-Oh Rosie ! Je suis tellement content de te revoir ! S’exclame subitement Sven, tandis que je me suis levée mécaniquement. Aussitôt, il me prend dans ses bras alors que je suis encore sous le choc de sa présence ici.
J’ai du mal à croire qu’il soit ici, à San Myshuno, devant moi, alors qu’il est censé être en Suède. L’information a du mal à monter jusqu’à mon cerveau. Pourtant, je suis dans ses bras, je reconnais son visage, sa voix, sa bonne humeur, son odeur… Mais c’est comme s’il y a un bug dans mon système nerveux.

-Sven… Que… Qu’est-ce que … Que tu fais ici ? Bredouillé-je en réponse, sonnée par cette improbable rencontre.

-Je suis là pour le boulot. Me répond-t-il avec un sourire, loin d’imaginer le trouble qui m’assaille. Je travaille dans une maison d’édition, à Stockholm. Je suis ici pour négocier des droits d’édition pour pouvoir traduire et publier des livres d’ici chez nous.
-C’est super ! Ca doit être… intéressant. Essayé-je de me montrer intéressée. Non pas que je m’en fiche, mais j’ai encore du mal à assimiler correctement la situation.
-Oui très. Me confirme-t-il en gardant le sourire. Le pétillement dans ses yeux me prouvent la véracité de ses dires. Désolé de ne pas t’avoir prévenu de ma vue ici… mais… Comme on n’a décidé de ne pas garder contact … Je me voyais pas débouler dans ta vie comme ça …
-Non.. Je… T’excuse pas.. Je comprends. Lui assuré-je, me sentant terriblement mal à l’aise. Comment pourrai-je lui en vouloir de ne pas m’avoir prévenu de sa venue ici alors que je lui cache un plus gros secret ? En pensant à Joy, je n’ai qu’une envie : c’est de partir d’ici en courant.
-Et toi ? Qu’est-ce que tu deviens ?
-Euh, je … je travaille dans une association… Pour promouvoir les droits des femmes.
-Oh ça doit être super intéressant ! Bon, par contre, je suis désolé, je vais devoir y aller. Me signale-t-il après regardé sa montre. Ca te dirait … qu’on… qu’on déjeune ensemble un de ces jours ? Me propose-t-il avec une soudaine timidité. Je dois rester quelques jours pour mon travail. Ca… serait l’occasion de se voir.
-Euh oui pourquoi pas… Accepté-je, soulagée de le voir partir. Dès qu’il a le dos tourné, j’en profite pour prendre la poudre d’escampette et rentrer chez moi.

Lorsque j’arrive chez moi, mon père et ma fille ne sont pas encore rentrés de Brindleton Bay. Cela tombe bien, je suis encore dans tous mes états et je ne me vois pas parler du retour de Sven avec mon père. Cependant, je ne tiens pas en place et il faut que je parle avec quelqu’un de ma rencontre du jour. Il faut que je libère mon esprit, sinon je ne vais pas arrêter d’y penser.
-Oui Caro ? C’est moi … La salué-je aussitôt après qu’elle ait décroché. Excuse moi de te déranger, je sais que tu es chez ta mère mais il faut absolument que je te parle.
-Qu’est-ce qui se passe ? Me demande-t-elle, intriguée par le son de ma voix. La panique doit s’entendre, je présume.
-J’ai vu Sven.
-Ahah très bonne ta blague ! On n’est pas encore le 1er avril tu sais ! Réagit-elle aussitôt en éclatant de rire. Devant mon absence de réaction, je l’entends se reprendre. C’est une blague n’est-ce pas ?
-Pas du tout. Je viens de le croiser juste en bas de chez toi. Il est à San Myshuno pour le travail… Lui confirmé-je, le cœur battant à tout rompre. Je suis dans un état de stress pas possible !
-Oh my God ! S’exclame Caroline, surprise. Le monde est petit !
-Je te le ferai pas dire… Et… Il m’a invité à déjeuner…
-C’est cool ! Ca va vous permettre de parler du bon vieux temps !
-Oui mais Caro… Quand je l’ai vu… Je n’ai pas pu m’empêcher de penser à Joy… Lui avoué-je, la gorge nouée, alors qu’un silence s’installe entre nous.

-Tu comptes faire quoi ? Me demande prudemment Caroline au bout de presque une minute.
-Je sais pas… Je t’avoue que je suis complètement perdue maintenant que je l’ai revu… Soufflé-je. J’ai mille et une pensée qui se bouscule dans ma tête, je ne sais pas quoi faire. J’étais si sûre de moi et de mes décisions en pensant que je ne le reverrai jamais mais maintenant qu’il est dans le coin et qu’il peut, potentiellement, l’être à nouveau, je suis perdue… Toutes mes certitudes ont volé en éclats, Caro…
-Ca va aller Rosie, ne t’inquiète pas. Tente-t-elle de me rassurer. Mais… peut-être que votre rencontre est le signe que… Que tu dois lui parler de Joy ? Me suggère-t-elle ensuite, comme si elle marchait sur des œufs. Je culpabilise un peu au son de sa voix, réalisant à quel point j’ai pu paraître intraitable et intransigeante lorsqu’on en parlait.
-Peut-être… Je ne sais pas… Je ne sais plus … Après tout ce temps ? Joy est bientôt une enfant et qui sait comment va réagir Sven de ne l’apprendre que maintenant.
-Le seul moyen de le savoir est de lui en parler. Me souligne Caroline. Et puis, s’il est amené à revenir par ici, garder l’existence de Joy secrète n’a plus lieu d’être, non ?
-Sans doute… Tu as peut-être raison… Je vais y réfléchir…
-Essaie de prendre une décision avant votre déjeuner. Ca serait la bonne occasion de lui en parler. Dans tous les cas, si tu veux parler, n’hésite pas ! J’imagine que ce ne doit pas être évident pour toi.
-Tu n’imagines même pas….

Au moment où je raccroche avec Caroline, j’entends mon père rentrer à la maison et déposer Joy dans sa chambre. J’hésite un peu, puis je sors de la mienne pour aller la voir. Visiblement, elle n’a pas voulu enlever son manteau et elle joue avec ses cubes. Elle passe beaucoup de temps à les utiliser, c’est affolant.
En m’entendant entrer, elle lève la tête vers moi et je me souris avant de se reconcentrer sur ses cubes.
-Ca a été aujourd’hui chez Tonton ? Lui demandé-je alors.
-Oui. Me répond-t-elle sans se déconcentrer.

Je ne dis rien de plus et je me contente de l’observer. Je remarque une fois de plus ses ressemblances avec Sven. Pour le moment, elle ne pose pas de questions sur son père et vit notre situation familiale comme si tout était normal. Mais qu’en sera-t-il lorsqu’elle ira à l’école ? Qu’elle se rendra compte que les autres enfants ont un Papa et pas elle ? Me sentirais-je de lui avouer que son père n’est pas au courant de son existence ? Et si Sven apprenait un jour, totalement par hasard lors de l’un de ses voyages, qu’il a une fille ?
Je me pose tellement de questions, je suis perdue. C’est moche à dire, mais finalement, c’était plus simple avant le retour de Sven…
Néanmoins, lorsque j’observe la bouille adorable de ma fille, je sais, au fond de moi, que je ne peux pas lui cacher son existence…

Alors, deux jours plus tard, j’accepte l’invitation à déjeuner de Sven. Nous nous retrouvons dans un snack dans la périphérie. L’endroit est tranquille et nous nous sommes installés au fond du restaurant. Au moins, personne ne viendra nous déranger ici.
Le malaise est palpable entre nous. De nombreuses années se sont passées depuis son départ et rien n’est plus comme avant. Nous avons tous les deux grandis, et appris à vivre sans l’autre. Nous retrouver à table ne faisait clairement pas partis de nos projets et cela nous fait tout drôle de nous parler de nouveau. Même si nos échanges ne sont que factuels et ne révèlent en rien notre relation passionnelle passée.
-Donc vous menez des actions en classe, c’est ça ? Me relance alors Sven, alors que nous discutons de mon travail.
-C’est ça. Nous faisons de la prévention auprès des jeunes. Mais ce n’est qu’une partie de mon travail. Je vais également à la rencontre des gens dans la rue, on manifeste, on organise des débats, des conférences… Nous venons en aide aux femmes en difficultés aussi et nous cherchons à travailler avec les politiques pour mettre des mesures en place. C’est riche et varié comme travail et ça permet de se sentir utile au quotidien.
-C’est chouette ! Tu dois t’épanouir dans ton travail, ça te va bien de travailler dans le milieu associatif.
-Oui, c’est super. A aucun moment je regrette de m’être engagée et je n’ai pas le temps de m’ennuyer…

Un nouveau blanc s’installe entre nous. Nous regardons notre assiette sans grande envie et je remarque que Sven ne touche pas à la sienne.
-Tu ne manges pas ? Lui demandé-je intriguée.
-Oh.. Euh… En fait, j’avais pas remarqué qu’il y avait de la viande et …
-Tu es devenu végétarien ? Deviné-je alors.
-Oui… J’ai vu une vidéo sur le traitement des animaux dans les abattoirs et ça m’a dégoûté…
-Oh ça ne fait rien. Ma mère aussi était végétarienne… Lui réponds-je, stressée. Je dois que je dois lui parler de Joy mais je repousse ce moment le plus possible. Et toi, ton boulot ?
-Oh c’est cool. J’ai fait un stage là-bas et ils m’ont pris à l’issu de celui-ci. M’explique-t-il ensuite. Le fait que j’ai fait des échanges à l’étranger a été un plus… J’ai commencé petit mais maintenant, je suis amené à bouger pas mal pour aller à la rencontre d’éditeurs étrangers. Ca me gêne pas, j’aime bien bouger. Je crois que rester en place, c’est pas trop mon truc.
-C’est super… Ca te permet… de voir pas mal de trucs. Soufflé-je ensuite, au comble du malaise. Dois-je vraiment lui parler de notre fille ? Alors qu’il est vraisemblablement en permanence en vadrouille ? Est-ce bien raisonnable ?
J’essaie de rester impassible, mais intérieurement, c’est la panique totale.

-Rosie ? Ca va ? S’inquiète subitement Sven, en me faisant sursauter. Tu n’as pas l’air dans ton assiette.
-Si si ça va, tout va bien, ne t’inquiète pas. Lui dis-je en réponse tout en secouant la tête. Pour me donner une contenance, je me concentre sur mon hamburger. Est-ce que ce cheese pourrait me sortir de cette situation délicate ?
-Tu es sûre ? Je te sens ailleurs depuis tout à l’heure.
-C’est juste que… Que j’ai quelque chose à t’avouer. Me lancé-je alors, penaude, comme une petite fille prise en faute. Si je ne le lui dit pas maintenant, jamais je n’y arriverai.
-Je t’écoute Rosie, qu’est-ce qui se passe ?

Pour toute réponse, et étant incapable de parler, je me contente de sortir une photo de mon portefeuille. Une photo de ma fille, où elle offre un magnifique sourire. Je la pose en direction de Sven, nerveuse, attendant sa réaction.
-Oh elle est mignonne ! S’exclame-t-il spontanément, sans comprendre. Qui est-ce ?
-C’est.. Joy… Ma… fille. Bredouillé-je en réponse, en me mordant la lèvre inférieure, mal à l’aise.
-Oh tu… Je vois.. Je .. Je ne savais pas que tu … Que tu étais en couple.. Me répond-t-il, soudainement gêné. Ou déçu. Je suis beaucoup trop stressée pour déterminer ce qu’il peut bien ressentir.
-Non, Sven… Je n’ai personne dans ma vie… Joy… C’est toi le père de Joy… Joy est ta fille.

Sven se fige lorsque je prononce ces mots. Son regard se pose tour à tour sur moi et sur la photo. Je devine à son regard qu’il est complètement perdu. Il prend la photo dans ses mains comme pour la regarder de plus près.
-C’est … C’est pas possible Rosie… Je ne peux pas être son père… Souffle-t-il en plein déni, choqué par l’information qu’il vient d’apprendre.
-Si Sven… Ca ne peut qu’être toi… Lui assuré-je d’une voix calme, attendant patiemment sa réaction.
Il s’enfonce une nouvelle fois dans son mutisme, comme s’il lui fallait du temps pour digérer l’information. Il se découvre père du jour au lendemain, et je ne peux qu’imaginer à quel point cela doit être un choc pour lui.

-Pour… Pourquoi tu m’as rien dit, Rosie ? Me demande-t-il, complètement sonné, déboussolé.

-Tu étais reparti en Suède, Sven… Lui expliqué-je alors, doucement, en réfléchissant aux mots que je pourrai employer. Et… J’ai fait un déni de grossesse, je ne l’ai découvert que sur le tard.. Et on avait déjà décidé de ne plus garder contact, tous les deux…
-C’est pas une raison, ça, Rosie.. Réplique-t-il en secouant la tête.
-Je sais bien, mais j’étais perdue à l’époque, Sven. J’étais amoureuse, j’étais au fond du trou parce que tu étais parti et du jour au lendemain, j’ai découvert que j’allais devenir mère, à seulement 18 ans… Puis, après je me suis dit … Que ça allait plus te faire souffrir qu’autre chose… Que toi tu vis en Suède et nous ici… Je ne voulais pas que tu sois déchiré parce que tu as une fille mais que je ne peux pas la voir et t’en occuper… Poursuis-je mon explication, le cœur serré, stressée, ne sachant comment vont se passer les choses ensuite.
-Je… Je suis désolé que tu ais eu à affronter ça toute seule. Finit-il par soupirer après un silence. C’était pas évident pour moi non plus mais j’étais loin d’imaginer …
-Je sais… Et je suis désolée de t’avoir caché son existence. Quand je t’ai revu l’autre jour, et que j’ai réalisé que tu pouvais tomber sur elle, un jour, totalement par hasard, j’ai préféré t’en parler.
-Oui… Ca valait mieux en effet.. Me répond-t-il vaguement. Excuse-moi, il me faut un peu de temps pour digérer ça.
-Oui, bien sûr.. Je comprends…

Nous terminons le repas presque en silence. Nos brefs échanges se limitent à quelques banalités. Sven me pose quelques questions sur Joy, pour en apprendre plus sur elle. Petit à petit, il semble se détendre. Sans doute qu’il assimile mieux le fait qu’il ait une fille.
Quant à moi, je ne me sens pas forcément mieux. Quelque part, je me dis que c’est mieux qu’il soit au courant. Au moins, il pourra prendre une décision sur son implication dans la vie de Joy en connaissance de cause. D’un autre côté… Je suis stressée… Je ne sais pas de quoi demain sera fait et cela me perturbe. Ne plus avoir la main sur ma vie, une nouvelle fois, me gêne et me stresse.
Notre repas terminé, nous payons et Sven remet son manteau et son bonnet puis enlève ses lunettes pour éviter d’être gêné par la buée lorsqu’il va rentrer.
-Je ne sais pas comment tu fais pour rester en pull alors qu’il fait un froid de canard.
-Je suis résistante au froid, que veux-tu. Lui dis-je en souriant timidement. Tu sais… C’est bientôt l’anniversaire de Joy… Alors… Si tu veux faire sa connaissance, tu… Tu pourrais venir si tu veux… Enfin, si tu es encore là à ce moment-là, bien sûr. Lui proposé-je ensuite, lui offrant ainsi l’occasion de rencontrer, enfin, sa fille.
-Je vais m’arranger.