Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 34

Rosae
Une fusée. Ma fille a gagné une fusée.
Pas une fusée miniature, non. Une vraie fusée. Grandeur nature. Qui vole dans le ciel et dans l’espace. Qu’elle doit monter elle-même.
On m’aurait dit ça avant, j’aurais pensé à une blague. C’est impossible d’avoir sa propre fusée dans son jardin !
Et bien apparemment, et d’après les agents de l’agence spatiale venus livrer toutes les pièces et le matériels nécessaire, c’est possible. Surtout quand l’agence spatiale veut absolument recruter quelqu’un.
Je suis fière de Joy, fière de voir à quel point elle est brillante et intelligente, au point que l’agence spatiale lui offre une véritable fusée pour la convaincre de travailler pour eux dès qu’elle aura son diplôme en poche.
Mais une fusée ! Une fusée dans mon jardin !

J’ai encore du mal à réaliser, même lorsque je vois Joy bricoler dessus. Elle était soulagée et ravie que je ne vois pas d’inconvénients à avoir une fusée dans le jardin. En même temps, je dois avouer que j’étais beaucoup trop sonnée pour protester. Pendant une seconde, j’ai même cru à une caméra cachée.
Néanmoins, je ne vois pas comment j’aurais pu refuser. C’est son rêve d’aller dans l’espace. Cela l’a toujours fascinée. Avoir sa propre fusée, c’est l’occasion unique de pouvoir y aller à sa guise, et de faire des découvertes incroyables. Elle a travaillé dur pour l’obtenir. J’aurais été cruelle de dire non. D’autant plus que nous avons pile poil la place pour accueillir son engin.

Je sors régulièrement la voir pour m’assurer que tout va bien. Elle passe des heures dehors à monter les différentes pièces de sa fusée.
Autant dire que je ne suis pas rassurée. Je m’inquiète déjà quand elle bricole l’électroménager, alors, une fusée…
Mais elle m’assure qu’elle maîtrise et que je n’ai pas à m’en faire. Elle étudie beaucoup pour construire au mieux sa fusée. Elle se rend plusieurs fois à la bibliothèque pour trouver davantage de documents sur ce sujet. Je ne sais pas si elle peut trouver des plans de montage de fusée, mais puisqu’elle le dit …

Paul vient régulièrement à la maison. Il dit en plaisantant que cela lui repose les oreilles. Apparemment, les bambins de Pierre sont assez remuants et bruyants. S’ils tiennent de Pierre, cela ne m’étonne pas. Avec Lucia, ils doivent être épuisés le soir et doivent remercier Paul d’être là pour leur donner un coup de main de temps en temps. Et lui, il est heureux de passer du temps avec son neveu et sa nièce.
Mais je vois bien qu’il apprécie la compagnie d’une adulte et du calme d’une maison sans enfant en bas âge.
Et, quant à moi, c’est toujours un plaisir d’avoir un ami à la maison.
-Joy travaille toujours sur sa fusée ?
-Elle y passe tout son temps oui. Par moment, je me demande si j’ai une fille. Lui avoué-je, ce qui a l’air de l’amuser. Mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. J’ai peur qu’elle se fasse mal en montant sa fusée ou qu’il lui arrive quelque chose lorsqu’elle voudra aller voyager avec.

-Une fusée en état de voler ne se monte pas en un jour Rosie. D’ici qu’elle ait terminé, elle aura intégré l’agence spatiale et elle sera formée pour voyager dans l’espace. Tu n’as pas à t’en faire. Tente-t-il de me rassurer.
-Et si elle termine sa fusée avant ?
-Si elle est suffisamment intelligente pour se faire embaucher sur la base d’un projet scolaire et de se voir offrir une vraie fusée, elle le sera suffisamment pour ne pas prendre de risque. Elle veut voyager dans l’espace, pas se crasher au premier essai.
-Se crasher ? Tu es sûr que tu veux me rassurer ? Blêmis-je en réponse, ce qui fait rire Paul. Mais tu as raison… Quand elle n’est pas en train de bricoler sa fusée, elle est à la bibliothèque pour étudier les voyages spatiaux et la construction de fusée.
-Eh bien, tu vois que tu n’as pas à t’en faire!
-Mouais… Par moment, je me demande si ses visites à la bibliothèque ne cache pas quelque chose. Lui dis-je sur un ton suspicieux.
-Pourquoi ?

-Je crois qu’elle a un crush. Chuchoté-je alors que Joy traverse la maison pour ranger son matériel dans le garage.
-Qu’est-ce qui te fait dire ça ? Me demande-t-il en chuchotant, sur le ton de confidence.
-Oh deux-trois détails. Elle est de nature solitaire et elle se rend beaucoup à la bibliothèque sans jamais rien emprunter pour pouvoir étudier ici tranquillement. Et elle est bien souriante pour quelqu’un qui va « juste » étudier à la bibliothèque.
-Je vois. Me répond-t-il avec un sourire amusé, alors que je vois son regard se poser derrière moi.
-Vous parlez de quoi ? Nous interroge Joy tandis qu’elle est en train de se servir à manger dans le frigo. Avec Paul, nous nous regardons comme si nous avions peur d’avoir été pris en flagrant délit de commérage.
-Oh, ta mère s’inquiète juste de tes futures voyages dans l’espace. Lui dit-il le plus naturellement du monde alors que je me retiens de rire.
-Comme s’il y a besoin de s’inquiéter. Je vais être formée par l’agence spatiale pour pouvoir aller dans l’espace.
-C’est ce que je lui ai dis.

Joy
Je crois qu’ils me prennent pour une idiote. Je ne doute pas que ma mère s’inquiète pour moi car un voyage dans l’espace n’est pas anodin, mais vu comment ils ricanent, je ne pense pas qu’ils parlent seulement de mon avenir. Je ne sais pas ce qui les amuse mais pour être honnête, je préfère ne pas savoir.
-Je vais vous laisser. Annonce alors Paul tout en se levant du canapé. Il commence à se faire tard et ça doit être plus tranquille à la maison.
-Je te raccompagne. Lui répond Maman alors que je les observe avec un regard suspicieux.

Paul vient souvent à la maison voir Maman. Bien plus que Pierre ou encore Caroline. Même Tonton et Tata ne viennent pas aussi souvent. Maman dit qu’il a besoin de prendre l’air et de se reposer les oreilles, à cause de Patrick et Marina qui passent leur temps à crier chez Pierre et Lucia.
Mouais, quelque chose me dit qu’il n’y a pas que ça. Car si ça le gênait vraiment, il passerait son temps à chercher un appartement.
Non pas que je me plaigne de sa présence ici. J’aime bien Paul, il est gentil. Mais je trouve juste qu’il passe beaucoup de temps à la maison pour un simple ami. Et Maman est toujours heureuse qu’il vienne ici, et je ne l’ai jamais vu aussi souriante et de bonne humeur qu’après son passage.
Il y a anguille sous roche moi j’dis.
-Passe une bonne soirée Paul. Lui dit Maman en le raccompagnant à la porte.
-A toi aussi, Rosie. Lui répondit-il avec une voix… tendre ? Bonne soirée à toi aussi Joy !
-Merci, toi aussi.

Après avoir fermé derrière Paul, Maman se sert à son tour à manger. Je ne peux m’empêcher de l’observer du coin de l’œil. Elle est bien joyeuse dis donc, c’est indéniable. Je ne sais pas ce que lui fait Paul (et je ne veux surtout pas savoir) mais elle est toujours ainsi quand elle le voit.
-Il est gentil, Paul. Lui signalé-je, l’air de rien.
-Hein ? Oh oui. Il a toujours été adorable. Mon répond-t-elle distraitement. Je l’ai sorti de ses pensées visiblement.
-Au fait, tu savais que Papa a rencontré quelqu’un ? Tenté-je pour voir si je vais parvenir à la faire réagir.
-Pardon ?! Sursaute-t-elle de surprise. Depuis quand ? Qui c’est ? Il te l’a dit ?

-Cela fait quelques temps maintenant. Il l’a rencontré dans le cadre du boulot. Sa maison d’édition veut publier des artbook et comme elle est journaliste artistique, elle a été son contact privilégier pour trouver des artistes. Lui expliqué-je en me retenant de rire face à sa surprise. Ils ont pas mal de points communs apparemment.
-Oh c’est super ! C’est bien qu’il se soit trouvé quelqu’un, il mérite d’être heureux.
-Ouais c’est clair. Elle s’appelle Kalpita, elle devrait être là pour mon anniversaire. Elle aussi, elle est gentille.
-Comment ça, elle aussi ?
-Oh le lave-vaisselle est cassée ! Attends, je vais chercher de quoi le réparer ! M’exclamé-je en riant intérieurement, même si elle semble heureuse de savoir que Papa a refait sa vie.
Cela m’a surprise quand il me l’a annoncé. Il semblait un peu stressé à l’idée de m’en parler, du moins à ce que j’ai pu voir par la webcam. J’ai même pu discuter un peu avec Kalpita. Mais, j’ai surtout vu le regard de Papa sur elle. Il regardait de la même façon Maman, avant leur mariage annulé.
Et aujourd’hui, Maman regarde Paul de la même manière.

Je m’empresse de prendre un tournevis et de débrancher le lave-vaisselle. Je commence aussitôt à le bricoler pour essayer de le réparer.
-A quoi penses-tu quand tu dis qu’elle aussi, elle est gentille ? Me redemande Maman, n’étant pas dupe face à mon changement de sujet.
-Juste que Papa est heureux avec elle. Haussé-je les épaules. Et c’est chouette qu’il ait refait sa vie avec elle.
-Mais encore ?
-Mais il n’est pas le seul à mériter d’être heureux, Maman. Lui signalé-je plus clairement. Toi aussi tu as le droit de trouver quelqu’un.
-Et tu crois que j’ai besoin des conseils de ma fille adolescente ? Me demande-t-elle sur un ton sceptique.
-Je rappelle juste une évidence. Le lave-vaisselle est réparée ! Annoncé-je ensuite, avant de le rebrancher et de filer dans ma chambre.

Rosae
Joy est bien étrange ce soir. J’ignore ce qu’elle s’est mise en tête mais j’ai bien compris qu’elle a essayé de me faire passer un message.
Je reste songeuse, en sachant que Sven a rencontré quelqu’un et refait sa vie. Je savais que cela arriverait un jour, ou du moins, je l’espérais. Sven est un homme formidable et c’était certain qu’un jour, une femme le remarquerait aussi.
Je pensais que cela me bouleverserait, de le savoir de nouveau en couple. Il a été mon premier amour et savoir qu’il est maintenant avec une autre femme aurait pu me faire bizarre, me rendre nostalgique de ce temps lointain.
Mais en réalité, je suis juste heureuse pour lui. Il a tourné la page et c’est ce qui lui pouvait arriver de mieux.

Les jours suivants, Joy ne me fait plus de sous-entendus étranges. Je perçois ses regards amusés par moment, en particulier quand Paul est à la maison, mais je n’arrive pas à comprendre pourquoi cela l’amuse. Je ne sais pas ce qui se passe dans sa tête, mais je crois qu’il ne vaut mieux pas que je cherche à comprendre.
Et puis, en ce moment, elle n’a que le mot fusée dans la bouche, de toute façon. Je ne comprends pas tout quand elle en parle, alors je me contente de lui sourire et de hocher la tête.
C’est dans ces moments-là que je réalise qu’elle a grandi et qu’elle n’est plus une petite fille qui se contente de rêver d’un monde au-delà des étoiles.

Malgré le temps qu’elle passe sur sa fusée, elle prend quand même le temps de s’occuper de Phenix. Malgré l’automne bien avancée et la température fraîche, elle ne rechigne à le sortir pour qu’il puisse se dégourdir les pattes. Et ce, même si elle n’aime pas le froid.
La plupart du temps, elle en profite pour aller courir. Elle enfile sa tenue de sport et une bonne paire de baskets, et elle court avec Phenix. Elle dit qu’elle doit être en forme physiquement pour son futur travail. Elle se donne à fond, pour pouvoir réussir et réaliser ses rêves.
Je suis si fière d’elle, et je crains moins sa prochaine entrée dans l’âge adulte.
Même si j’ai du mal à réaliser qu’à mon âge, je vais déjà avoir une fille en âge de travailler et de mener sa propre vie.

Néanmoins, je vois bien que son esprit n’est pas totalement concentré sur son objectif de devenir astronaute. Et ce, même si elle me fait des cachotteries.
-Maman, je vais à la bibliothèque ! M’annonce-t-elle d’ailleurs, après s’être douchée à la suite de son footing avec Phenix.
-Encore ? Tu y passes beaucoup de temps décidément. Lui signalé-je, sur un ton amusé.
-Il faut bien, si je veux finir ma fusée et l’améliorer ! Et il faut que je me prépare pour mon futur travail ! Se justifie-t-elle avec un air innocent. Allez, à plus tard Maman !
-A plus tard. Lui répondis-je, loin d’être dupe.
Même si elle ne me le dit pas, je suis persuadée que derrière le mot « bibliothèque » se cache un garçon. Pour quelqu’un de solitaire, elle passe beaucoup trop de temps à la bibliothèque pour que cela soit innocent.
En supposant qu’elle aille réellement à la bibliothèque, mais je crois que je préfère ne pas savoir.