
Cette journée n’a pas été de tout repos. Après avoir discuté avec Sven, j’ai quitté la salle des fêtes. Je n’avais pas envie d’affronter les regards de mes proches, après les avoir fait venir pour rien, au final. Pas de mariage à célébrer, pas de félicitations aux jeunes mariés… Ils ont juste assisté à une rupture, vu le cœur du marié se briser. Je m’en veux pour ça, et je ne pouvais pas rester. Alors, je suis allée au cimetière. Je suis allée voir Maman… J’ai regardé son urne pendant des heures, lui demandant en silence si elle est fière de moi.
Lorsque je suis rentrée, mon père et ma fille étaient déjà à la maison. J’ai baissé en croisant le regard de Joy. Je sais qu’elle ne voulait pas partir en Suède, mais j’ignore ce qu’elle pense du fait que j’ai abandonné son père devant l’autel. Je me suis changée, et elle m’a parlé normalement tout le reste de la soirée. Comme si rien ne s’était passé. Elle m’a demandé comment allait Sven, mais ne s’est pas attardée davantage sur le sujet.
Ce soir, avant d’aller me coucher, je décide d’aller dans la chambre de ma fille. Elle dort déjà profondément, mais je m’approche tout de même d’elle, tout doucement pour ne pas la réveiller.

Une fois à côté d’elle, je remonte tendrement la couverture pour qu’elle en soit recouverte jusqu’au menton. J’observe son visage endormi avec tendresse. Elle a l’air si paisible, ainsi. Quand je la regarde, je n’ai pas l’impression de faire n’importe quoi avec notre vie. J’oublie que je la prive de son père, même si je sais que nous trouverons des solutions. J’oublie que je ne suis pas la mère idéale, même si j’essaie de m’améliorer.
Je me penche doucement vers elle, pour lui déposer un tendre b.aiser sur la tempe. J’aime ma fille, et je vais essayer de faire mon possible pour qu’elle soit heureuse. Il est temps que je grandisse pour être la mère qu’elle mérite d’avoir. Ou du moins essayer de m’en approcher le plus possible.

Je quitte ensuite la chambre de Joy pour me rendre dans la mienne. Mais je constate avec surprise que de la lumière est allumée, et que mon père est assis sur mon lit. Il semble m’attendre, tranquillement, patiemment.
–Papa ? Tu n’es pas couché ? M’étonné-je alors. Aussitôt, il tourne la tête dans ma direction pour me sourire.
–Je t’attendais, je voulais te parler. Me répond-t-il, tout en se décalant pour me permettre de m’asseoir à côté de lui.

-De quoi veux-tu me .. parler ? Lui demandé-je en m’installant sur le lit, bien que je me doute de la nature de la conversation. A son regard, je devine que la réponse est évidente.
-Je veux juste m’assurer que tout va bien. Me dit-il en réponse. Tu étais prête à te marier et tu as annulé, d’un coup… Tu es vraiment sûre de toi ?
-Pourquoi ? Tu penses que j’ai eu tort d’annuler ?
-Bien sûr que non ! Je préfère largement que tu annules pour pouvoir être heureuse plutôt que tu te forces à te marier et que tu sois malheureuse toute ta vie. Je ne veux, juste, pas que tu le regrettes par la suite…

-Je ne le regretterai pas, Papa. Lui assuré-je. Dès que j’ai décidé d’annuler, je me suis sentie soulagée, libérée d’un poids. J’ai beaucoup d’affection pour Sven, mais pas assez pour accepter de passer ma vie avec lui. D’autant plus en Suède. Ma vie, mon avenir est ici. Et certainement pas au bras de Sven. Il mérite mieux… Soufflé-je, finalement. Au fait, je suis désolée d’être partie comme une voleuse, après la cérémonie…
-Cela ne fait rien. Me rassure Papa en secouant la tête. Tu avais besoin de t’isoler, je comprends. Ne t’inquiète pas, je me suis occupé de tout.
-Et… Joy ? Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler juste après l’annulation du mariage… Elle m’a semblé normale ce soir mais… Je sais qu’elle a tendance à intérioriser et qu’elle ne se confie pas à moi … M’inquiété-je, sachant que si quelqu’un peut me rassurer à propos de ma fille, c’est bien mon père.
-Elle va bien, ne t’en fais pas. Me sourit-il. Je pense qu’elle s’en doutait. Elle a pensé du temps avec Sven quand tu es partie, je pense qu’elle en a profité avant qu’il parte et qu’elle a voulu le rassurer. Et honnêtement, elle doit être aussi soulagée de ne plus partir en Suède.
-Elle ne m’en veut pas alors ?
-Bien sûr que non. Aller, je vais te laisser dormir, ne te prends pas trop la tête. Bonne nuit ma puce.
-Bonne nuit Papa.

La vie reprend doucement son cours. Sven m’a laissé un message pour me dire qu’il repart en Suède, et qu’il me rappellera pour que l’on s’organise pour Joy. Il a besoin de prendre du recul, mais qu’il continuera à parler avec sa fille sur Skype. Une chose est sûre, il ne veut pas disparaître de la vie de Joy.
L’ambiance est légère à la maison. Nous laissons l’épisode du mariage derrière nous, et nous allons de l’avant. Joy semble plus légère, plus ouverte, maintenant que nous ne partons plus en Suède. Elle a de nouveau le sourire et n’hésite pas à taquiner son grand-père à la moindre occasion.
-Un hamburger au petit déjeuner ? C’est paaas biiiien ! Maman serait pas contente si elle te voyait !
-Oui, mais Maman fait la grasse matinée et à mon âge, je fais ce que je veux ! S’en amuse-t-il, nullement perturbé de manger un hamburger de si bon matin.

Quand je descends les escaliers, mon père a déjà fini de manger et discute avec Joy. Je les observe en silence, attendrie par leur relation. Ils sont beaux à voir, tous les deux. Ils s’entendent à merveilles et c’est une véritable chance qu’ils puissent profiter d’une telle complicité. Je doute que beaucoup d’enfants aient la chance d’être aussi proche de leurs grand-parents. Moi la première : je n’ai jamais connu mes grands-parents.
Une pointe d’inquiétude s’insinue dans mon esprit ; mon père n’est pas éternel. Comment réagira Joy lorsqu’il nous quittera ? Elle qui ne cesse de regarder son grand-père avec admiration ?
Je secoue la tête. Chaque chose en son temps et pour l’instant, Papa est toujours parmi nous.


Les jours suivants, je profite du retour des beaux jours pour prendre quelques jours de congés. J’ai envie de me reposer un peu suite aux derniers événements, et je veux passer un peu de temps avec mon père. Ces dernières années, il a été très présent pour moi, me soutenir quand je n’allais pas bien, à s’occuper de Joy quand j’en étais incapable…. Aujourd’hui, je veux lui rendre la monnaie de sa pièce en lui offrant des moments simples, juste tous les deux. Comme avant que les problèmes ne commencent.
Je lui ai donc demandé de m’apprendre à jouer aux échecs. Joy adore ce jeu depuis que Papa lui a appris, et j’ai envie de pouvoir jouer avec elle à mon tour. J’ai du mal à saisir toutes les règles et les stratégies du jeu, mais Papa fait preuve de patience à mon égard en n’hésitant pas à répéter.


Petit à petit, j’arrive à me prendre au jeu. J’essaie de truander un peu en profitant d’un instant d’inattention de mon père, mais … je ne l’admettrai jamais ! J’affiche un grand sourire innocent lorsqu’il observe de nouveau le jeu en fronçant les sourcils, un air suspicieux sur le visage.
-Tu sais, il y a des moments où tu me rappelles ta mère. Me confie-t-il après un instant de réflexion.
-Ah oui ? Dis-je, intéressée.
–Oui, elle aussi trichait aux échecs.
-Papa ! Je triche pas ! Me défends-je aussitôt, toujours en affichant un air innocent.
-Je suis peut-être vieux, mais je ne suis pas encore sénile. Me sourit-il, loin d’être dupe.


Le soir, quand Joy rentre de l’école, Papa continue de prendre le temps de l’aider à faire ses devoirs. Elle se débrouille bien toute seule la plupart du temps, mais cela lui fait plaisir d’être disponible pour répondre à ses questions, si elle en a. Joy ne dit rien, elle aime que son grand-père s’occupe d’elle.
Et puis, comme tous les enfants, elle a parfois ses moments de doutes.
-J’y arrive pas !! C’est trop compliqué ! Se plaint Joy qui bute sur un exercice de mathématiques.
-Calme-toi Joy, ça va aller. Tu vas y arriver. Tu es douée en maths, alors respire et prends le temps de réfléchir. Rien ne presse. Tente de la rassurer Papa.
-Mais j’y arrive jamais avec ces exercices là ! Alors que je réussis tout le temps d’habitude !
-Et cela ne sert à rien de t’énerver. Montre-moi ton exercice, on va voir ça ensemble, d’accord ? Lui dit-il avec calme, tout en tirant une chaise pour s’asseoir à côté d’elle.
Je suis admirative de sa patience avec elle. Il ne s’énerve pas quand elle perd patience et prend le temps de lui expliquer les choses.
Heureusement qu’il est là. Surtout que, personnellement, je suis nulle en maths et je serais bien incapable de l’aider. Elle aime les maths, c’est bien grâce à son grand-père.

Après que Joy ait terminé ses devoirs, et retrouvé sa confiance en elle après avoir enfin compris son exercice, Papa se lève de sa chaise pour commencer à préparer le dîner. Mais lorsqu’il se lève, il est soudainement pris d’un vertige et se tient rapidement au dossier de la chaise pour ne pas tomber.
-Papa, ça va ? M’inquiété-je aussitôt en me levant pour aller le rejoindre. Je le soutiens alors, ne souhaitant pas qu’il tombe et qu’il se fasse mal.
-Ca va ma puce, ne t’inquiète pas. Je me suis juste levé trop vite. M’assure-t-il avec un sourire qui se veut rassurant. J’ai un peu mal à la tête, tu peux m’apporter du paracétamol ? Je vais m’allonger un peu et ça ira mieux.
-Je… Je t’apporte ça. Mais tu es sûr que ça va aller ? Tu as souvent mal à la tête quand même…
-Mais oui, cesse de t’inquiéter.

Je suis inquiète à propos de Papa, car ce n’est pas la première fois qu’il ait pris de vertiges et de maux de tête. Mais j’essaie de ne rien montrer, pour ne pas causer du soucis à ma fille. J’ai envie de la préserver un maximum des éventuels problèmes de santé de son grand-père. Je veux qu’elle puisse garder de bons souvenirs de lui, qui ne soit pas entacher par l’inquiétude et la tristesse.
Alors, pendant que Papa se repose, je propose à Joy de sortir sur le perron pour faire une partie d’échec. Elle semble dubitative au début, mais finit par accepter.
-Tu es moins douée que Papy. Me dit-elle quelques minutes après que nous ayons commencé.
-Un peu d’indulgence mademoiselle, je suis encore en phase d’apprentissage ! Lui signalé-je avec légèreté. En réponse, elle se contente de me sourire.



Nous passons un bon moment toutes les deux, mais le sourire de Joy s’élargit lorsque mon père sort pour nous rejoindre, une heure plus tard. Il a repris des couleurs et semble aller mieux. Dès notre partie terminée, elle demande à son grand-père de jouer avec elle. Apparemment, je suis trop nulle et elle gagne trop facilement. Papa ne peut s’empêcher de rire à sa remarque, avant de lui demander d’être patiente avec moi. C’est vrai, je débute aux échecs !
Joy n’a pas cessé de coller son grand-père, ce soir. Pour son grand plaisir, lui qui est ravi de passer du temps avec sa petite-fille et de lui rendre son affection.
La nuit tombée, il l’accompagne à sa chambre pour qu’elle aille dormir. Elle a école demain et elle ne doit pas se coucher tard. Mais avant d’aller au lit, elle lui réclame un câlin, qu’il accepte de lui donner.
Ils sont vraiment adorable, tous les deux.
-Je t’aime Papy !
-Mais moi aussi je t’aime ma puce. Aller, hop, va au lit ! Sinon, tu vas être fatiguée demain !
-Oui Papy !

Après que Joy soit passée à la salle de bain, Papa accepte de lui lire une histoire. Elle se glisse sous la couverture, pendant que son grand-père s’empare d’un album, dont l’histoire parle d’un petit alien qui essaie d’être ami avec un cochon. Cela amuse Joy, mais elle finit par s’endormir avant la fin du livre. Papa lui sourit tendrement avant de réajuster la couverture, lui déposer un baiser sur le front, et de sortir de la chambre en veillant à éteindre la lumière.
Il rejoint à son tour sa propre chambre, prêt à passer une bonne nuit, pleine de rêves…

Mais malheureusement, c’est cette nuit, que le pire s’est produit….