
Les jours ont passé depuis le décès de Maman. Son absence règne en maître dans la maison et j’ai encore du mal à accepter l’idée qu’elle ne soit plus là. Comment peut-on être ici, plein de vie et en bonne santé et l’instant d’après, n’être plus qu’un corps sans vie ? Cela me parait tellement insensé, alors que cela fait seulement partie de la vie.
Je fonctionne au ralenti depuis ce jour. J’ai appelé mon travail, mes responsables m’ont accordé quelques jours de congés exceptionnels. Une collègue est passée un soir à la maison avec un énorme bouquet de fleurs, de la part de toute l’association. Ils sont vraiment adorables et je reçois sans cesse des massages de soutien de leur part. Cela ne remplace pas l’absence de ma mère, mais cela me réchauffe un peu le cœur.

Aujourd’hui, c’est le jour de l’enterrement de Maman. La Faucheuse nous a laissé son urne mais ils nous a fallu quelques jours avec Papa pour organiser une petite cérémonie, pour pouvoir lui dire au revoir une dernière fois.
Papa… Il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il fait des efforts pour paraître fort devant Joy et moi, mais je ne suis plus une enfant. Je vois bien qu’il est perturbé. Je remarque bien qu’il s’embrouille dans ses paroles et il commence à radoter. Cela me serre davantage le cœur de le voir ainsi. Je ne m’étais pas préparée à ça. De voir ma mère partir, d’aider mon père du mieux que je pouvais…
Et de gérer Joy …

J’étais désemparée par la mort de Maman. Après le départ de la Faucheuse, il est resté assis sur le lit, enfermé dans son mutisme. Nous étions là, tous les deux, à observer l’urne qui contient les restes de Maman. Et puis, le visage de ma fille s’est imposée dans mon esprit. Je n’arrivais pas à la gérer au quotidien, comment pourrai-je lui annoncer une nouvelle pareille ?
Mais je n’ai pas eu le choix. Je suis sa mère, c’est mon rôle de prendre sur moi et de lui expliquer ce genre de chose. Et mon père n’était pas en état….
Alors, je suis allée dans la chambre de ma fille. Sans surprise, sans doute réveillée par nos cris, Joy était déjà réveillée. Elle m’observait avec ses grands yeux bleus et une moue inquiète. Elle devait sentir que quelque chose d’anormal était en train de se passer.
-Joy… ma puce… Lui ai-je soufflé d’une voix douce, en m’agenouillant devant elle pour me mettre à sa hauteur.
-Mamie ! Je veux Mamie ! S’exclamait-t-elle aussitôt en secouant la tête de droite à gauche. Mon cœur s’est serrée, repensant au drame qui venait de se passer. Comment pouvais-je expliquer ça à une enfant aussi jeune ?
-Joy… Mamie n’est plus là. Elle… Elle est partie au ciel.
-Elle revient quand Mamie ? Pourquoi Mamie Partie ?
-Elle ne reviendra pas ma puce. Quand on part au ciel… On.. On ne peut pas revenir. Un jour, on finit tous par partir là-haut… Ai-je tenté de lui expliquer, maladroitement.

-Non ! Pas d’accord ! Je veux Mamie ! A-t-elle commencé à pleurer. Elle a tapé du pied et elle criait plus fort. Comme un caprice dont elle n’obtiendra jamais satisfaction.
-Cela fait partie de la vie ma puce… Mais, même si elle n’est plus parmi nous, Mamie sera toujours dans ton cœur, là. Essayais-je de la consoler, tout en posant doucement un doigt sur sa poitrine. Et au ciel, elle veillera toujours sur toi. Elle t’aimait beaucoup, tu sais.
-Je veux Mamie ! Je veux ma Mamie ! Continuait-elle à persister, s’en-tétant à demander sa grand-mère. J’étais complètement perdue, dépassée. Elle ne comprenait pas ce qui se passait. Elle est trop jeune pour comprendre…

Alors, je l’ai prise dans mes bras. J’ai serré son tout petit corps contre le mien, espérant sincèrement pouvoir consoler son chagrin. Je ne suis pas la meilleure mère du monde, mais je n’aime pas la voir aussi triste. J’ai donc essayé du mieux que j’ai pu d’apaiser sa tristesse.
Elle s’est laissée faire, mais elle continuait de pleurer. Je l’ai gardé contre moi, me sentant étrangement mieux, moi aussi. Comme si prendre ma fille dans mes bras me rappelait que je ne suis pas toute seule dans cette épreuve. Ma mère est partie, mais j’ai toujours ma fille, qui compte sur moi pour continuer à veiller sur elle.
-Maman est là ma puce, Maman est là…

En repensant à ces derniers jours, je ne peux m’empêcher de pleurer. Je suis dans le caveau avec mon père. Nous nous recueillons devant l’urne de Maman, sans oser partir d’ici. Partir serait lui dire adieu. Et c’est beaucoup trop dur. J’aimerai être forte pour soutenir Papa, mais je n’y arrive pas. D’autant plus que je suis toute seule.
Ryan a pourtant dit qu’il viendrait, mais je crois qu’il a eu des problèmes avec ses triplés à gérer. Papa m’a dit qu’il aurait un peu de retard et qu’il viendrait se recueillir dès qu’il pourrait. Personnellement, je pense plutôt qu’il veut être sûr de ne pas me croiser…
Quant à Roxane, Papa m’a dit qu’elle était dévastée, au téléphone. D’autant plus qu’elle était en tournée à l’autre bout du monde. Organiser son départ précipitée a été compliqué et à cela s’ajoute des grèves à l’aéroport et le temps de trajet… Du coup, elle n’est pas là aujourd’hui. Elle sera dans deux jours pour venir dire au revoir à Maman.

-Ma chérie, calme-toi… Ta mère ne voudrait pas que tu sois si triste. Me sort soudainement de mes pensées mon père. Je n’ai pas remarqué qu’il s’est tourné vers moi. Il me prend par les épaules, prenant sur lui pour me consoler.
-Je sais… Mais c’est tellement dur… Lui réponds-je dans un souffle.
-J’en ai conscience ma chérie, mais tu es forte. Tu surmonteras cette épreuve et ta mère voudrait que tu continues à vivre ta vie. Ce serait le plus bel hommage que tu pourrais lui faire.
-Je me sens minable Papa… Lui avoué-je d’une petite voix. J’aimerai être plus forte pour pouvoir t’aider …
-Oh ma puce, pense un peu à toi avant de penser à ton vieux père. Tente-t-il de me rassurer. Avec ta mère, nous nous sommes préparés à ça, nous savions que cela allait arriver un jour. C’est dur pour moi de la laisser partir, mais je m’y suis préparé. Je reste ton père, c’est à moi de sécher tes larmes, pas l’inverse.

Suite à ses mots, il me prend dans ses bras. Je m’y sens si bien. Cela me rappelle des souvenirs, quand il essayait de me rassurer après que j’ai fait un cauchemar. J’ai l’impression que plus rien ne peut m’arriver tant qu’il est là, toujours prêt à veiller sur sa fille.
Et cela me rappelle que même si ma mère n’est plus là, j’ai toujours mon père. Et que je dois profiter de chaque instant, tant qu’il est toujours là.
-Aller, rentrons. Finit-il par me dire. Il faut libérer ton amie, euh…
-Caroline. Lui rappelé-je doucement. En effet, Caroline s’est gentiment proposée de garder Joy, le temps qu’il fallait pour la cérémonie. Je lui en suis infiniment reconnaissance pour sa proposition, alors qu’elle aussi, vit un moment difficile…

Nous sortons donc du caveau avec Papa. Aujourd’hui est une belle journée d’automne. Le cimetière est calme et presque chaleureux avec les feuilles orangées qui jonchent le sol. Ma mère ne pouvait espérer de plus bel endroit pour reposer pour l’éternité.
Nous nous avançons tranquillement dans les allées et au moment de passer la grille, je remarque la présence de mon frère à l’entrée du cimetière. Il est là, devant, sans bouger, comme s’il n’osait pas bouger… A moins qu’il nous attendait.

-Bonjour mon grand. Va aussitôt à sa rencontre mon père. Il s’approche de Ryan et le serre dans ses bras. Comment tu te sens ?
-Je fais aller… Soupire-t-il en réponse. Au son de sa voix, je devine qu’il cherche lui aussi à faire des efforts pour ne rien laisser paraître.
-Et tes enfants ?
-Ils… Ils sont tristes d’avoir perdu leur grand-mère. Et je crois qu’ils comprennent pas trop non plus. C’est la première fois qu’ils sont confrontés à la mort.
-Les enfants sont plein de ressources tu sais, ils finiront par aller mieux avec le temps…

Je n’interviens pas dans leurs échanges. Je reste en retrait, attendant patiemment le moment de rentrer à la maison. Ryan se libère de l’étreinte de Papa et je vois son regard se poser sur moi. Son visage témoigne de la tristesse qu’il doit ressentir. D’autant plus que lui aussi, a du apprendre le décès de son géniteur, Don Lothario…
Quand j’ai appelé Caroline pour lui annoncer le décès de ma mère et chercher un peu de soutien de ma meilleure amie, elle était chez ses parents. Je l’ai entendu parler avec eux, et leur expliquer la situation avant de partir de chez eux pour venir me voir en vitesse. Le lendemain, c’est elle qui m’a appelé, pour m’annoncer le décès de son père.
Est-ce une coïncidence ou n’a-t-il pas supporté d’apprendre le décès de ma mère, avec qui il a eu une histoire ? Personne ne pourra jamais le dire à présent… En tout cas, je sais que j’en ai parlé à mon père, et il a certainement du avertir les jumeaux… Je n’ose pas imaginer ce que ça doit être, d’apprendre que son géniteur est décédé, bien qu’il n’ait jamais cherché à connaitre ses enfants de l’ombre.
-Bonjour, Rosie. Me salut subitement Ryan, me faisant sursauter. S’adresse-t-il vraiment à moi ? En m’appelant « Rosie », chose qu’il ne fait plus depuis des années ? Tu as une minute ? J’aimerai te parler…
-Je vous laisse. Intervient alors mon père, pour nous laisser tous les deux. Je vais aller m’occuper de Joy. Ryan, si tu veux passer, la porte est ouverte….

-Qu’est-ce que tu veux ? Lui demandé-je alors après que mon père soit parti. Je demande cela sans aucune animosité. Je suis trop triste pour avoir la force d’attaquer sans chercher à comprendre. Je n’en ai pas la force… Même si je suis lasse de l’entendre se justifier de ses agissements, je n’ai pas le courage de l’envoyer sur les roses.
-Je voudrai m’excuser. M’avoue-t-il sans aucune hésitation.
-T’excuser ? M’étonné-je alors, vraiment surprise.

-Oui, m’excuser de mon comportement envers toi. Confirme-t-il alors qu’il me semble si fatigué et dépité tout d’un coup. J’ai beaucoup réfléchi, depuis la mort de maman… Non, en vérité, ça fait un moment que j’y réfléchis. Rectifie-t-il après une minute de réflexion. Depuis que mes enfants ont grandi en fait… Je me suis rendu compte que j’ai été injuste avec toi.
-Comment ça ? Ne compris-je pas, un peu perdue par ses propos décousus. Que viennent faire ses enfants dans cette histoire ?
-Quand je vois mes enfants aussi proches les uns des autres, m’explique-t-il, ça me rappelle nous, quand nous étions enfants. Et ça me montre la relation que nous aurions pu avoir, si nous n’avions pas laissé la jalousie de Roxane contrôler nos vies… Enfin, je n’avais pas laissé sa jalousie me contrôler. Je me rends compte que j’ai été stupide et que te laisser de côté pour préserver Roxane, c’était du n’importe quoi. Et avec la mort de Maman, je me rends encore plus compte que c’était n’importe quoi. A cause de ma bêtise, je t’ai laissé toute seule durant tout ce temps… Alors que tu avais besoin d’aide… Et je le regrette profondément. Finit-il par me dire, sa voix se brisant sur la fin de sa tirade.

J’ai du mal à en croire mes oreilles. Mon frère revient vers moi après toutes ces années, exprimant des remords ? J’en ai tellement rêvé, il fut un temps. Mais aujourd’hui, je n’espérais même plus d’excuses. J’ai appris à vivre sans lui, sans mon frère. J’ai appris à vivre avec ma rancœur.
-Ryan, est-ce qu’au moins tu as conscience du mal que tu m’as fait, quand tu m’as laissé tomber ? Moi ? Ta sœur ? Alors que je n’ai jamais rien fait pour mériter ça …
-J’en ai conscience Rosie, et crois-moi, je le regrette. Soupire-t-il. Si je pouvais revenir en arrière et corriger mes erreurs, je le ferai sans hésiter. Je suis tellement désolé, Rosie… J’ai été bête, et je me sens d’autant plus con de ne pas avoir réagi plus tôt, quant tu allais mal après le départ de ton petit-ami et la naissance de ta fille… Ajoute-t-il, me faisant comprendre qu’il est au courant de toute ma vie. Sans surprise, les parents lui ont sans doute donné de mes nouvelles alors que je refusais de lui parler. J’aurais du être là, pour toi… J’ai parfaitement conscience de ce que je pourrai dire ou faire ne pourra changer ça…. Mais j’aimerai faire partie de ta vie. J’aimerai pouvoir connaître ma nièce, et qu’elle puisse connaître ses cousins. Et que toi aussi, tu puisses être vraiment une tante pour tes neveux et nièce.
-Ils… Ils ont du bien grandir, depuis le temps. Me contenté-je de lui dire, après un silence. Je lui fais un timide sourire, incapable de dire autre chose. Au final, je me rends compte que tout ce que j’ai attendu de lui depuis tout ce temps, ce sont des excuses. Même s’il va me falloir un peu de temps pour lui pardonner complètement, je n’ai pas envie de le tenir à l’écart de ma vie éternellement.
-Oh oui. Ce sont des vrais terreurs, à l’école. J’ai plein de photos d’eux, sur mon téléphone, si tu veux les voir…

Je lui souris, en hochant la tête. Il sort son téléphone de son manteau et me montre des photos de ses enfants. Ils sont vraiment adorables, tous les trois. Les garçons ressemblent à leur mère, alors que Sarah est vraiment une Opaline, à ne pas en douter. La tension semble retomber, et je dois avouer que cela me fait du bien. J’ai perdu ma mère mais aujourd’hui, j’ai retrouvé mon frère. De là où elle est, je suis certaine que Maman doit être la plus heureuse des mères de nous avoir ainsi.
-Cela m’a fait plaisir de te voir, Rosie. M’avoue Ryan tout en me prenant dans ses bras. Je suis un peu mal à l’aise face à ce geste auquel je ne m’attendais pas, mais je me détends en quelques secondes. Cela me fait du bien, d’être à nouveau proche de mon grand-frère.
-A moi aussi. Il faudra que tu passes à la maison, pour voir Joy. Tu verras, elle est adorable.
-Je n’en doute pas et ça sera avec plaisir.