
La vie est paisible, à Brindleton Bay. La ville est plus reculée, plus éloignée des tumultes du centre-ville. L’air marin fait du bien, aussi, et aide à se détendre lorsqu’il est temps de souffler.
Brindleton Bay, c’est l’opposé de mes envies de jeunesse. Je voulais vivre à San Myshuno, avant, et être proche de mon lieu de travail. Je voulais profiter du mode de vie de la ville et pouvoir sortir autant que je le souhaitais.
Je dois d’ailleurs avouer qu’en décidant d’acheter cette maison, j’avais peur de m’ennuyer. Qu’une fois avoir passé ma journée au travail à San Myshuno, je ne veuille pas tourner en rond dans la campagne.
Mais finalement, je me surprends à aimer ce calme.

Je passe mes journées à courir, et ma charge de travail ne cesse d’augmenter au et à mesure où je progresse dans ma carrière. Cela ne me déplaît pas, bien au contraire, je suis passionnée par mon travail. C’est exaltant et je me sens utile.
Mais retrouver le calme de la campagne le soir, pouvoir me poser sur une chaise longue pour profiter du soleil, cela me fait un bien fou. Cela me détend, cela me permet de me ressourcer et de recharger les batteries. C’est comme si j’étais en vacances dès l’instant où e mets un pied chez moi.
Je ne pouvais pas espérer mieux, je crois. Et quelque part, cela me montre que j’ai fait le bon choix, pour une fois.

Je n’éprouve même pas le besoin de sortir le soir. Être en tête à tête avec ma fille ne me gêne pas, et surtout, cela ne m’effraie plus. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, et qu’elle soit malheureuse avec moi, mais j’ai l’impression que nous avons trouvé notre rythme et notre équilibre, toutes les deux. Je m’améliore même aux échecs ! Je suis loin d’avoir le niveau de Joy, mais je sens qu’elle apprécie davantage de jouer avec moi. Comme quoi, je ne suis pas un cas désespérée !

Néanmoins, il lui arrive de refuser une partie d’échecs avec sa mère. Nous nous sommes rapprochées, certes, mais Joy apprécie ses moments en solitaire, où elle préfère s’occuper toute seule. Elle joue pendant sur son atelier de petit chimiste, où elle s’amuse à faire des expériences diverses. Je ne sais pas ce qu’elle fait, mais du moment qu’elle ne fait pas de bêtise, cela me convient. Je sais que c’est une manière pour elle de se rapprocher de sa grand-mère.

Par moment, lorsqu’elle n’est pas dans sa chambre, je la surprends dans le jardin. Elle s’y trouve souvent le soir, lorsque la nuit prend la place du jour, quand la lune remplace le soleil. Elle s’allonge sur la pelouse et observe le ciel, sans rien faire d’autre.
Je dois avouer que cela m’intrigue, de la voir agir ainsi. Je la sais fascinée par les étoiles et la vie extraterrestre, mais au point de regarder le ciel pendant des heures ?
Par moment, je regrette qu’elle passe autant de temps seule. J’aimerai la voir avec des enfants de son âge, se faire des amis, aller au parc. J’ai peur qu’elle regrette de ne pas avoir eu une enfance similaire à celle des autres enfants. Des fois, j’ai peur que ce ne soit de ma faute. Est-ce que mon absence l’aurait dissuadée de s’ouvrir aux autres ? L’aurais-je dégoûtée des sorties ?

Je lui ai déjà posé la question, d’ailleurs, mais elle m’assure que tout va bien. Qu’elle préfère être toute seule et que cela ne la gêne pas. Je veux bien la croire, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Cependant, je préfère ne pas insister avec mes questions. Je sais bien qu’à la longue, je l’ennuie avec mes questions.
Puis, je repense à son anniversaire. Bientôt, elle va devenir une adolescente. Le temps passe si vite… Je ne l’ai pas vu grandir. Peut-être s’ouvrira-t-elle davantage au monde à ce moment-là ?
J’aimerai tellement qu’elle est un ami…

Un jour, après le travail, je m’arrête faire un tour chez Caroline et Manon. J’ai envie de voir comment elles vont, mais surtout, découvrir la bouille de mon filleul.
En effet, Caroline a accouché ! Elle a mis au monde un petit garçon, le soir-même de ma crémaillère. Sur le chemin du retour, elles n’ont pas eu le temps d’arriver à San Myshuno qu’il a fallu faire un détour par l’hôpital. Tout le monde va bien et j’ai vite craqué découvrant le visage du bébé. Ca y est, je suis marraine ! Et il s’appelle Hugo Lothario-Munch. Pas de jalouses, il porte le nom de ses deux mamans.
-Alors, comment se passe la vie à trois ? Demandé-je à Manon, qui est seule avec Hugo aujourd’hui. En effet, Caroline a du s’absenter pour aller à un rendez-vous.
-On trouve petit à petit notre rythme. J’essaie de m’occuper plus d’Hugo pour permettre à Caroline de se reposer, mais elle ne veut pas me laisser tout faire.
-Cela se comprend, elle veut aussi tisser des liens avec lui.
-Certes, mais elle l’a porté pendant 9 mois et l’a mis au monde. Je ne voudrai pas qu’elle se fatigue plus que nécessaire. D’autant plus qu’elle l’allaite.
-Je ne m’inquiète pas, vous allez finir par trouver votre équilibre !
-Bien sûr. Me confirme-t-elle avec le sourire. Tu veux aller le voir ? Il est dans notre chambre pour le moment, le temps qu’on refasse mon bureau.

J’hésite un instant, puis je finis par me lever pour me rendre dans la chambre. A peine la porte ouverte, je découvre le berceau dans lequel est installé Hugo. J’essaie d’être discrète, mais il ne tarde pas à pleurer.
Je me sens subitement mal à l’aise. Je ne sais pas quoi faire pour qu’il arrête de pleurer. J’essaie de lui parler, mais cela ne change rien. Je me souviens alors de l’époque où Joy était un nouveau-né. Une époque où j’étais incapable de m’occuper d’elle, et de la tenir dans mes bras. Où mes parents faisaient tout à ma place.
Je me sens honteuse, maintenant.

Pour tenter de calmer Hugo, je me décide à le prendre dans mes bras. Je fais attention à ne pas lui faire mal. J’essaie de le bercer et il finit par cesser de pleurer. Je m’attendris devant sa bouille d’ange. Caroline et Manon ont bien fait de faire le nécessaire pour avoir un bébé, il est vraiment trop mignon !
J’en viens même à apprécier de le tenir dans mes bras, avant de ressentir du regret. Je n’ai jamais pu profiter de ces instants avec ma propre fille, et je ne pourrai plus jamais le vivre maintenant. J’ai laissé passer ma chance et ces instants m’ont échappé à tout jamais.
Une odeur nauséabonde me sort brusquement de ma mélancolie et je ne peux retenir une grimace.
-Manon ??? Je crois qu’Hugo a fait un gros popo dans sa couche ! L’appelé-je à l’aide. Étrangement, je ne regrette absolument pas d’avoir été incapable de changer les couches de ma fille.

Quelques jours plus tard, l’anniversaire de Joy approche à grand pas ! Nous le célébrerons à la fin de la semaine, j’ai réfléchi pendant des jours au cadeau que je pourrai lui offrir. Je tiens à lui offrir quelque chose qui lui fasse plaisir, et qu’elle pourra garder pendant longtemps. Je n’ai pas envie de faire d’impair avec elle, comme j’ai pu le faire par le passé…
Hier soir, l’évidence est survenu dans mon esprit. La bonne idée comme on dit. Dès que Joy part pour l’école, je me jette sur l’ordinateur pour faire des recherches sur internet. Je veux tout soit parfait et un tel cadeau ne s’improvise pas. Par chance, je n’ai aucun mal à trouver les informations dont j’ai besoin et très vite, je trouve mon bonheur.
J’ai tellement hâte de découvrir son visage lorsqu’elle le découvrira !