
Un mauvais pressentiment… J’ai eu du mal à dormir une bonne partie de la nuit à cause d’un mauvais pressentiment qui me rongeait les entrailles. Une petite voix dans ma tête me conseille d’aller dans la chambre de mes parents. Je ne saurais pas l’expliquer, peut-être est-ce mon instinct qui me parle.
Quoiqu’il en soit, je n’arrête pas de tourner encore et encore dans mon lit. Peut-être vaut-il mieux que je l’écoute… Je me lève donc et, en faisant attention à ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller Joy, je me dirige doucement vers la chambre de mon père…
J’ai du mal à en croire mes yeux. En ouvrant la porte de la chambre, je découvre le corps de mon père, étendu sur le sol. Je reste un instant figé à l’entrée avant de m’approcher doucement.
-Papa ? Tu… Tu vas bien ? L’appelé-je doucement, refusant de croire à l’évidence. Je prends son poignet dans ma main, et j’espère sentir un pouls… Mais rien, rien du tout. Je ne sens absolument rien.
Je n’arrive pas y croire. Je me relève, mais je mets mes mains sur ma bouche pour m’empêcher de crier.

Mon père est parti. L’information s’insinue lentement dans mon esprit. Mes yeux rivés sur le corps de mon père, je suis sous le choc.
Je ne veux pas y croire. J’ai beau savoir qu’il n’est pas éternel et qu’il allait nous quitter un jour, le choc est identique à celui ressenti lorsque Maman est morte.
Je savais qu’il n’était pas éternel… Mais je faisais mon possible pour oublier cette évidence au quotidien, tellement je n’imaginais pas ma vie sans mon père.
Comment vais-je faire, maintenant qu’il n’est plus là ? Comment allons-nous nous en sortir avec Joy ?
…
Joy … Comment vais-je pouvoir lui annoncer que son grand-père, son Papy adoré, n’est plus parmi nous ? Qu’elle ne le reverra plus jamais ?

Je ressens brusquement un froid glacial entrer dans la pièce, me sortant de ma torpeur. Cette sensation… Je commence à bien la connaitre. Je frissonne lorsque je vois la créature s’introduire dans la chambre. La Faucheuse, que j’ai vu trop de fois à mon goût. Prête à venir prendre l’âme de mon père, et l’emmener loin de moi, de nous. Je l’observe, complètement désespérée.
Non, cette fois-ci, je ne veux pas rester plantée-là, sans rien faire.
-S’il vous plait… Soufflé-je, implorante, les lèvres tremblantes. S’il vous plait, accordez-nous encore un peu de temps avec lui… Ma… Ma fille… Elle dort juste à côté… Je ne veux pas qu’elle assiste à ça, je vous en prie. Elle ne s’en remettrait jamais….
La Faucheuse semble me regarder pendant toute ma supplique. Je ne parviens pas à voir son visage sous sa capuche. Elle semble rester totalement impassible, nullement touchée par ma demande…
Je baisse la tête, craignant le pire. Je crois que, j’ai échoué…

Mais à ma grande surprise, la Faucheuse tend la main en direction du corps de mon père, qui s’élève instantanément dans les airs. Il s’illumine et soudain, mon père ouvre les yeux et respire une grande bouffée d’air.
J’ai un mouvement de recul, sur le coup. J’ai du mal à réaliser que la Mort elle-même à accepter ma demande. J’ai du mal à croire qu’il est même possible, de revenir à la vie. L’incroyable s’est passé sous mes yeux : Papa a ressuscité.
Alors qu’il semble chercher à reprendre ses esprits, j’aperçois la Faucheuse lever un doigt en l’air, semblant m’indiquer que mon père ne restera pas encore longtemps parmi nous. J’hoche gravement la tête, et la Faucheuse disparaît alors de la pièce.

Lorsque la Faucheuse disparaît, je soupire de soulagement. Sans réfléchir une minute de plus, je me jette dans les bras de mon père.
-Oh Papa ! J’ai eu tellement peur ! M’exclamé-je alors, me retenant de pleurer à chaudes larmes.
-Allons, allons, ma puce. Me souffle-t-il en essayant de se montrer rassurant. Tout va bien ma puce, ça va aller.
-Papa, tu étais mort …
-Je sais ma puce, mais cela fait partie de la vie … Je te remercie de m’avoir ramené mais… Ce n’était pas nécessaire, tu sais ? Mon heure est venue, et je ne suis pas à plaindre, je vais rejoindre ta mère.
-Je.. Je crois … que je ne suis pas prête à te laisser partir. Lui avoué-je d’une voix triste. Que vais-je faire sans toi ? Et Joy ?
-Oh ma fille, tu es plus forte que tu le penses. Je te fais confiance, je sais que tu sauras t’en sortir et puis, tu n’es pas toute seule. Tu peux compter sur ton frère, tu sais. Et Joy… Elle a surtout besoin de sa mère. Je ne me fais pas de soucis pour vous deux ma puce. Et puis, dis toi que je serai éternellement heureux avec ta mère. Tu as quelque chose à lui dire ?
-Dis lui simplement que je l’aime. Lui dis-je simplement avec un faible sourire. Tu veux bien que l’on passe la journée ensemble Papa ? Que je profite de toi… pendant… que tu es encore là.
-Bien sûr. Comment pourrais-je refuser de passer une journée avec ma fille ?

Mon père est étonnamment léger, comme s’il n’était pas terrifié à l’idée de mourir. Cela est assez surprenant, mais je me dis qu’à partir d’un certain âge, on apprend à ne plus avoir peur de la mort. D’autant plus que Papa a déjà perdu Maman, et qu’il sait qu’il va la retrouver dans l’autre monde. Peut-être même qu’il est heureux à l’idée de la revoir.
Quant à moi, j’essaie de penser à autre chose. Je sais qu’il ne lui reste que peu de temps, qu’il a une épée de Damoclès au dessus de la tête. Mais je n’ai pas envie de gâcher ses derniers instants. Ils sont précieux et j’ai cette chance de pouvoir lui dire au revoir.
Ce matin, au petit déjeuner, nous ne disons rien à Joy. Elle ne semble pas avoir entendu quoique ce soit cette nuit, et c’est tant mieux. Je n’ai pas envie de lui miner le moral et je refuse que ses derniers souvenirs avec son grand-père soit gâché. Papa est d’accord avec moi alors, il continue d’agir normalement avec Joy.
-Alors, tu as bien dormi cette nuit ? Lui demande-t-il, le plus normalement du monde.
-Très bien ! J’ai rêvé que je me baladais dans une planète inconnue ! C’était trop cool !
-Tu es contente d’aller à l’école aujourd’hui ?
-Oui ! J’ai un cours de science aujourd’hui, ça va être chouette ! On va voir les planètes du système solaire, j’ai hâte, ça va être trop cool !
-J’imagine bien, Joy. Ca fait plaisir de te voir aussi passionnée. Garde cette passion, d’accord ? Ne l’oublie jamais. C’est important, les passions, dans la vie…
-T’inquiète pas Papy ! J’adore l’espace et les aliens, c’est pas prêt de changer ! Aller je file, je vais louper le car ! A ce soir Papy ! S’exclame-t-elle joyeusement avant de se lever de sa chaise, embrasser son grand-père sur la joue puis trottiner vers l’extérieur de la maison pour aller prendre son car scolaire…

Après le petit déjeuner, nous sommes partis à Magnolia Promenade avec Papa. Les parcs sont jolis à voir, et cela nous fera du bien de profiter de l’air frais, tous les deux. J’ai envie de profiter de cette journée, de mon père, avant qu’il ne soit trop tard et Magnolia Promenade est un endroit merveilleux.
Malheureusement, alors que nous venons d’arriver à destination, Papa se sent brusquement mal. Il se baisse, se laisse tomber sur le sol. Là, au milieu du trottoir … Il … Non… Ce n’est pas possible, pas maintenant !

Je me sens impuissante, en cet instant, alors que je vois mon père mourir sous mes yeux. Ce n’est possible, je pensais avoir plus de temps … Je pensais que j’aurais le temps de lui dire au revoir … Que nous aurions notre moment père/fille… Je l’espérais tellement …
Un vent froid souffle à mes côtés. Sans surprise, je vois la Mort venir chercher mon père, après lui accorder un faible sursis.
-Je.. Je croyais que j’avais encore une journée… Soufflé-je, sans espérer une réponse. La Faucheuse n’a jamais été bavarde.
-J’ai simplement accepté d’empêcher à votre fille de le voir partir. Mais son heure est venue, il repart avec moi. Me répond-t-elle finalement avec une voix d’outre tombe. Une voix froide, qui me glace le sang. Une voix qui n’inspire aucune sympathie.


La journée est belle, aujourd’hui, nous aurions tellement pu en profiter, avec Papa. Cela aurait pu être une belle journée d’adieux.
Finalement, je n’ai pas vraiment l’occasion de lui dire au revoir. J’espérais… tellement plus….
Mais il faut que je me rende à l’évidence. Mon père est parti. Cette fois-ci est la bonne, la Faucheuse repartira bien avec son âme. Je n’essaie pas de la convaincre de lui accorder un peu plus de temps… Ce n’est pas ce qu’il voudrait. Il nous aime, Joy et moi, mais je sais qu’il veut maintenant retrouver ma mère. Essayer de le retenir serait égoïste.
Même si … Même si ça me fait mal de le laisser partir. Même si je pleure à chaudes larmes, ici, au milieu de tous les regards curieux, pendant que la Faucheuse fait son travail.
Même si ça veut dire que je me retrouve orpheline.

Après le passage de la Faucheuse, je ne suis plus qu’une âme en peine. J’aperçois les regards compatissants des passants, certains m’adressent même un mot gentil. Je ne les écoute que d’une oreille. J’ai beau avoir assisté, deux fois, à son décès, j’ai du mal à réaliser qu’il n’est plus là. Lui qui a toujours été présent, le voilà maintenant absent pour toujours.
C’est tellement surréaliste. Un instant, il était avec moi, en train de rire et de me parler, l’instant suivant, il était parti…
Je prends le chemin de retour, de façon mécanique. J’ai la tête ailleurs, mes jambes avancent toutes seules. Soudain, je réalise que je suis devant la maison. Cette maison que j’ai toujours connu, dans laquelle j’ai grandi. J’ai passé toute ma vie dans cette maison, avec mes parents.
Une maison que mes deux parents ont choisi, pour que l’on puisse y vivre tous ensemble. Aujourd’hui, je me retrouve toute seule, avec ma fille. Je me sens soudainement toute petite, devant cette grande maison.

Il me faut plusieurs minutes pour réussir à entrer à l’intérieur. Cette maison, c’était mon refuge. Aujourd’hui, sans mes parents, elle me semble froide et sans vie. J’ai l’impression d’être une étrangère dans ma propre maison, comme si je n’avais pas le droit d’être ici.
Je m’assois sur le fauteuil. Je suis incapable de rester debout. J’observe le décor autour de moi, et je me sens terriblement seule. Mon père n’est plus là pour sécher mes larmes, pour me rassurer. C’est comme si j’étais une enfant apeurée. Je ne sais absolument pas quoi faire, à présent. Que suis-je censée faire maintenant, toute seule ? Que faire dans cette grande maison ?
Puis, la solution me vient à l’esprit. Je soupire tristement. Aujourd’hui, je ne suis pas la seule à avoir perdu mon père…
Je sors donc mon téléphone portable de ma poche. Et je l’appelle, le cœur lourd.
-Oui allô ? Me répond sans attendre mon frère.
-Ryan …. C’est moi ….
-Rosie ? Ca va ? Tu as une petite voix …. S’inquiète aussitôt mon frère, alors que ma gorge se noue. Je déteste cette situation, où je dois lui annoncer la mauvaise nouvelle.
-C’est… C’est Papa … Il … Il … Soufflé-je, me réalisant incapable de poursuivre ma phrase. Un silence s’installe entre nous. Ni lui, ni moi ne parlons. Ryan soupire. Je n’ai pas besoin de finir ma phrase. Il a compris.
-Tu es à la maison ? Me demande-t-il d’une voix grave. J’acquiesce d’une petite voix. J’arrive.

Vingt minutes. C’est le temps qu’il faut à Ryan pour venir me rejoindre ici, à Willow Creek. A la maison. Je le sais, j’ai passé mon temps à observer l’heure. C’est ridicule, mais il fallait que je m’occupe l’esprit. C’est assez efficace. Je sursaute même quand la sonnette retentit. Tel un robot, je me lève pour ouvrir la porte.
Mon frère est là, il est bien là. Sa tristesse se voit sur son visage. Je n’ai jamais été aussi heureuse de le voir.
-Merci d’être venu. Lui dis-je alors qu’il me prend aussitôt dans ses bras. Je me sens tout à cou protégée. Contre lui, je laisse échapper les larmes.
-C’est normal Rosie, je ne pouvais pas te laisser dans une telle épreuve. Il… fallait que je m’assure que tu… gères….
Nous restons ainsi pendant un moment, sans rien dire. Un grand frère, une petite sœur, se soutenant comme ils le peuvent dans une terrible épreuve. Celle de la perte d’un père. Du dernier parent.

Au bout de quelques minutes, Ryan me demande comment cela est arrivé. J’essuie mes larmes, et je lui explique tout depuis le début. Je suis anéantie et je parle machinalement. Je ne sais pas comment je fais pour être encore debout.
-Au moins, tu lui as pu lui obtenir quelques heures en plus pour vous dire au revoir. Me répond-t-il après que j’ai terminé de narrer les circonstances de la mort de Papa. Et puis, dorénavant, il est avec Maman.
-Je sais… Mais égoïstement, j’aurais aimé qu’il reste avec nous un peu plus longtemps. J’ai… j’ai peur de ne pas être à la hauteur. D’être encore une ado qui a besoin de ses parents.
-Rosie, ne t’inquiète pas, tu vas réussir à t’en sortir. Papa semble être parti en paix, il était confiant. S’il est parti aussi sereinement, c’est qu’il savait que tu es capable de vivre ta vie et d’assurer au quotidien. Au fond… Je me demande s’il n’a pas attendu d’être sûr que tout ira bien pour toi et pour Joy avant de partir…
-Oh Joy … Me rappelé-je subitement. Elle va bientôt rentrer de l’école… Comment je vais lui annoncer une chose pareille ? Elle qui est tellement proche de Papa…
-Je te comprends… Souffle-t-il, et je devine qu’il pense à ses propres enfants, qui seront également dévastés de perdre leur grand-père. Dis lui simplement la vérité, et… Sois présente pour elle. Tout ce dont elle aura besoin aujourd’hui, et les jours à venir, c’est l’amour de sa mère.

Ryan reste un moment avec moi, à la maison. Je lui sers à boire, et je repense à Papa qui a passé tellement de temps derrière le bar, à s’entraîner à préparer des boissons que nous n’avions pas le droit de boire. Lorsque je croise le regard de Ryan, je devine qu’il repense aux mêmes souvenirs.
Mon frère finit par me laisser, peu avant le retour de Joy. Je promets de le tenir au courant de la date de l’enterrement. Il part pour Brindleton Bay, et quelques minutes après son départ, Joy fait son entrée dans la maison.
-Coucou ! J’ai croisé Tonton dehors, il avait pas l’air bien ! Ca va Maman ? Il est où Papy ? J’ai un truc hallucinant à lui raconter sur l’espace ! J’ai appris ça à l’école ! S’exclame-t-elle joyeusement, tandis que mon cœur se serre davantage. Elle est si joyeuse, et je vais devoir lui briser le cœur. J’aimerais tellement la préserver, mais je ne peux pas lui cacher la vérité.
-Ma chérie, tu viens t’asseoir avec moi sur le canapé ? Lui proposé-je calmement après m’être pincée les lèvres. Je respire un grand coup, comme pour me donner du courage.
Je vois le sourire de ma fille disparaître instantanément. Elle sent que quelque chose ne va pas. Elle sent que quelque chose de grave s’est produit. Sans dire un mot, elle s’avance lentement. Elle s’assoit sur le canapé, juste à côté de moi. Je la prends par les épaules et lui serre la main.
-Ma puce, il va falloir être forte, d’accord ? Commencé-je doucement, tandis qu’elle hoche la tête sans prononcer un mot. C’est à propos de Papy… Il… Je suis sincèrement désolée ma puce, mais …. Cette après-midi, il a rejoint Mamie… Il est parti rejoindre Mamie dans les étoiles.

Je vois le regard de Joy se figer. Elle ne semble pas réaliser. Elle a du mal à intégrer l’information. Je la serre contre moi, sans intention de la lâcher. Ma fille est tendue, dans mes bras. Je le sens aisément. Je ne lui en veux pas, elle n’a pas l’habitude. Mais je veux lui montrer que je suis là, dans cette épreuve. Que je l’aime et qu’elle peut compter sur sa mère. Quelques secondes plus tard, je l’entends sangloter.
-Je suis désolée ma chérie.. J’aurais tellement voulu que tu ne vives jamais ça. Ajouté-je finalement, en essayant de retenir mes propres larmes. Papy n’est plus là, mais tes souvenirs, eux, seront toujours là. Conserve-les, comme des trésors, et ce sera comme s’il était toujours là, avec toi. Et… Et moi, je suis là pour te soutenir ma puce. Je t’aime, et je serai toujours là pour toi. Nous sommes plus que toutes les deux, à présent. Nous allons continuer à vivre, toutes les deux, ensemble. C’est… C’est ce que Papy aurait voulu. Nous allons nous serrer les coudes, d’a… d’accord, ma puce ?
-Oui, Maman… Me répond-t-elle d’une petite voix, avant de se laisser aller dans mes bras.