
Je suis rentrée sur la pointe des pieds, après mon rendez-vous avec Paul. J’étais comme sur un nuage, mais la réalité est là pour me rappeler que c’est juste une impression. Heureusement, Joy dormait profondément et ne m’a pas entendu rentrer.
J’ai eu du mal à m’endormir, ne cessant de repenser à chaque instant de cette soirée. Un sourire béat sur les lèvres, j’ai l’impression d’avoir des réactions d’adolescente, avec l’envie de hurler de bonheur et les papillons dans le ventre.
Je dois cependant me contenir, du moins en présence de ma fille. Mon histoire avec Paul émerge à peine et il est beaucoup trop tôt pour lui en parler. Et si, au final, notre histoire avec Paul ne nous menait à rien ? Je ne voudrais pas perturber Joy et je préfère que tout soit sur de bonnes bases avant de la mettre au courant.
Après tout, je dois avant tout penser à elle.
-Tu n’as pas froid dans cette tenue ? Lui demandé-je alors qu’elle travaille sur sa fusée dans sa légère salopette-short et en sandale. L’automne est bien avancé et l’air se rafraîchit considérablement.

-Mais non Maman, ne t’inquiète pas. M’assure Joy sans se déconcentrer sur sa tâche. Elle n’a pensé qu’à sa fusée durant toute la matinée et ne semble avoir rien remarqué à mon égard. Par moment, je me demande si elle pourrait s’apercevoir de quoique ce soit quand elle travaille ainsi sur sa fusée. Et je te signale que tu n’es pas plus réchauffer que moi avec ta robe.
-C’est pas faux. M’amusé-je de sa répartie.
-C’était bien ta soirée film d’horreur au fait ? Me demande-t-elle ensuite sans pour autant me jeter un regard, n’ayant d’yeux que pour sa fusée.
-Les films n’étaient pas terribles mais on a bien ri. Me contenté-je de lui répondre, un peu mal à l’aise. Néanmoins, elle ne relève rien. Elle se contente juste de hocher la tête, avant de recentrer toute son attention sur sa fusée.

Soulagée, je décide de la laisser travailler tranquillement. Je ne voudrai pas qu’elle se fasse mal parce que je la déconcentre avec mes questions, et mon niveau en bricolage est tellement au ras des pâquerettes que je ne peux même pas lui donner un coup de main. Je vais donc m’installer sur une chaise longue, pour profiter du beau temps et garder un œil sur Joy.
Petit à petit, je laisse mon esprit vagabonder. Mes pensées reviennent à Paul, et à notre soirée de la veille. Même si je ne regrette rien, cela me fait drôle de me dire que je sors avec l’un de mes meilleurs amis. Nous avons grandi ensemble, nous nous sommes soutenus dans les épreuves. Cerise sur le gâteau, son père a connu ma mère et de cette relation a résulté Ryan et Roxane.
Roxane… Il faudra que je l’appelle. Même si nous nous sommes réconciliées, j’espère que mon histoire avec Paul ne viendra pas ternir notre relation encore fragile. J’ai un instant de doute. Est-ce que ça vaut vraiment le coup de tout risquer ? Que ce soit mon amitié avec Paul, que ma relation avec ma sœur ? Après tout, j’ai très bien vécu toute seule, durant toutes ces années… Ai-je vraiment besoin d’un homme dans ma vie ?

-WOUF !
Je sursaute, sortant brusquement de mes pensées. Phenix se tient tranquillement à côté de moi, sa balle juste devant ses pattes. Son regard plein d’espoir ne laisse aucun doute : ce gros pépère veut jouer. Je ne peux m’empêcher de rire en voyant sa bouille. Je m’assois sur le bord de la chaise et je le caresse derrière les oreilles.
Mon brave Phenix, tu as de la chance d’être un chien. Ta vie est simple et tu arrives parfaitement à te faire comprendre sans avoir de parler. Un simple regard et cela suffit.
Comme un simple regard de Paul suffit à me faire envoler tous mes doutes.
Peut-être devrais-je simplement arrêter de me prendre la tête et de profiter de l’instant présent.

Les semaines passent. Petit à petit, l’hiver prend la place de l’automne et recouvre les paysages d’un épais manteau blanc.
J’aime beaucoup l’hiver et les paysages enneigés. C’est absolument magnifique.
Aujourd’hui, je ne travaille pas. Je profite de mon temps libre pour voir Paul, et nous sommes sortis au parc de Willow Creek pour patiner.
Nous nous voyons en secret, pour le moment. Nous avons tous les deux conscience qu’il vaut mieux attendre que notre relation ait des bases solides pour commencer à en parler autour de nous.
Et puis, je dois avouer que c’est agréable. Cela me donne l’impression que notre histoire est notre petite bulle à nous, rien qu’à nous, dissimulée aux yeux de tous.

Durant toutes ces semaines, mes quelques doutes se sont envolés, en compagnie de Paul. Je profite de chaque instant avec lui et petit à petit, il parvient à faire tomber toutes mes barrières sans même s’en rendre compte. Nous voulons prendre notre temps et profiter de chaque instant, mais tout me semble être une évidence avec lui. Et le fait que nous étions amis avant d’être ensemble ne fait que renforcer toute l’affection que nous éprouvons l’un pour l’autre aujourd’hui.

Par moment, cela me fait peur, car je ne peux m’empêcher de repenser à la manière dont s’est terminé mon histoire avec Sven. Il était mon premier amour, je l’ai aimé de tout mon être à l’époque, mais cet amour a fini par disparaître avec le temps. Au final, alors que nous aurions du nous marier, je l’ai trompé et abandonné devant l’autel.
Mais tout à changer maintenant. Je ne batifole plus de droite à gauche, et cela ne m’amuse plus de séduire les hommes juste pour le fun et me vider l’esprit. Ce n’est absolument plus ce dont j’ai envie aujourd’hui.
Dorénavant, j’ai besoin de stabilité. J’ai besoin de construire véritablement quelque chose de solide. Et je suis certaine que Paul peut m’apporter tout ça.

Nous finissons par quitter la piste de patinage, devant notre absence d’aisance sur la glace. Nous nous posons ensuite sur un banc, pour profiter tranquillement du paysage et de la présence de l’autre.
Je me sens si bien, avec Paul. Je peux tout partager, autant des banalités que mes doutes. Je lui raconte mes journées et de ma crainte de voir la responsable de l’association partir à la retraite. Des bruits de couloir affirment que je suis en bonne place pour prendre sa succession et j’avoue que cela me fait un peu peur de prendre la relève. Mais Paul me rassure, et m’affirme que si la responsable juge que je suis à la hauteur pour gérer l’association, c’est que je le suis. Il n’y a pas plus passionnée que moi par cette association, d’après lui.
Je lui ai parlé de ma sœur, aussi, et de ma peur de la voir mal réagir face à notre relation. Il ne s’est pas vexé, et il a fait son possible pour me rassurer. Si jamais Roxane venait à se montrer hostile, il m’assure que nous trouverons une solution.
C’est justement ça, l’avantage d’être deux. C’est de pouvoir se soutenir et résoudre les problèmes ensemble.

Malgré le froid de l’hiver, je me sens réchauffée auprès de lui. Je me cale bien contre lui et je savoure sa présence. Je pourrai rester des heures ainsi, dans ses bras, sans jamais avoir l’impression de m’ennuyer. Je le regarde avec tendresse, et une idée fugace me vient soudain en tête.
-Paul ?
-Oui ?
-C’est bientôt l’anniversaire de Joy… Tu sais, on organise une petite fête toute simple avec juste la famille. Tu voudrais te joindre à nous ? Lui proposé-je alors, sans même y réfléchir davantage.

Je vois aussitôt la surprise sur son visage. Je ne peux m’empêcher de rougir. Je lui ai déjà parlé de l’anniversaire de Joy qui approche à grand pas, et il sait que son frère et sa sœur ne seront pas présent. Cela rend ma fille nerveuse quand il y a trop de monde, donc les invités sont limités à mon frère et son épouse, ainsi que ma sœur. La présence des enfants de mon frère n’est même pas encore certaine, dépendant de leur projet respectif. Sven fera également le déplacement pour l’occasion, accompagnée de sa compagne.
Ainsi, proposer à Paul de venir à l’anniversaire de ma fille revient à l’intégrer officiellement à notre famille. Et étrangement, sa présence est une évidence à mes yeux.
-Tu es sûre de toi ? Me demande-t-il, alors que je vois dans son regard qu’il a envie d’accepter. Je ne voudrais pas que tu te sentes obligée… Je sais que tu redoutes un peu la réaction de Ryan et Roxane face à notre relation…

-C’est toujours le cas. L’admis-je. Mais je ne pensais pas annoncer officiellement notre relation à ce moment-là. Je ne voudrais pas voler la vedette à ma fille, ni risquer de gâcher son anniversaire avec une réaction disproportionnée de ma sœur… Je.. J’aimerais juste que tu sois là.
Il me sourit tendrement puis approche son visage du mien pour m’embrasser. J’apprécie le contact de ses lèvres sur les miennes et je crois que je ne pourrai jamais m’en lasser.
-Je viendrai avec plaisir. Me répond-t-il finalement. Enfin, si Joy veut bien de moi à son anniversaire.
-Tu plaisantes, elle t’adore. Elle sera ravie que tu viennes.
-Tu ne penses pas d’ailleurs, qu’il serait temps de lui parler de nous ? M’interroge-t-il ensuite. Je comprends que tu veuilles la protéger, mais vu comment elle nous regarde lorsque je viens chez vous, je suis presque sûr qu’elle a déjà deviné.
-Tu crois ? M’étonné-je alors. Je côtoie Joy tous les jours et je n’ai remarqué aucun changement de comportement de sa part. Elle ne m’a rien dit non plus… Mais connaissant son intelligence et sa capacité d’observation, je ne serai pas surprise. Peut-être attend-t-elle simplement que je sois prête à lui en parler pour me faire une remarque. Tu as raison. Nous lui en parlerons après son anniversaire.