
-Bon, Rosae, ça suffit maintenant ! M’interpelle brusquement ma mère alors que je rentre à la maison. Je sursaute en entendant le son de sa voix, ne m’attendant absolument à me faire houspiller ainsi.
-Maman ? Qu’est-ce qui se passe ?
-Ce qui se passe ? C’est que je n’en peux plus de te voir ainsi, dans le déni !
-Dans le déni ? Hoqueté-je, ne comprenant pas ce qu’elle me dit. Quelle mouche l’a piqué aujourd’hui ?
-Tu t’es regardée dans un miroir récemment ? Tu as vu ton ventre ? Me demande-t-elle alors, en réponse, en me désignant mon ventre arrondi par l’overdose de samoussas et les ballonnements.

-Je ne comprends pas Maman… Tu me trouves trop grosse ? Je me suis peut-être trop réfugiée dans la nourriture dernièrement mais quand même, ce n’est pas une raison pour m’engueuler comme ça à peine rentrer à la maison…
Elle me regarde alors avec étonnement. Une surprise qui laisse ensuite place à un profond soupir. Elle secoue la tête de droite à gauche, comme si mon attitude la désespère. Je ne sais plus où me mettre. Je ne comprends rien à la situation.
-Tu trouves vraiment que ton ventre est celui d’une femme en surpoids ? Tente-t-elle quelque chose, me faisant froncer les sourcils. Où veut-elle en venir ?
-Bah … euh …
-Rosae, je vais être directe. Tu ne penses pas que tu pourrais être enceinte ? Me suggère-t-elle. Mon cœur rate un battement et je suis choquée par son hypothèse.
-Enceinte ? Mais ça va pas ! Tu en as de ces idées !

-Rosie, il serait peut-être temps d’ouvrir les yeux, non ? Cela fait un moment que j’ai des doutes et j’espérais que tu finisses par t’en rendre compte… Se radoucit ma mère, en employant un ton plus doux. Mais je vois bien que rien ne change et cela m’inquiète de te voir ainsi, dans le déni. Il faut que tu ouvres les yeux pour pouvoir te préparer à l’arrivé d’un bébé.
-Maman, c’est ridicule, je ne suis pas enceinte ! Je vais me mettre au sport si tu veux pour perdre mon ventre et tu verras que tu te fais des films. Persisté-je, trouvant l’idée complètement surréaliste. Moi ? Enceinte ? Je m’en serai rendue compte si c’était le cas. Surtout depuis le départ de Sven, quand même.
-Je t’ai acheté un test de grossesse. Vu tu en es, il n’y a pas le moindre doute mais je pense que cela te permettra d’ouvrir les yeux.
-Maman…
-Fais-le. S’il est négatif, promis, je ne t’embêterai plus. Insiste-t-elle en me mettant la boite dans la main. Son regard est sévère et ne laisse aucune possibilité de négocier. Je soupire, et je me rends l’étage.

Résignée et sachant que ma mère ne me lâchera pas tant que je n’aurais pas faire pipi sur ce bout de plastique, je m’exécute. Cela ne me coûte rien après tout et c’est sans doute le seul moyen de lui prouver qu’elle a tort.
Assise sur la cuvette des toilettes, j’attends patiemment le résultat, prête à ne voir qu’une seule barre apparaître. En quelques secondes, la barre de test apparaît, aussitôt suivi d’une deuxième barre.
Mes yeux s’arrondissent de stupeur. Deux barres. J’attends plusieurs minutes, espérant que l’une d’elle disparaisse. Mais il n’en est rien. Au bout de 5 minutes, le résultat est sans appel.
C’est positif. Je suis enceinte.
Je jette le test de grossesse à la poubelle. Sonnée, je me lave les mains. Je n’arrive pas à y croire, tandis que je me répète les mêmes mots dans mon esprit.
C’est… positif. Je suis… enceinte.

J’ai du mal à réaliser. Comment est-ce possible ? Je ne peux pas être enceinte, c’est pas possible… Cela fait si longtemps que Sven est parti et il n’y a eu personne d’autre depuis… Mon regard se pose sur mon ventre arrondi. Je prenais mon ventre pour du gras, et maintenant, je réalise qu’il s’agit d’un bébé qui grandit à l’intérieur. Au creux de mes entrailles, se développe un petit être qui n’était pas prévu au programme. Pas du tout.
Un bébé de Sven. Sven, qui est reparti en Suède. Un bébé dont le père est à l’autre bout du monde.
J’ai envie de vomir. Le sort s’acharne sur moi. Comme si le ciel cherchait à me punir pour mes choix.

Le ciel me tombe sur la tête. Tel un robot en état de choc, je m’avance vers ma chambre et je me laisse tomber sur mon lit. Je crois que je vais rester là pour toujours, espérant que la vie m’oublie un peu. Je commence à en avoir ma claque de tout ça. J’ai une sœur qui ne m’aime pas, un frère qui m’a tournée le dos, je suis tombée amoureuse d’un garçon qui a fini par retourner vivre chez lui en Suède et maintenant, je suis enceinte de lui. Ca fait trop pour une seule personne, je crois.
Je ne sais pas même si j’ai envie de devenir mère en plus. Mais vu l’état de mon ventre, il n’est plus possible de revenir en arrière.
La grosse blague.
Et pendant que je déprime, j’entends la porte de ma chambre s’ouvrir. Je devine qu’il s’agit de ma mère, qui vient vérifier un résultat qu’elle connaissait déjà. Je déteste quand elle a raison.
-Je devine que le test était positif, donc… Me dit-elle calmement. En toute réponse, je grogne un truc incompréhensible. Ne t’inquiète pas ma puce, tout va bien se passer…

-Tout va bien se passer ? M’écrié-je aussitôt en me levant d’un bond. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de mes émotions. Mais rien ne se passe bien Maman ! Comment ça pourrait bien se passer ? J’ai 18 ans, je commence à peine à bosser et je suis déjà enceinte ! Le père est en Suède et ne reviendra jamais ! Je me retrouve toute seule, avec un mioche que je ne voulais pas sur les bras ! Super ma vie ! J’ai un bel avenir devant moi dis donc !
Je lance un regard noir à ma mère, les nerfs en pelote. Mais elle ne dit rien, et continue de me regarder avec bienveillance. Sans doute met-elle ma colère sur le dos des hormones de grossesse. Elle attend que l’orage passe, tranquillement, patiemment.

-Tout va bien se passer. Confirme-t-elle une fois que j’ai cessé de crier, après un lourd silence. Car tu ne seras pas toute seule, ma puce. Nous sommes là, avec ton père, pour t’aider et t’épauler. Il ne reste pas beaucoup de temps avant la naissance, certes, mais nous n’allons pas te laisser tomber et tout faire pour accueillir cet enfant du mieux possible. Tu es notre fille, Rosie, et nous ferions n’importe quoi pour toi, ne l’oublie jamais. Ajoute-t-elle en m’offrant un sourire qui se veut rassurant.
Elle s’approche ensuite de moi pour me serrer fort dans ses bras. Ma colère s’envole et je laisse mes émotions m’envahir. Les larmes coulent toute seule et j’explose en sanglots, complètement désespérée.
-Que vais-je devenir, Maman ?
-Une femme extraordinaire. Parce que tu as ça dans le sang ! Me rassure-t-elle, avec une pointe de fierté dans la voix. Et là, je me rappelle que ma mère a bien eu des jumeaux, toute seule… Aider par mon père, certes. Comme moi, j’aurais mes deux parents, à mes côtés.


Les semaines continuent de se poursuivre. J’ai du mal à réaliser que je vais devenir mère. Je commence à ressentir les effets de la grossesse, ce qui n’était pas le cas avant avec le déni. Je ne sais pas si cela est une bonne chose ou non…
Je me suis longtemps demandée si je devais prévenir Sven ou non. Puis, je me suis dit : à quoi bon ? Que pourrait-il faire, à l’autre bout de la planète? Je ne lui créerai que des soucis et de la culpabilité en lui annonçant ma grossesse. Et je n’ai pas envie qu’il revienne juste pour assumer ses responsabilités, par obligation.
Non. Autant le préserver et le laisser dans l’ignorance. Je porterai ma croix seule.
En attendant, mes parents ont décidé de me changer de chambre. Etant donné que je vais rester à la maison plus longtemps que prévu, ils jugent qu’il est temps que j’ai une chambre plus adulte. Ma chambre n’étant pas adapté pour recevoir un lit double, ils ont redécoré l’ancienne chambre des jumeaux. Ma chambre deviendra celle de mon bébé.


Cela me fait tout drôle de dormir dans la chambre des jumeaux. J’ai eu peur de la réaction de Roxane mais je ne connaîtrais jamais la réponse. J’ignore si nos parents l’ont tenu au courant des derniers événements. Je n’ai plus de contact avec elle depuis longtemps et je n’ai que des bribes d’informations lorsque mes parents parlent d’elle. Mais cela me va et petit à petit, cela ne me fait plus rien de dormir dans cette chambre.
Et j’avoue que j’apprécie de dormir dans un grand lit, et non plus dans mon lit de petite fille.
Puis, chaque nuit, mes songes sont apaisés par la rose que Sven m’a offert, traitée pour durer éternellement dans le temps. Pour jamais devoir m’en séparer.

Maintenant que j’ai réalisé ma grossesse, mon corps se réveille. Par moment, c’est fascinant comme lorsque je sens le bébé bouger. C’est dingue de me dire qu’un bébé grandit, en ce moment même, dans mon ventre. J’ai du mal à réaliser et ces mouvements m’aident à comprendre que oui, je vais avoir un bébé et que ce n’est pas le fruit de mon imagination.
Malheureusement, il y a aussi le revers de la médaille. Je suis souvent victime de nausée, en particulier le matin. Je n’ai quasiment plus besoin de réveil, mes nausées se chargeant de cette lourde tâche.
Je n’en peux déjà plus.

Je suis dépitée face à la situation. Je commence à avoir mal au dos et mes nausées me fatiguent. Mon ventre m’encombre et je sens bien qu’au boulot, mes collègues essaient de me ménager. Mais je veux m’activer et non rester derrière un bureau !
Cela me désespère. Pourquoi a-t-il fallu que je tombe enceinte, au juste ?
-Maman, tu avais eu des nausées, toi ? Lui demandé-je en ayant du mal à avaler mon assiette pour le petit déjeuner. Comme souvent, je demande conseil à ma mère. Après tout, elle a vécu deux grossesses.
-Oh oui ! Surtout pour les jumeaux ! Mais ne t’inquiète pas, cela va finir par passer. Tente-t-elle de me rassurer, alors que mes yeux s’arrondissent comme des soucoupes.
-Tu crois que c’est des jumeaux que j’attends ? M’inquiété-je aussitôt. Déjà que je ne voulais pas d’un enfant, alors deux…
-C’est possible mais cela reste exceptionnel ma puce. J’espère pour toi qu’effectivement, il n’y en ait qu’un. Mais mon ventre était plus gros que le tien quand j’attendais les jumeaux, si cela peut te rassurer.
-Super. Bougonné-je en toute réponse, priant le ciel que je n’ai pas une mauvaise surprise.