
Depuis notre rencontre au Nouvel An, nous avons beaucoup échangé par SMS avec Cédric. Quasiment tous les jours, en fait, pour être honnête. Petit à petit, on apprend à se connaitre et je découvre un homme sympathique. On essaie de se voir, temps en temps, mais ce n’est pas toujours simple avec nos emplois du temps respectifs. Avec mon travail, je suis amenée à travailler le soir alors que lui est davantage occupé en journée, surtout lorsqu’il est à la bibliothèque.
Mais nous y arrivons, malgré tout. Souvent le midi, pendant sa pause et avant que je ne parte sur mon lieu de travail.
En tout amitié, bien sûr… Enfin.. Je crois…

Cela me fait tout drôle de côtoyer une personne extérieure à ma famille. Je ne sors pas beaucoup et je n’ai pas gardé de contact avec mes anciens camarades de classe… Du moins, avec ceux qui étaient dotés d’un minimum d’intelligence.
Mais avec Cédric, je découvre à quel point c’est agréable de parler avec quelqu’un d’autre que mon cercle familial. J’adore ma mère, j’apprécie Paul et chaque moment sur Skype avec mon père est un moment privilégié que je manquerai pour rien au monde.
Cependant, avec lui, c’est… différent. J’ai l’impression que je peux parler de tout et de rien avec lui. Il m’écoute et s’intéresse, me pose des questions et lui aussi me raconte sa vie.
Non pas que je ne puisse pas parler avec mes proches, mais je sais déjà tout d’eux et ils savent tout de moi. Il n’y a plus rien à découvrir… Et puis, il y a certaines choses dont je ne peux pas forcément leur parler… Comme le fait que mon père me manque et que j’aimerais qu’il soit plus présent. L’avouer ne ferait qu’attristés ma mère et mon père et ne changerait pas grand chose. Et mis à part ça, cela me fait du bien aussi de parler à quelqu’un de mon âge… Qui ne soit pas une vraie pipelette comme ma cousine.

Cédric aussi semble apprécier les moments que l’on passe tous les deux. D’après ses dires, lui non plus ne sort pas beaucoup. Il n’est pas aussi extraverti que son frère et il est souvent resté dans son ombre. Là où Celian était populaire et admiré de tous, lui était plus réservé et en retrait. Cela ne l’a jamais gêné et cela ne l’empêchait pas d’être proche de son frère. Il vit avec lui dans une maison à Oasis Spring et il est satisfait de cette cohabitation, même si l’excès d’énergie de son jumeau le fatigue parfois.
J’aime ces moments où il se confie, où il parle davantage de lui. Il ne le fait pas souvent, passant davantage son temps à s’intéresser à ma vie qu’à me parler de la sienne. Cela me donne l’impression d’être plus proche de lui, en plus de me permettre de mieux le connaître. Et plus j’en découvre sur lui, plus je l’apprécie.
Je dois bien avouer que j’aime sa compagnie, et qu’à chaque fois que l’on se sépare, j’ai déjà hâte de le revoir…

Un jour, Cédric a profité que ce soit bientôt mon jour de repos pour me proposer de sortir ce soir-là. Un peu rougissante, j’ai accepté sans hésiter, même si le ton de sa proposition ne faisait pas penser à une sortie amicale. Apparemment, il a quelque chose à me montrer qui devrait me plaire, mais il refuse de me dire de quoi il s’agit. Il veut me faire la surprise, qu’il m’assure. Et vu le regard que me lançait ma mère, j’ai du afficher un sourire idiot pendant que je lisais son message sur mon téléphone.
Note à moi-même : attendre d’être dans ma chambre avant de lire un SMS de Cédric.
Le fameux soir finit par arriver. Je suis un peu nerveuse et je ne sais pas comment m’habiller. J’ai envie d’être jolie, mais je ne veux pas en faire trop. Et puis, pourquoi je me prends autant la tête ?
En partant, je prétexte une soirée avec Sarah pour ne pas inquiéter ma mère, et je file rejoindre Cédric qui m’attend dans le centre de Brindleton Bay. Avec un sourire malicieux sur le coin des lèvres, il me conduit ensuite à San Myshuno. Je suis sceptique en reconnaissant la grande ville mais nous arrivons rapidement dans l’immense parc de San Myshuno, excentré du centre de la ville.
-Et nous voilà arrivés à destination, Joy ! M’annonce Cédric avec un grand sourire, fier de son coup. Je ne sais pas si tu connais !
-Que de nom, j’ai rarement mis les pieds à San Myshuno. Mais j’ai vu des photos de cet endroit, mes grands-parents se sont mariés ici.

-Et, ça te fait plaisir de venir ici ? Me demande-t-il ensuite avec un sourire plus crispé, comme s’il était nerveux. Il est vrai que je lui ai beaucoup parlé de mes grands-parents, et surtout de mon grand-père qui m’a élevé durant toute mon enfance, et peut-être craint-il que cet endroit me fasse trop penser à eux. Je lui souris aussitôt, comme pour le rassurer. Je n’ai aucune envie qu’un nuage de mélancolie vienne assombrir notre soirée à tous les deux.
-Bien sûr, c’est un très bel endroit. Mais j’avoue que je me demande qu’elle peut bien être ta surprise. Qu’est-ce que tu veux me montrer ici ?
-Je vois que tu n’as pas oublié ça. S’en amuse-t-il en réponse, semblant plus détendu. Viens suis-moi, je vais te montrer.

Nous entrons donc à l’intérieur du parc. Je laisse mon regard parcourir les lieux qui semblent si paisibles à la lumière de la lune et des guirlandes lumineuses. Nous marchons un peu, tranquillement, profitant de la brise du soir. J’avais peur d’avoir froid, mais la température printanière reste agréable.
J’essaie de convaincre Cédric de m’en dire plus sur ce qu’il a à me montrer, mais il s’amuse au contraire à me faire faire le tour du parc pour retarder l’échéance. Je m’impatiente mais je crois que cela l’amuse.
Nous finissons par arriver devant un grand télescope et mes yeux s’arrondissent de surprise en le découvrant. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir tomber sur ça dans un parc !
-J’imagine que cela n’a rien à voir avec les outils auxquels tu as accès à ton travail, admet Cédric soudainement sur la réserve, comme s’il craignait que sa surprise tombe à l’eau, mais lorsque je suis tombé dessus, cela m’a fait pensé à toi. Alors… J’ai voulu te le montrer. Toi qui est fascinée par le ciel et les étoiles…
Je me retrouve incapable de répondre. Je suis touchée par ses paroles, ainsi qu’il ait pensé à moi en voyant cet observatoire. Mon cœur s’emballe en cet instant et je me sens soudain bête de ne pas savoir quoi lui dire.
-Mais là… Je réalise que j’en ai peut-être trop fait. Bredouille-t-il face à mon absence de réaction. Après tout, tu dois avoir accès à mieux à ton travail alors ma surprise est peut-être un pétard mouillé au final …

-Mais non, bien sûr que non ! M’empressé-je de le contredire, en me tournant vers lui. Lorsque je vois son visage, je devine qu’il commençait à avoir peur d’en avoir trop fait, de m’avoir fait croire à quelque chose d’énorme alors que ça pourrait paraître insignifiant à mes yeux. Mais ce n’est absolument pas le cas. C’est une très jolie attention, au contraire !
-Tu es sûre ? Tu n’es pas obligée de me dire ça pour me faire plaisir, tu sais.
-Bien sûr que je suis sûre. Tu n’imagines pas à quel point cela me touche. Lui affirmé-je avant de le prendre spontanément dans mes bras.
Sur le coup, il semble surpris. Il ne devait pas s’attendre à ce que je me montre soudainement tactile avec lui, moi qui suis tellement sur la réserve d’habitude.
Et je dois admettre que mon propre geste me surprend moi-même.

Lorsque je m’en rends compte, je mets fin à notre étreinte, un peu gênée par la situation. Je ne sais absolument pas ce qui m’a pris. Suis-je allée trop loin ? Est-ce que je l’ai mis mal à l’aise ? Me prend-t-il pour une folle, dorénavant ?
Je m’efforce de lui sourire pour masquer ma gêne. Dans son regard, je ne lis que de la bienveillance. Il semble même plus détendu et ses inquiétudes paraissent ne plus le perturber.
Je n’ai peut-être pas tout gâcher alors.
-Hum, on peut aller à l’intérieur, tu crois ? Lui demandé-je après m’être raclée la gorge pour me donner une contenance.
-Bien sûr. Je ne t’ai pas emmenée ici pour que tu observes le télescope de l’extérieur. Me confirme-t-il avant de s’avancer vers l’observatoire pour m’ouvrir la porte qui mène à l’intérieur. Après vous mademoiselle. Je suis prêt pour la leçon d’astronomie ! M’invite-t-il ensuite à entrer avec une révérence.
Je ne peux m’empêcher de pouffer de rire devant ses manières exagérées. Je finis tout de même par entrer à l’intérieur, suivie de près par Cédric.
L’espace à l’intérieur est assez étroit, et au début, je suis un peu gênée par cette soudaine promiscuité avec Cédric. Heureusement qu’il fait sombre à l’intérieur, car je dois avoir le visage aussi rouge qu’une tomate bien mûre. Mais dès l’instant où je commence à observer les étoiles à travers le télescope, je me sens plus détendue. J’oublie que je sens le souffle de Cédric derrière moi et je me plonge avec plaisir dans ce qui me passionne le plus. Je suis incapable de cacher mon émerveillement et je ne peux m’empêcher de décrire tout ce que je vois à Cédric. Régulièrement, je lui laisse la place pour qu’il puisse voir les étoiles et les constellations de lui-même. Intarissable sur le sujet, je lui parle d’à peu près tout ce que je sais et de tout ce que j’aimerais découvrir en voyageant dans l’espace. Par moment, j’ai peur d’être ennuyeuse mais un coup d’oeil vers lui me suffit à réaliser que ce n’est absolument pas le cas.

Nous restons un long moment à l’intérieur de l’observatoire, à admirer le ciel en détail. Je crois que je n’ai jamais autant parlé de ma vie. Mais je pense également que c’est la première fois qu’une personne a vraiment envie d’écouter tout ce que j’ai à dire sur ma passion.
Oh bien sûr, mes parents sont toujours prêts à m’écouter, mais je vois bien que je les perds vite au bout d’un moment. Alors, je vais vite à l’essentiel.
Mais en cet instant, avec Cédric, j’ai l’impression de pouvoir parler de l’espace pendant des heures qu’il m’écoutera toujours. Comme si je l’intéressais vraiment. Peut-être est-ce vraiment le cas… Peut-être suis-je effectivement une personne intéressante à ses yeux ?
Nous finissons tout de même par sortir de l’observatoire, les membres un peu engourdis d’être restés enfermés aussi longtemps dans un espace restreint. Nous marchons un peu avant de nous installer sur un banc.
-J’espère que je ne t’ai pas ennuyée à te parler que d’espace. Mais une fois lancée, je ne peux plus m’arrêter. Et observer les étoiles, les constellations, c’était tellement merveilleux que je ne pouvais pas m’en empêcher.
-Tu ne m’as pas ennuyé une seule seconde, Joy, rassure-toi. Me rassure Cédric en me souriant. Tu en as parlé avec tellement de passion que c’était impossible de s’ennuyer en t’écoutant.
-Oh arrête tu exagères ! Je peux le comprendre si ça t’ennuie. Pas la peine de…
-Je suis sincère Joy. L’espace te passionne et tu es passionnante lorsque tu en parles. Ton visage s’illumine quand tu … en .. parles. M’affirme-t-il avant de s’interrompre. Il toussote un peu, comme pour se reprendre suite à sa série de compliments élogieux. Enfin bref, ils ont vraiment de la chance de t’avoir à ton travail. Quelqu’un d’aussi passionné ne peut faire que de l’excellent travail.

-Sans doute. D’ailleurs, j’ai été convoquée dans le bureau du responsable des services hier. Je vais être de nouveau promue.
-Oh félicitations ! Si j’avais su, je t’aurais emmenée ailleurs pour fêter ça ! Me répond-t-il avec enthousiasme. Il est heureux pour moi, je le devine aisément.
-Non, venir ici, c’est vraiment parfait. Ici… C’est calme, paisible… Tranquille. Tu sais, je ne suis pas quelqu’un de vraiment à l’aise en public.. enfin quand il y a trop de monde autour de moi.
-J’ai cru remarquer. M’avoue-t-il avec bienveillance. Mais je connais quelques bons restaurants qui sont assez petits et peu fréquentés. L’ambiance y est assez cosy. Je t’y emmènerais un jour, cela devrait te plaire je pense.
-Je… Tu les connais comment ? Lui demandé-je, me sentant nerveuse. Je ne pourrai expliquer pourquoi, mais ses paroles, son regard, me troublent. Je sens mes joues s’empourprer et mon cœur s’affoler. Je.. Je croyais que tu ne .. sortais pas beaucoup.
-Par mes parents. Quand ils se sont connus, ma mère était déjà mariée à un autre homme. Ce n’est pas très glorieux, mais les petits restaurants un peu cachés sont idéaux pour ne pas être pris en faute…. Enfin bref, même après que ma mère ait divorcé pour vivre avec mon père, ils ont gardé en mémoire leurs bonnes adresses et nous y sommes souvent allés en famille.
-Je vois… Pourquoi pas les découvrir oui. Lui dis-je sans parvenir à retenir un frisson.

-Tu as froid ? Semble l’avoir remarqué Cédric qui se rapproche aussitôt de moi. Rien d’indécent mais je parviens à sentir la chaleur de son bras contre le mien et son visage aussi proche du mien me trouble. Je tente de fixer un point derrière lui pour ne pas me laisser déstabiliser par son regard plongé dans le mien.
-Non, ça va. Il y a juste eu un petit courant d’air, rien de bien méchant. Lui assuré-je en faisant mon possible pour dissimuler mon trouble. Mais, par inadvertance, je perds de vue mon point de repère et mon regard croise le sien. Soudain, j’ai comme l’impression que le temps s’est arrêté. Je ne ressens plus le froid de la nuit et je pourrai rester ainsi, auprès de lui, pendant des heures sans m’en rendre compte.
-Tu es sûre ? Tu as les mains froides pourtant. Me signale-t-il alors que je me rends compte que ma main est dans la sienne. Je peux te raccompagner chez toi si tu le souhaites, ce n’est pas un soucis. Ou on peut aller quelque part où il y a du chauffage.
-Je… Je ne veux pas gâcher la soirée juste parce que je suis frileuse et que j’ai oublié de prévoir un pull. Bredouillé-je nerveusement, mais ne souhaitant pas voir la soirée s’interrompre trop rapidement. En réponse, Cédric laisse échapper un petit rire.
-Tu ne gâches rien du tout Joy. Tu as juste froid, ça arrive à tout le monde. Cependant, je n’ai pas envie que tu tombes malade alors il vaudrait mieux que tu rentres te mettre au chaud.
-Tu… Tu as sans doute raison.

Quelques minutes défilent encore avant que nous nous décidions de nous lever. Nous avançons d’un pas hésitant vers la sortie du parc, comme si ni l’un ni l’autre n’avait envie de partir. Moi qui ait été si bavarde durant la soirée, je me sens soudain très intimidée aux côtés de Cédric. Lorsque j’ose un regard vers lui, il semble perturbé, perdu dans ses pensées. Qu’est-ce qui peut bien se passer dans son esprit ? Qu’est-ce qui le tracasse ?
Je lève soudainement la tête vers la Lune et me perds un instant dans sa contemplation, comme si j’avais besoin d’un instant pour souffler.
-Tout va bien ? Me sort de mes pensées Cédric.
-Oui, oui tout va bien. Lui confirmé-je en lui souriant timidement. Je … J’étais juste en train de penser que j’ai passé une bonne soirée … avec toi.
-Moi aussi, j’ai passé une bonne soirée avec toi. M’avoue-t-il à son tour en me rendant mon sourire.
Un silence s’installe entre nous. Nous ne marchons plus vers la sortie du parc. Le temps semble comme suspendu. Son regard ne quitte pas mon visage, comme s’il essayait de sonder mes pensées. Je me sens étrange, au prise d’un étrange pressentiment. Comme si.. Comme si je sentais que tout peut changer d’un instant à l’autre.
-Joy ?
-Euh, oui ?

Cédric n’ajoute rien de plus, comme s’il voulait juste attirer mon attention. Doucement, il s’approche de moi, réduisant petit à petit la distance qui nous sépare. Il est tout prêt de moi, et je ne bouge pas d’un millimètre. Je pense deviner la suite, mais je le laisse venir à moi. Je suis tétanisée, mais je ne suis pas effrayée une seconde par les changements sur le point de s’opérer. Comme si, au fond de moi, je savais que c’est une évidence.
Le visage de Cédric s’approche doucement du mien. Il suspend son geste une seconde, comme pour me laisser le temps de le repousser si je ne partageais pas ses envies. Et puis, il dépose un bref baiser sur mes lèvres. Furtif, aussi léger que l’air si bien que l’on pourrait se demander s’il a bien eu lieu. Son regard se plonge dans le mien, semblant chercher mon approbation. Je lui offre un petit sourire timide, tandis qu’il prend mon visage entre ses mains.
Il s’empare une nouvelle fois de mes lèvres pour m’offrir un long baiser qui emmène mon cœur et mon esprit loin de tout, hors du temps.