
Après notre altercation et sa discussion avec son grand-père, Joy est venue s’excuser pour son attitude. Je lui ai souris et accepté ses excuses. Elle doit cependant mettre et débarrasser la table pendant une semaine en guise de punition, pour la forme. Elle l’a accepté sans problème avant de reprendre le cours de sa vie.
J’ai téléphoné à Caroline pour lui annoncer mon mariage avec Sven. Elle est excitée comme une puce, ravie de la nouvelle. Son enthousiasme m’a mise mal à l’aise, mais je lui ai tout de même demandé si elle voulait bien m’accompagner pour les essayages de robe de mariée. Sa joie a augmenté d’un cran et nous avons pris rapidement rendez-vous dans une boutique à Magnolia Promenade.
Ces essayages ont un goût amer. Je sais que Sven aimerait que je porte une robe blanche, et que tout le monde m’attend ainsi. Du coup, je n’essaye que ça, mais j’ai du mal à me sentir à l’aise dans le rôle de la future mariée. Caroline est motivée, me complimente sans cesse, a les yeux qui pétillent. Lorsque sa mâchoire semble se décrocher devant une nouvelle robe et que je ne me juge pas trop mal, je songe que j’ai sans doute trouvé la bonne.
Alors que je m’observe, je pense soudainement à ma mère et ma gorge se serre. J’aurais aimé qu’elle soit là. J’adore Caroline, mais je réalise que j’aurais préféré que ce soit ma mère a sa place. Aurait-elle été fière de moi ou inquiète ? Accepterait-elle mes décisions ?
Maman, es-tu fière de moi, là où tu es ?
-Tu seras la plus belle des mariées ! S’exclame Caroline alors que nous venons de sortir du magasin, après que j’ai payé ma robe. La vendeuse a pris mes mesures et je pourrai la récupérer dans quelques jours après qu’elle ait terminé de l’ajuster. Sven va en tomber à la renverse !

-Si tu le dis, je veux bien te croire. N’ai-je pas le cœur de la contredire. Il est vrai que la robe est magnifique et qu’elle me va à merveilles, mais je ne peux m’empêcher de ressentir une étrange impression. J’aime cette robe, mais pas autant que je le devrais. J’ai l’impression de jouer un rôle, de faire semblant, et de ne pas mériter cette tenue, cette magnifique robe blanche. J’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre.
Je remarque que Caroline me regarde avec suspicion. Je tente de donner le change en affichant un immense sourire.
-On va s’installer sur une terrasse ? J’ai comme l’impression que tu as besoin de parler !
-Si tu veux. Accepté-je, sans hésiter une seconde.

Nous marchons un peu le long de la promenade jusqu’à nous arrêter à un stand. Nous commandons et nous allons nous installer à une table le temps que notre commande soit prête. Je n’ose pas tellement parler, mais je sens le regard interrogateur de ma meilleure amie peser sur moi.
-J’ai l’impression que quelque chose ne va pas. M’avoue-t-elle au bout de quelques minutes de silence. Quand tu m’as annoncé ton mariage et que tu m’as demandé de t’accompagner, je m’attendais à te voir plus joyeuse et plus excitée. Tu n’es pas heureuse d’épouser Sven ?
Je déglutis de gêne. Je dois avouer que je ne sais absolument pas quoi lui répondre. Dans son regard, je vois bien que je ne corresponds pas à la future mariée classique, bien au contraire. Je dois donner davantage l’impression d’être une promise obligée d’épouser un bon parti pour le bien de sa famille.

Je baisse la tête et je scrute nerveusement mes mains. Je ne sais pas quoi lui répondre. Un serveur arrive à notre table et nous sert nos boissons dans le silence le plus total. Caroline continue de me fixer alors que je cherche toujours mes mots pour lui exprimer mes sentiments.
-Rosie, tu peux tout me dire tu sais. Finit par soupirer ma meilleure amie, après que le serveur se soit éloigné. Il y a quelque chose qui a changé avec Sven ? Au lycée, tu l’aimais comme une dingue et je me souviens encore comment tu étais anéantie quand il est parti. Vous deux, cela me semblait une évidence, surtout quand il est revenu et qu’il a accepté sa fille. Pourquoi ne sembles-tu pas heureuse ?
-C’est … c’est difficile à expliquer. Soufflé-je en réponse, réchauffant mes mains en les posant autour de ma tasse de café. Tout est étrange tu sais… Je dois t’avouer ce n’est plus comme au lycée, j’ai fini par créer ma vie, ici, sans lui… J’ai l’impression que tout va trop vite, que je n’ai plus aucun contrôle sur rien.
-Mais… Mais pourquoi tu as accepté de l’épouser alors ? Si tu voulais prendre ton temps, Sven aurait compris. Il n’y a pas plus compréhensif que lui.

-Certes… Mais l’absence de Sven pèse sur Joy, elle a du mal à s’attacher à lui. Soupiré-je, dépitée par la situation. Alors, quitte à faire quelque chose qui finirait peut-être par arriver tôt ou tard, autant le faire maintenant pour que nous puissions nous rapprocher et permettre à Joy de voir plus souvent son père.
-Tu es vraiment sûre de toi ? S’inquiète subitement Caroline. C’est tout à ton honneur de vouloir tout faire pour que ta fille se rapproche de son père, mais…
-Mais ?
-Mais il ne faudrait pas que tu t’oublies dans l’histoire. Joy n’a pas besoin d’une mère malheureuse, tu sais…
-Je sais… Mais… C’est la seule solution…
-Si tu le dis…. Mais…Tu l’aimes toujours, Sven ? Me demande-t-elle sur un ton suspicieux. Je m’apprête à répondre, mais aucun son ne parvient à sortir de ma bouche.

Les jours suivants, je suis tellement occupée avec la préparation du mariage que je n’ai même plus le temps de réfléchir. Le printemps commence à montrer le bout de son nez, mais je ne fais plus attention à la neige qui fond et au temps qui se réchauffe. Je ne vois que la date qui se rapproche. J’ai ma gorge qui se serre de plus en plus et mon stress ne cesse d’augmenter. J’essaie de penser à autre chose, espérant que mes craintes finiront par se dissiper.
Un jour, Caroline me propose de sortir le soir même, en boite, avec quelques amis. Il faut bien enterrer ma vie de jeune fille, comme elle le dit si bien. J’ai ri nerveusement, mais j’ai accepté sans hésiter. Sortir me fera du bien.

Et je dois avouer qu’effectivement, cela me fait du bien. Retrouver mes amis, danser, profiter de l’ambiance festive me permet de penser à autre chose. Le jus de fruit coule à flot, et je ne pense plus au mariage qui approche. Sven et mes engagements s’envolent de mon esprit et je profite de cette liberté retrouvée.
Ce soir, je ne pense plus à mes fiançailles et à mon mariage. Ce soir, j’ai le sentiment d’être une jeune femme comme les autres, qui peut s’amuser sans culpabiliser.



Je me lâche sur la piste de danse. Le jus de fruit me monte à la tête. Mes barrières disparaissent et je parviens à me détendre, à m’amuser. J’aperçois Manon au loin, qui ne tarde pas à nous rejoindre. Pierre est là, lui aussi, mais il est à la recherche de sa prochaine copine de couette. Enfin je crois. Le connaissant, cela ne m’étonnerait pas. Mais je dois dire que, plus la soirée passe, moins je fais attention aux gens qui m’entourent. J’ai juste envie de me sentir libre ce soir. De profiter de cette soirée, comme si c’était la dernière avant d’être rattrapée par mes obligations.

Je ris. Je ris sans cesse et cela fait un bien fou. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas ri autant. En riant, je me libère de toutes mes tensions accumulées ces dernières semaines.
Je deviens insouciante. J’oublie le monde au-dehors de la boite de nuit. J’oublie que je suis une mère, que je suis fiancée, les raisons qui me poussent à me marier.
Ce soir, je suis juste Rosae Opaline, une jeune femme comme les autres, sans histoire ni tracas. Et cela me fait tellement du bien !

La boite est bondée. La fête bat son plein et je m’amuse. Un homme m’aborde et commence à me draguer. Je me prête volontiers au jeu. Je m’amuse à le séduire. Subitement, je me sens désirable, désirée. Cela m’amuse de plaire. J’ai envie de plaire à cet inconnu, je rentre dans son jeu avec plaisir.
Dans ses yeux, je ne suis pas une mère de famille, encore moins fiancée sur le point de me marier.

Cette idée me plait et je me fais du bien. Je suis toute seule ce soir et j’ai envie d’en profiter. Je n’ai, certes, plus les idées très claires, mais ce n’est pas grave. Mes actes sont répréhensibles, c’est indéniable. Je suis fiancée, je ne devrais pas faire ça, et pourtant … Embrasser cet inconnu me fait du bien. Cela me libère.
Je ne suis plus une mère, une fiancée… Pour une fois, je me sens femme. Une femme libérée de ses obligations, pour une fois.

Je ne connais pas son nom. Je ne sais même pas s’il a essayé de me le dire au cours de la soirée. Je ne sais plus où sont mes amis. Mais qu’importe, mes pensées sont ailleurs. J’ai envie de tout envoyer balader ce soir. C’est mon enterrement de vie de jeune fille après tout, si je ne profite pas maintenant, quand le ferais-je ? Certainement pas quand je serai enchaînée à un homme dans un pays inconnu.
Alors ce soir, au diable les obligations. Au diable les responsabilités. J’ai envie d’être déraisonnable. J’ai envie d’être désirable.

Ce n’est pas une bonne chose, ce que j’ai fait. Je ne le conseillerais pas. Je devrais assumer les conséquences, et vivre avec cette tromperie sur ma conscience. Ce n’est pas juste envers Sven, je le sais. Mais en cet instant, il s’agit bien de ma dernière préoccupation.
Demain, il faudra que j’assume. Mais demain.
Dans tous les cas, je ne regrette rien.