
Quelques semaines sont passés depuis que j’ai revu Paul au restaurant. Je lui ai beaucoup parlé par téléphone, mais nous n’avons pas eu beaucoup d’occasions de nous voir en raison des dernières formalités de son divorce avec Sylvia. Etant donné qu’ils n’ont pas eu d’enfants, et qu’ils sont tous les deux d’accord pour se séparer et en finir le plus rapidement possible, le processus est, au final, assez simple.
Aujourd’hui, Paul est officiellement divorcé. D’après Pierre, le jour où il a signé les papiers mettant fin à son mariage, il n’avait jamais vu Paul aussi malheureux. J’avais mal au cœur pour lui, ne sachant pas quoi faire pour lui remonter le moral.
Puis, Caroline a fini par accoucher, d’un deuxième petit garçon. Un petit Eric. Apparemment, Hugo est ravi d’être grand frère et il a déjà hâte qu’Eric grandisse pour jouer avec lui et avec leurs cousins. J’ai eu une pensée pour Marina, seule fille au milieu de Patrick, Hugo et maintenant Eric. La pauvre, il va falloir qu’elle s’affirme pour s’imposer au milieu des garçons.
Mais cette merveille naissance me permet de mettre mon plan à exécution, avec Caroline et Pierre comme complices. Tous les deux ont trouvé l’idée super.
Alors un soir, nous nous donnons rendez-vous devant le bowling, celui où nous sortions lorsque nous étions adolescents. L’objectif ? Rappeler de bons souvenirs à Paul et lui changer les idées avec nous.
Et accessoirement, lui permettre de se défouler sur les quilles.
-Salut Caro ! Salué-je ma meilleure amie alors qu’elle vient d’arriver avec Pierre et Paul, qui est surpris de la destination. Pas trop dur de laisser Eric ?
-Oh ça va aller. Je fais confiance à Manon pour gérer les garçons. M’affirme-t-elle avec un sourire. Et elle est contente que je m’accorde du temps pour m’amuser. Surtout pour une mission commando !
-Ha ha ! Réagit sans attendre Paul. J’ignorais que le bowling avait des vertus thérapeutiques !
-C’est pour te rappeler ta folle jeunesse, quand tu étais encore plus relou qu’aujourd’hui ! Le taquine sans attendre Pierre, ne manquant pas une occasion de plaisanter. Comme à son habitude.

Nous ne tardons pas ensuite à entrer à l’intérieur du bowling comptant sur notre enthousiasme pour contaminer Paul. Il semble un peu réticent et dubitatif, mais petit à petit, il semble se détendre.
Très vite, nous avons les chaussures aux pieds et nous nous rendons sur notre piste de bowling. Je suis la première à passer et je m’empresse à me saisir d’une boule pour la lancer en direction des quilles.
-Quel déhanché Rosie ! On comprend pourquoi Sven à succomber ! Ne tarde pas à me chambrer Pierre, avec son humour habituel, comme s’il essayait de me déconcentrer.
-Mais quel humour dis donc ! Lui répliqué-je sans quitter ma boule des yeux.

-Et voilà le travail ! Ne tardé-je pas à me vanter en voyant toutes les quilles tomber après le passage de ma boule. Un magnifique strike !
-C’est juste parce que tu es encore fraîche et dispo ! Je suis sûr que si tu bois un verre, tu enverras ta boule dans la piste d’à côté ! Fait mine Pierre de ne pas être convaincu. En réponse, Caroline lui donne une tape sur l’épaule en l’invitant à ne pas être mauvais joueur.
-C’est juste que tu es jaloux car tu as toujours été nul au bowling. Ne manque pas de répliquer Paul à son tour. Je ne peux m’empêcher de sourire en voyant que mon ami se prend au jeu et s’imprègne dans l’ambiance de la soirée.
-Je ne vois ab-so-lu-ment pas de quoi tu parles ! La chaleur tropicale t’a ramolli le cerveau car j’ai toujours été naturellement doué ! Nie effrontément Pierre, ce qui ne manque pas de faire rire tout le monde.
-Mon pauvre Pierre, toujours en plein déni face à la réalité ! En rajouté-je une couche à mon tour.

La soirée se déroule le plus merveilleusement du monde. Les tracas semblent bien loin dans nos esprits et je n’ai pas vu Paul sourire et rire autant depuis son retour. Mon cœur se réchauffe en le voyant ainsi, et je me dis que j’ai eu une bonne idée d’organiser cette soirée. Je sais d’expérience que, lorsque l’on va mal, il n’y a rien de mieux que l’amour des personnes qui nous sont proches pour aller mieux.
Pendant que Pierre essaie de se concentrer pour lancer sa boule, qui finira certainement dans la gouttière, Paul en profite pour me prendre à part pour me parler.
-Caroline m’a dit que c’est toi qui a eu l’idée de cette soirée. M’avoue-t-il alors avec calme, alors que je me demande où il veut en venir.
-Oui, je me suis dit que cela te ferait du bien qu’on se réunisse tous ensemble, rien que tous les quatre. Comme au bon vieux temps !
-Tu as eu raison, Rosie… Je.. Merci beaucoup. Ca me touche. Me dit-il ensuite avant de me prendre dans ses bras avec reconnaissance. Je lui rends son étreinte avec plaisir, ravie d’avoir réussi à lui rendre le sourire.
-C’est normal Paul. Je serai toujours là pour toi, tu sais ? Je n’aime pas te voir malheureux. Lui assuré-je, alors que je me surprends à ne pas avoir envie de quitter ses bras.
-Je sais. Et moi aussi, je suis là pour toi si tu as besoin. Et…
-Hey Paul ! Quand tu auras fini d’essayer de pécho Rosie, tu pourras venir jouer ? C’est à ton tour ! Le coupe brusquement Pierre en nous faisant sursauter. Aussitôt, nous nous éloignons l’un de l’autre, un peu gênés, et Paul ne tarde pas à s’emparer d’une boule pour la lancer sur la piste, comme pour se donner une contenance.
Quant à moi, j’essaie de faire comme si de rien était. Après tout, Pierre ne faisait que plaisanter.

La soirée reprend son cours, et j’essaie de penser à autre chose. Je n’ai pas à être perturbée de toute façon. Paul est un de mes meilleurs amis et il m’a pris dans ses bras pour me remercier d’être présente pour lui. Il n’y a rien de mal, ni d’extraordinaire. Son étreinte était agréable, mais un câlin fait toujours du bien, même sans aucune intention romantique.
Alors, pourquoi suis-je si perturbée lorsque je me plonge dans le regard de Paul ?
-Hey ! C’est qui la meilleure ? S’exclame Caroline en faisant une danse de la joie après son quatrième strike de la partie. Même en venant d’accoucher, je vous lamine tous au bowling !
-Par contre, en danse, tu as encore des progrès à faire la frangine ! Rétorque sans attendre Pierre.
-Espèce de jaloux! Moi au moins, je suis bonne dans un domaine !
-Dans un domaine seulement ? Ma pauvre, je compatis tellement !

J’écoute mes amis d’une oreille, tellement je suis perdue dans mes pensées. Je réagis à peine aux plaisanteries de Pierre, même s’il ne manque pas d’amuser la galerie. Je sursaute lorsqu’on m’appelle parce que c’est à mon tour de jouer.
Je secoue la tête. J’ignore pourquoi je me prends autant la tête. Paul m’a juste manqué durant plusieurs années et je suis heureuse de le retrouver, rien de plus.
Je m’empare d’une boule de bowling et je m’empresse de la lancer. Mais, je trébuche en la lançant et je m’étale de tout mon long sur la piste de bowling !
J’entends Pierre éclater de rire derrière moi, chose qui n’est pas surprenant de sa part. Caroline me demande si je vais bien. Mon ego et moi avons tellement honte que nous n’osons pas nous relever pour affronter le regard des autres.
Paul, lui, s’empresse de venir vers moi pour s’assurer que je vais bien. Je hoche la tête pour confirmer que tout va bien, et il m’aide à me relever. Je vois l’inquiétude sur son regard et je lui offre un grand sourire pour le rassurer.
Je vais certainement m’en sortir avec des bleus et une dignité au fond des chaussettes.

Après notre partie de bowling où Caroline, sans surprise, en est sortie victorieuse, nous nous sommes rapatriés dans l’espace jeux du bowling.
Soidisant pour que j’évite d’esquinter mes vieux os, d’après Pierre. Je n’ai pas manqué de le fusiller gentiment du regard en lui rappelant que si mes os sont vieux, les siens le sont encore plus.
Le baby-foot étant libre, nous avons décidé de faire une partie. Les filles contre les garçons ! Avec Caroline, nous nous sommes lancées un regard confiant, prêtes à prouver notre supériorité féminine aux garçons. Nous nous motivons et nous donnons à fond pour les battre.

Malheureusement, nos efforts sont vains et nous sommes obligées de reconnaître qu’ils ont été plus forts que nous. Nous n’avons même pas réussies à marquer un seul point !
Et, évidemment, Pierre ne manque pas cette occasion pour se mettre en avant !
-Eh oui les filles, ils restent des domaines où les hommes, les vrais, restent les meilleurs ! S’exclame-t-il, fier comme un coq, en bombant le torse. N’est-ce pas Paul ?
-Je ne suis pas sûr que tu devrais jouer sur ce terrain-là. Se montre plus réserver ce dernier, alors que Caroline affiche un sourire moqueur.
-Ne t’inquiète pas Paul. Il est vrai que Pierre a eu une belle victoire à un sport à la hauteur de ses capacités ! C’est beau de gagner à un jeu de foot … miniature. Rétorque alors Caroline alors que je ne peux m’empêcher de ricaner. Pierre, lui, ne semble pas comprendre, ce qui ne fait qu’augmenter notre hilarité.
-Tu sais qu’elle vient de dire qu’en sport, t’es nul, sauf quand c’est une version miniature ? Lui traduit alors Paul en se retenant de rire alors que Pierre réfute aussitôt cette affirmation.
-Et en plus, tu peux dire merci à Paul car c’est lui qui a tout fait ! En rajouté-je une couche.
-Tututu ! C’est juste grâce à mon immense talent que nous avons gagné ! Et… Qu’est-ce que tu regardes, toi ? S’adresse-t-il subitement à son frère qui regarde vers le sol.
-Tes chevilles. Je vérifie qu’elles n’enflent pas trop. Lui répond-t-il au tac-au-tac, nous faisant éclater de rire, fou rire accentuer par la mine déconfite de Pierre.

Je suis rentrée tard de ma soirée avec mes amis. J’ai essayé de faire le moins de bruit possible pour éviter de réveiller Joy. Je me suis endormie avec le sourire ce soir-là, ravie de cette soirée. J’ai réalisé que cela faisait longtemps que je ne m’étais pas accordée une sortie le soir. Pas depuis la mort de mon père, il me semble. Je me suis consacrée à ma fille, et je ne le regrette absolument pas.
Mais je dois bien l’admettre. Cela m’avait manqué de prendre du temps pour moi et de sortir avec mes amis.
Quelques jours plus tard, alors que je range au frigo les préparations pour le repas de ce soir, Joy rentre du lycée avec une moue gênée sur le visage. Je fronce les sourcils, me demandant ce qui a bien pu se passer aujourd’hui.
-Joy ? Tout va bien ?
-Maman… Est-ce que je peux te parler ? Me demande-t-elle, hésitante, visiblement embarrassée.
-Bien sûr ma puce, viens t’asseoir. Lui proposé-je en m’installant moi-même à table.

Elle hésite un instant, puis vient s’asseoir sur la chaise face à moi. Elle ose à peine me regarder dans les yeux. On dirait une enfant qui a fait une bêtise. Cela m’intrigue davantage car Joy a toujours été sage. Qu’a-t-elle bien pu faire pour être dans cet état-là ?
-Joy, tu m’inquiètes, qu’est-ce qui se passe ?
-Maman, tu te souviens que le lycée, en partenariat avec de hauts établissements scientifiques, avait organisé un concours de sciences ? On devait réaliser une maquette avec une petite expérience, et il y avait des prix à gagner. M’explique-t-elle pour introduire son propos alors que j’ai du mal à voir où elle veut en venir.
-Bien sûr, tu as passé des jours dans ta chambre ou dans le garage à travailler dessus. J’ai presque cru que je vivais seule ici. Lui confirmé-je. Tu as eu le résultat ? Tu sais, si tu as perdu, ce n’est pas grave. Je ne vais pas me fâcher, je suis déjà très fière de toi que tu te sois inscrite pour participer et ton travail était superbe.

-Ce n’est pas ça Maman. Me contredit Joy en secouant la tête. Au contraire, je suis arrivée première. Il y a même quelqu’un de l’agence spatiale qui m’a donné sa carte pour que je l’appelle quand j’aurais fini mes études.
-Et bien c’est super ça, ma chérie ! M’exclamé-je aussitôt, fière de ma fille. Elle a toujours été intelligente et je suis ravie qu’elle réussisse ce qu’elle entreprend. Et grâce à ça, un brillant avenir semble lui ouvrir les bras. Qu’est-ce qui te perturbe alors ?
-Oui c’est super cool et je vais pouvoir faire le métier de mes rêves. Le problème, c’est le premier prix du concours. Je pensais que c’était une maquette qui était à gagner …
-Qu’est-ce qu’il a, alors, ce premier prix ?
-Eh bien… On va dire qu’il est un tantinet plus gros… qu’une simple maquette….