Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 9

Joy devient ainsi une adorable bambine. Une petite blonde aux yeux bleus, comme son père. Des yeux vifs et pétillants, qui s’illumine en voyant sa grand-mère. Elle affiche un grand sourire et tend les bras vers elle.
-Mamie câlin ! Mamie câlin ! S’exclame-t-elle joyeusement en sautillant sur place.
-Tu veux un câlin ma puce ?
-Ouiiii !!

Maetha lui répond par un sourire tendre. Attendrie devant la bouille de sa petite-fille, elle se baisse aussitôt pour répondre à sa demande. Joy se jette dans ses bras pour lui offrir le plus adorable des câlins. Un vrai petit ange qui ferait fondre le plus dur des cœurs de pierre.

Joy est attentive et observe le monde qui l’entoure. Elle cherche quoi faire. Elle surveille sa grand-mère, s’assurant qu’elle ne s’en aille pas. La fillette reste calme et tranquille, devant encore s’habituer à son environnement. Elle qui n’a connu que son berceau se voit offrir un éventail de possibilité. Sa grand-mère lui sourit et lui montre les cubes, avec lesquels elle peut jouer. Joy affiche un grand sourire et s’empresse de s’asseoir pour s’amuser avec les cubes en bois.

Il commence à faire tard quand je rentre du travail. J’ai eu une journée de fou aujourd’hui. J’ai du accompagner mes collègues à la mairie pour soutenir notre demande de subventions et obtenir le soutien des élus locaux. J’ignore si nous les avons convaincu, mais en tout cas, ils avaient l’air intéressés.
Je cherche ma mère dans toute la maison et je finis par la trouver dans la chambre de Joy.
A peine entrée à l’intérieur de la pièce, je remarque qu’elle a grandi. C’est vrai que c’est son anniversaire aujourd’hui…
-Bonsoir vous deux… Balbutié-je timidement.
-Bonsoir ma fille. Me répond aussitôt ma mère. Tu as vu Joy ? Maman est rentrée !

Ma fille se tourne dans ma direction et me regarde. Aussitôt, l’évidence me frappe. Elle a un air indéniable avec son père. Aussi blonde que lui, de beaux yeux bleus comme les siens…
-C’est fou comme elle te ressemble au même âge ! Encore un petit clone Opaline ! S’en amuse ma mère.
Cependant, je ne remarque pas les ressemblances entre nous. Je ne vois que celles avec son père.
Je ne m’y attendais pas. La logique de la génétique voudrait qu’elle soit brune aux yeux marrons, comme moi… Mais le hasard a voulu me rappeler mes erreurs, mes étourderies et l’absence de Sven.

Mon cœur se serre à cette constatation. Néanmoins, j’essaie de ne rien laisser paraître. J’affiche un sourire de façade pour faire bonne figure devant ma fille. Mes problèmes ne doivent pas l’affecter, même si pour cela, je dois me montrer distante avec elle.
-Tu es adorable, Joy. Soufflé-je alors, un peu mal à l’aise. J’avoue que je me sens un peu bête et que je ne sais absolument pas quoi faire devant cette petite fille qui compte tellement sur moi. Je… Je vais aller me changer.

Aussitôt, je prends la poudre d’escampette. Je sors de la chambre de Joy pour me réfugier directement dans la mienne. On a fait plus mature comme comportement, mais j’ai envie d’être seule. Je devrais pourtant m’émerveiller devant la bouille adorable de ma fille mais c’est trop dur pour moi. Je vois Sven au travers du visage de Joy et cela me sert le cœur.
Alors que je pensais pouvoir être tranquille, j’entends ma porte s’ouvrir quelques secondes après que je l’ai fermé. Je me retourne et découvre que ma mère m’a suivi.
-Tout va bien Rosie ? Me demande-t-elle, visiblement inquiète.
-Oui Maman, pourquoi ? Je ne suis juste pas très à l’aise dans cette tenue, j’ai envie de mettre quelque chose de confortable. Me justifié-je alors, ne disant que la moitié de la vérité. Une moitié de vérité plus acceptable, socialement parlant.
-J’ai bien remarqué que tu as été troublée en voyant ta fille… Je me doute bien qu’elle ressemble à son père… Du coup, je ne peux m’empêcher de m’inquiéter pour toi …

-Ca va aller, ne t’en fais pas. Je ne suis pas obligée d’avoir un clone de moi-même comme enfant. Lui dis-je en me forçant à sourire. Son inquiétude me touche et elle a visé juste. Elle me connait par cœur mais j’ai trop honte pour oser avouer qu’elle a raison.
-Tu es sûre ? Tu arriveras à gérer sa ressemblance avec Sven ? Tente-t-elle de s’en assurer, suspicieuse. Je peux comprendre tu sais. J’ai vécu la même chose avec ta sœur … C’était pas évident au début mais…
-Maman. Ca va. Ne t’inquiète pas. J’ai juste envie de me changer et de me poser un peu. La journée a été longue. Soupiré-je en m’asseyant sur le bord du lit en me massant les tempes. Je sens un mal de tête arrivé et j’ai envie de ne penser à rien.

Bien que sceptique, ma mère finit par me laisser tranquille et m’accorder le répis dont j’ai besoin. Je suis dépitée par ma propre attitude. Je me donnerai des baffes tellement je fuis mes responsabilités. Mais c’est plus fort que moi, surtout maintenant qu’elle a grandi.
Alors, encore une fois, je me repose sur mes parents. Qu’est-ce que je ferai sans eux…
Tous les deux, ils sont ravis de s’occuper de leur petite-fille. Je les vois s’émerveiller devant sa bouille, ses grands yeux bleus et ses sourires. Ils répètent souvent qu’elle me ressemble. Moi, je ne vois que ses cheveux blonds et la couleur de ses yeux…

J’ai mal dormi toute la nuit. Je ne suis pas parvenue à me sortir Sven de l’esprit. Cela m’agace. Je sais que je ne le reverrais plus, que je n’aurais plus de contact avec lui… Il faut absolument que je parvienne à me le sortir de la tête. Sinon, je ne parviendrai jamais à avancer et à changer ce qui ne va pas dans ma vie…
Alors, un beau jour, sur un coup de tête, je vais dans un salon de tatouage. Le tatoueur me regarde avec un air sceptique mais il finit par accepter ma demande.
Me tatouer un cœur sur le bras, avec écrit Sven à l’intérieur, dans une langue étrangère. C’est terriblement cliché et sans doute difficile à porter sur la durée, mais c’est le seul moyen de me le sortir de la tête. Sven fera toujours parti de moi, et le graver à jamais dans ma peau est une manifestation symbolique de cette partie de ma vie. Ainsi, au lieu de l’avoir en permanence dans la tête, je l’aurais sur le bras.
-Tu t’es faite faire un tatouage ? S’étonne ma mère un matin, après que j’ai enfin pu retirer le pansement qui protégeait ma peau en cours de cicatrisation.
-Oui… J’en ai éprouvée le besoin…
-Le texte signifie quoi ?
-Sven… Soufflé-je d’un air songeur, sans oser regarder ma mère. Heureusement, elle s’abstient de faire un commentaire et se contente d’acquiescer.

Après le petit déjeuner, je file prendre ma douche pour me préparer avant d’aller travailler. J’ai une petite journée aujourd’hui mais je dois tout de même aller faire un tour à l’association pour une réunion.
En retournant dans le salon, je constate que Joy est réveillée et installée dans sa chaise haute. Je l’observe, mais je ne dis rien. Je suis comme bloquée, incapable de faire quoique ce soit.

-Tu as vu comme elle est mignonne Joy ? Me signale ma mère avec un grand sourire. Adorable dans son pyjama hamster.
-Oui.. Très…
-Tu peux lui parler tu sais. Elle est suffisamment grande pour commencer à te répondre.

Face à ma fille, je reste tétanisée. J’admets volontiers qu’elle est mignonne. Mais le reste, c’est encore trop dur pour moi. Je l’observe manger ses céréales mais je ne dis rien. J’ai l’air complètement idiote et par moment, Joy me lance des regards incrédules. Elle doit se demander ce que je trafique à rester plantée là, à la regarder sans rien dire.
-Elles… Elles étaient bonnes tes céréales ? Tenté-je finalement, lorsqu’elle a fini son petit déjeuner.
-Oui !
-Tu veux autre chose ?
-Non !

J’ai l’air ridicule. C’est ma fille et je suis incapable de lui parler normalement. Je suis sûre qu’elle comprend que je me force. Cela se voit dans son regard. Elle me scrute bizarrement.
Je suis terriblement mal à l’aise en présence de ma fille. Je suis certainement qu’elle doit le ressentir. Elle doit se demander ce que je fais là, moi, à quoi je sers dans cette maison. Elle a sa mamie, son papy, et une dame qui traîne de temps en temps à la maison sans savoir qu’elle est son rôle dans la famille.

-Excuse ta maman ma puce, elle est un peu maladroite ! S’exclame ma mère en venant à ma rescousse. Elle se penche vers Joy et lui fait de grands sourires. Tu as bien mangé ?
-Oui Mamie ! Je veux jouer ! S’exclame joyeusement ma fille en sautillant comme un beau diable sur sa chaise, visiblement pressée de pouvoir se déplacer librement.
-Non ma puce. D’abord, il va falloir que tu prennes un bain !
-Un bain ?
-Oui un bain mais tu verras c’est rigolo de jouer avec l’eau !
-Oui !!!

Alors qu’elle se redresse pour ensuite libérer Joy, ma mère affiche aussitôt une grimace avant de poser une main dans son dos. Je m’avance alors vers elle, inquiète pour son état physique.
-Qu’est-ce qui t’arrive maman ?
-Ce n’est rien, je me suis redressée trop vite. Me répond ma mère en tentant de se masser le bas du dos. Tu peux sortir Joy de sa chaise s’il te plait ? Elle va être intenable sinon.
-Euh, oui. Accepté-je bon gré mal gré. Je me tourne donc vers la chaise haute, face à ma fille qui s’impatiente. Je soupire puis je débloque le plateau pour ensuite soulever Joy pour la prendre dans mes bras. Aussitôt, je la vois faire la grimace. Visiblement, elle aurait préféré être dans les bras de sa grand-mère. Je n’attends donc pas plus longtemps pour la reposer sur le sol.

-Aoutch ! S’exclame une nouvelle fois ma mère en se penchant vers l’avant.
-Maman, ça va ? M’inquiété-je alors.
-Je me suis coincée le dos ! Me répond-t-elle, la douleur se percevant dans la voix. Elle ne bouge pas d’un pouce, comme si elle n’osait pas faire le moindre mouvement de peur d’avoir mal.
-Mamie bobo ? Interroge alors Joy, intriguée par l’attitude de sa grand-mère.
-Oui, Mamie a bobo au dos. Confirme-t-elle alors, avant de s’adresser à moi. Dis, tu peux lui faire prendre son bain ? J’en suis bien incapable et ton père est sorti faire les courses.
-Mais…
-S’il te plait, pour aider ta vieille mère. Insiste-t-elle sur un ton implorant, un poil exagéré. Je plisse les yeux, suspicieuse. Elle n’oserait quand même pas jouer la comédie, tout de même ?
-Bon, si ça peut t’aider. Finis-je par abdiquer, me penchant une nouvelle fois pour prendre ma fille dans les bras. Repose ton dos surtout. Ajouté-je en me dirigeant vers la salle de bain.
-Compte sur moi ! Confirme-t-elle joyeusement, avant d’aller rapidement se poser sur le canapé, arborant un air fier sur le visage.
J’en étais sûre, qu’elle jouait la comédie !

Dépitée de m’être faite avoir comme un bleu, je m’exécute tout de même en emmenant Joy dans la salle de bain. J’ouvre le robinet de la baignoire pour faire couler l’eau. Pendant ce temps-là, je me débats avec ma fille pour la déshabiller et commencer à la coiffer. Ainsi, cela évitera qu’elle ait des nœuds dans les cheveux.
Cependant, la demoiselle ne se laisse pas faire et réclame sa mamie. Je tente de lui expliquer qu’elle va devoir se contenter de sa maman, elle ne veut rien entendre. Je soupire, et après avoir vérifié la température de l’eau, je l’installe dans la baignoire pour commencer à la laver.

-Tu vois, c’est rigolo de prendre un bain. Lui dis-je tandis que je la vois jouer avec l’eau avec ses mains.
-Oui. Me confirme-t-elle calmement. Mais plus drôle avec Mamie ! Ajoute-t-elle en affichant un grand sourire innocent. Dans la seconde qui suit, elle s’amuse à m’éclabousser en riant joyeusement.
Je soupire en m’essuyant le visage. Elle ressemble peut-être à un ange, mais au fond, c’est une vraie chipie cette gamine ! Comme sa grand-mère, la malade imaginaire !

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 8

J’ai du mal à m’occuper de Joy. C’est ma fille mais c’est comme si l’information ne s’est pas complètement intégrée dans mon cerveau. J’ai beau me répéter qu’elle est mon enfant, ainsi que mes devoirs et obligations vis-à-vis d’elle, je n’arrive pas à m’approcher d’elle. Je parviens à aller dans sa chambre, à l’observer dans son berceau, mais cela s’arrête là.
C’est dans ces moments-là que je bénis le ciel d’avoir encore mes parents. Ils s’occupent de leur petite-fille avec plaisir, de jour comme de nuit. Même pour changer ses couches, ils le font avec le sourire. Ils aiment Joy, cela se voit et cela me réchauffe le cœur. Mais en même temps, je culpabilise. Pendant qu’eux, se lèvent la nuit quand elle pleure, moi je me rendors aussitôt. Parfois, je suis tellement fatiguée que je ne l’entends même pas.

J’ai tellement honte de moi que je me réfugie dans le travail. Là-bas, je peux être quelqu’un d’autre. Une autre femme, une qui ne soit pas une mère indigne. Certes, mes collègues me demandent des nouvelles de ma fille, mais j’élude la question en disant qu’elle va bien. Généralement, ils n’insistent pas et on passe à autre chose.
Cela me va très bien.
Par moment, je profite même de l’été qui s’éternise en intervenant en extérieur. Je vais à la rencontre des gens pour leur parler de l’association, de la cause féministe, en espérant éveiller leur conscience, voire recruter des bénévoles ou obtenir des dons.

Généralement, j’ai plutôt tendance à aller vers les hommes afin de discuter féminisme avec eux. Le challenge est généralement plus intéressants et cela m’amuse d’essayer de déconstruire les stéréotypes qu’ils considèrent comme une vérité absolue. Avec les plus ouverts, cela donne des conversations intéressantes et j’ai vraiment l’impression d’agir, de faire avancer les choses.

C’est tellement agréable de sortir comme ça, d’aller à la rencontre des gens, des inconnus… Je me sens tellement bien. Je passe des heures à San Myshuno, je me balade de quartier en quartier et mon esprit s’aère, s’évade, se concentre sur autre chose. Mon travail me passionne et cela me fait du bien… Même si je passe peu de temps à la maison par conséquent.
Certes, je fuis. Mais j’en éprouve le besoin pour garder la tête hors de l’eau. C’est par le travail que je me suis remise du départ de Sven, c’est par le travail que je me remettrai de ma stérilité.

En me baladant dans le quartier, j’ai croisé Manon devant la salle de sport. Cela fait un moment que je ne l’ai pas vu. Depuis que nous avons terminé le lycée, en fait. Je vais aussitôt à sa rencontre, ravie de la revoir.
-Coucou Manon ! Tu vas bien ? Ca fait un baille ! M’exclamé-je alors qu’elle me sourit.
-Salut Rosie ! Ca va bien et toi ? Qu’est-ce que tu fais ici ? Il me semble que tu vis toujours à Willow Creek…
-Ca va aussi….. Oh moi je travaille. Je me suis engagée dans une association pour promouvoir la cause féministe. Et toi, tu deviens quoi ?
-Oh c’est cool ça ! Faudra que tu m’en parles plus en détail mais j’ai pas trop le temps là. Oh moi, j’ai été prise dans un cabinet de stylistes. C’est plutôt cool ! Bon, faut que je te laisse, j’ai un rendez-vous ! Eh, on peut se voir en boîte ce soir si tu veux ? Invite toute la bande, ça peut être sympa !
-Bah pourquoi pas, oui ! Ca peut-être cool ! Accepté-je sans réfléchir. Cela ne pourra pas me faire de mal de sortir avec mes amis et je ne m’en suis pas accordée depuis longtemps.

Etant donné mon programme de ce soir, je décide de ne pas rentrer trop tard du travail. Lorsque j’entre dans la maison, tout est calme et j’entends juste le son de la télévision. Mes parents sont en train de regarder un film. Cela doit être l’heure de la sieste de Joy s’ils se permettent de suivre un long-métrage. Ils me sourient en me voyant et je vais les rejoindre sur le canapé.
-Tu as passé une bonne journée ? Me demande ma mère sans quitter l’écran des yeux.
-Tranquille. J’ai croisé une copine à San Myshuno, elle m’a proposé de sortir ce soir. Du coup, j’ai proposé aux autres de venir. Ca va être cool!

-Tu es sûre que tu veux sortir ? Me demande ma mère après un silence gêné.
-Bah oui pourquoi ? Lui réponds-je, sans comprendre où elle veut en venir. Je suis majeure et j’ai parfaitement le droit de sortir sans avoir besoin de l’autorisation de mes parents.
-Je ne sais pas … Semble-t-elle hésiter, comme si elle marchait sur des œufs. Tu passes déjà beaucoup de temps en dehors de la maison, je me disais… Que peut-être tu voudrais rester un peu à la maison… Pour faire connaissance avec ta fille notamment.
-Maman… Je suis là tous les soirs. Soupiré-je en regardant mes pieds. Je ne suis pas sortie depuis la naissance de Joy et cela n’a rien changé quant à ma relation avec elle. Ce n’est pas restant ici ce soir que cela va changer quelque chose. Je ne peux pas pour l’instant, c’est tout.
-Je sais que c’est difficile ma puce. Tu as fait un déni de grossesse, ton accouchement a été difficile… Tu as besoin de temps pour accepter Joy dans ta vie et c’est normal. Mais je ne suis pas certaine que c’est en t’enfuyant de la maison à la moindre occasion que la situation va s’arranger.
-Ca va aller Maman, je gère. Secoué-je la tête, refusant de me confronter à la réalité. Je me lève aussitôt du canapé, ne voulant pas poursuivre cette conversation. Bon, je vais aller me préparer pour ce soir.
-Ma puce, ne te vexe pas. Je te dis ça seulement parce que je ne veux pas que tu ais des regrets plus tard. Et puis, avec ton père…
-J’ai compris Maman, mais ça va.

Malgré la désapprobation de mes parents, je prends quand même le temps de me préparer pour passer la soirée dehors. Je fais un peu plus attention à mon apparence que d’habitude. Je me fais belle, je travaille mes cheveux, ma tenue. Une fois prête et une fois que Manon m’a confirmée le lieu par message et que Caroline m’a dit qu’elle serait là, je file en dehors de la maison sans laisser le temps à mes parents de me dire quoique ce soit.
Une fois à Windenburg, je retrouve mes amis. Cela me fait un bien fou de les retrouver. Ce soir, j’ai l’impression d’être comme eux. Je ne suis plus une jeune maman célibataire, je suis une jeune femme, leur amie de longues dates.

-Tu es super belle Rosie ! Me complimente Caroline tandis que je la rejoins au bar.
-Merci ! J’ai eu envie de faire un effort ce soir !
-Ca va aller de laisser ta fille à tes parents ? Ils n’ont pas trop râler ? S’inquiète subitement ma meilleure amie pendant que je me commande un verre. Enfin je peux enfin me faire plaisir !
-Non, t’en fais pas. Ils sont gagas devant leur petite-fille ! Mais ce soir, je ne suis plus une maman ! Ok ?
-Ok ! Profitons de cette soirée ! S’enthousiasme Caroline en affichant un grand sourire.

Pour être tout à fait honnête, j’étais un peu nerveuse de venir ici. Je ne savais pas comment j’allais réagir face à une situation de la vie quotidienne. Je suis jeune et les jeunes de mon âge sortent le soir. Ils vont en boîte et s’amusent.
Mais je ne suis plus tout à fait une jeune femme « normale ».
Cependant, je parviens sans problème à entrer dans l’ambiance. La musique, mes amis m’aident à oublier la maison et à me concentrer sur l’instant présent. Cela me fait un bien fou !
Je commande un verre de jus de fruit. Puis un deuxième. Ce n’est peut-être pas raisonnable, mais cela me fait du bien. J’arrive à me détendre et je suis prête à profiter de la soirée sans me prendre la tête !
Lors du troisième, j’en offre un à Caroline et vais pour lui apporter quand je croise un ami.
-Eh beh ! Tu n’y vas pas à moitié dis moi !
-Te fais pas de film, l’autre est pour Caro ! Par contre tu la kiffes ta boisson de filles ? Le taquiné-je en remarquant son cocktail dans la main.
-No comment la féministe ! Rétorque-t-il en riant. Je me joins à lui en riant à mon tour puis je pars à la recherche de ma meilleure amie.

La soirée suit tranquillement son cours. La nuit est complètement tombée dehors et la boîte s’est remplie. Après avoir consommé plusieurs verres au bar, nous nous sommes tous dirigés vers la piste de danse. C’est le moment de se laisser porter par la musique et se défouler en rythme en laissant le DJ mener la danse.
J’ai l’esprit embrouillé par le jus de fruit. Je me sens tout à coup ridicule d’être ici, comme si de rien n’était. Je n’ai pas envie de penser à ça. J’ai envie de m’amuser, d’être insouciante. Je n’ai pas envie de me prendre la tête. Je respire un grand coup. Je me concentre sur la musique et je déhanche davantage. C’est triste de se laisser submerger par des émotions négatives en soirée. Je ne veux pas être quelqu’un de triste. C’est nul… d’être triste. 

Un mec m’aborde durant la soirée. J’ai encore bu quelques jus de fruits et je n’ai plus tout à fait les idées claires. Je ne comprends pas toute suite ce qu’il cherche à faire lorsqu’il s’approche de moi pour danser avec moi et qu’il commence à me parler. Quand je comprends qu’il me drague, je m’amuse à flirter avec lui. Je ne fais rien de mal et c’est amusant. Je teste mes capacités de séduction.
En cet instant, je me sens femme, pendant que je flirte et que je vois dans ses yeux que je lui plais.

Nous continuons notre jeu de séduction. Je ne sais pas comment il s’appelle. Et à vrai dire, je m’en fiche. Je n’ai pas l’intention de le revoir par la suite. Si ça se trouve, je me souviendrai à peine de lui demain. Mais pour l’instant, je m’amuse comme une folle. Je me sens désirée. Je me sens femme. Cela me fait tellement de bien ! Cela fait tellement longtemps que je ne me suis pas sentie ainsi !
J’ai même osé l’embrasser ! Nous ne nous sommes pas lâchés de la soirée, à nous embrasser et nous toucher. Mais rien de plus, je suis restée sage. J’aurais pu, après tout, je n’ai aucun risque de tomber enceinte cette fois-ci. Mais j’avais pas envie. Je voulais juste flirter et m’amuser, rien de plus.

Quand je suis rentrée, mes parents dormaient déjà. Le lendemain matin, ils ne me disent rien. J’ai mal à la tête au petit déjeuner et je vois le regard désapprobateur de ma mère. Mais je m’en fiche. J’ai des souvenirs flous mais je me suis bien amusée. Je ne regrette rien et c’est légère que je pars au boulot, laissant ma mère préparer le biberon pour Joy.

Entre mon travail et mes sorties, je ne vois plus le temps passé et je me sens enfin plus légère. Mes parents n’approuvent pas mais ils me laissent faire. Je sais qu’ils voudraient que je me rapproche de ma fille, mais c’est bien la dernière chose dont j’ai envie pour le moment. Elle me rappelle trop Sven, trop ma stérilité. Pour le moment, elle est bien mieux avec ses grand-parents.
Puis, vient son anniversaire. Ma fille grandit et devient un bambin. J’ai du mal à réaliser qu’elle va se mettre à gambader partout maintenant, et qu’elle n’est plus limitée à son berceau.
Je suis au travail quand mes parents célèbrent son anniversaire. J’ai une journée particulièrement remplie aujourd’hui et mes parents le comprennent bien. Et malheureusement, Joy ne peut pas m’attendre pour grandir !

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 7

-Madame Opaline, votre fille et son bébé se portent bien et tout ira bien, ne vous inquiétez pas. Cependant, ajoute le médecin sur un ton plus grave, nous avons du procéder à une césarienne car le bébé était en difficulté. Pour la faire courte, il y a eu des complications durant l’opération.
-Des complications ?
-Oui. Votre fille a fait une hémorragie. Une importante hémorragie… Malheureusement, nous n’avons pas pu sauver son utérus. Pour sauver votre fille, nous avons du lui faire une hystérectomie.
-Oh mon Dieu…
-Madame Opaline, je sais que c’est difficile à entendre. Mais ne retenez que l’essentiel. Votre fille et votre petite-fille se portent bien. Votre fille se remettra de l’opération et pourra reprendre une vie tout à fait normal. Elle aura cependant besoin de tout votre soutien pour accepter… qu’elle ne pourra plus avoir d’enfant naturel.
-Je… Quand pourrai-je la voir ?
-Votre fille est en salle de réveil, vous ne pouvez pas la voir pour le moment. Mais je peux vous emmener voir votre petite-fille….

Le temps a passé depuis mon accouchement difficile. J’ai été sonnée lorsque ma mère m’a expliqué la situation. Je n’ai plus d’utérus. Je ne pourrai plus jamais avoir d’enfant … Sur le coup, j’en ai presque oublié ma fille. Ma mère s’est chargée de me rappeler son existence, en m’assurant qu’elle va bien et qu’elle est magnifique.
Ma fille… La fille de Sven… Mon seul et unique enfant à jamais.
C’est à ce moment-là que j’ai pleuré, dans mon lit d’hôpital. Je n’ai pourtant jamais réfléchi à la famille que je voulais, ni même si je désirais avoir d’autres enfants un jour. Mais j’ai l’impression que l’on m’a enlevé ce choix. Je n’ai pas choisi d’avoir un enfant et je vais devoir me contenter de ma fille. J’ai honte de penser comme cela, mais c’est plus fort que moi.
Ma fille est rentrée à la maison avant moi. Je n’ai pas souhaité l’allaiter alors l’hôpital n’a pas jugé bon de la garder alors que mes parents peuvent s’en occuper le temps de mon hospitalisation. Je n’ai pas protesté. J’étais ailleurs, quelque part dans ma tête.
J’ai confiance en mes parents. Je sais qu’ils s’occuperont d’elle à merveilles, comme ils se sont toujours bien occupés de leurs propres enfants.

Avant qu’elle ne parte de l’hôpital, j’ai pu la voir. Les infirmières m’ont amenée ma fille plusieurs fois mais j’avais trop mal pour la garder bien longtemps dans les bras. Si bien que c’était ma mère ou mon père qui la pouponnait en me rappelant qu’elle est magnifique.
Mais moi, je ne pensais qu’à ma douleur. Autant physique que psychologique. J’avais mal au ventre et au cœur. C’est aussi pour cela que je ne pouvais la garder longtemps dans les bras.
J’ai du mal à m’attacher à elle. Quand je la regarde, j’ai du mal à me dire que c’est ma fille.
Je suis une personne affreuse. Quelle mère dit ça de son enfant ?

Je suis rentrée chez moi plus d’une semaine après mon accouchement, à condition de rester alitée. J’ai passé mon temps allongée dans mon lit, à ruminer seule dans mon coin. Mes amis sont venus me voir à la maison, en particulier Caroline. Elle me donne des nouvelles du travail et un jour, elle est arrivée avec un gros bouquet de fleurs dans les bras et une carte signée par tous mes collègues. Ils pensent tous à moi et me témoignent de tout leur soutien. Ils sont vraiment adorables et cela m’a mis un peu de baume au cœur.
Par moment, j’entends ma fille pleurer, mais jamais bien longtemps. Mes parents se dépêchent d’aller s’occuper d’elle. Régulièrement, ils m’amènent ma fille pour que je puisse la voir et passer du temps avec elle.
Ces instants aussi ne durent pas très longtemps. Je vois que mes parents sont de très bons grand-parents avec ma fille et lui témoignent tout l’amour dont elle a besoin. Chose dont je suis incapable pour le moment.

Mes parents n’insistent pas dans ces moments-là. Ils comprennent que la situation est difficile pour moi et que le contact avec ma fille est d’autant plus compliqué.
Je me sens horrible. Mais je sais que mes parents compensent mes failles. Qu’est-ce que je ferai sans eux, toute seule avec ce bébé à m’occuper ? Je l’ignore et je préfère ne pas y penser.
Je me contente d’imaginer mes parents s’occuper de ma fille, et cela me console un peu. Le début de son existence n’est pas aussi pourrie que ça, avec des grands-parents en or.

Petit à petit, je me remets de mon opération. Je finis par réussir à me mettre debout, à marcher sans aide et je retrouve progressivement une vie normale. Une infirmière est venue me retirer les fils et je tente d’ignorer cette affreuse cicatrice.
Petit à petit, les choses reprennent leur cours normal et je peux maintenant reprendre le travail. Mes responsables m’ont assuré que je pouvais prolonger mon congé si je le souhaitais, mais j’ai refusé. J’ai besoin de sortir de cette maison, de prendre l’air.
Mais avant de partir pour San Myshuno, je vais voir ma fille. De moi-même. Il faut que j’affronte mon blocage. Peut-être pourrai-je tenter de la prendre dans mes bras ? C’est ma fille, j’ai tout à fait le droit de la serrer contre moi.
Alors pourquoi je reste plantée devant son berceau ? Pourquoi suis-je incapable de faire un geste vers elle ?

J’observe ma fille dans son berceau. Elle est bien réveillée et gigote tranquillement sans se douter de ce qui passe autour d’elle. Elle a l’air si bien, si insouciante, si heureuse… Si adorable.
Oh Joy, tu ne mérites pas une mère comme moi. Une mère qui reste pétrifiée devant sa fille, alors qu’elle ne devrait lui apporter que de l’amour.

-Tout va bien ma chérie ? Me demande subitement mon père, en me faisant sursauter. Je ne l’ai pas entendu entrer tellement j’étais perdue dans mes pensées et ma culpabilité.
-Euh… Je … Je sais pas… Bafouillé-je, gênée, comme prise en faute.
-Tu peux la prendre dans tes bras, si tu veux. Joy sera ravie d’avoir un câlin de sa maman. M’assure mon père avec un sourire bienveillant, encourageant. Ne t’inquiète pas, c’est solide un bébé. Tu ne risques pas de la casser.
-Je… Je sais… Je … J’ai pas le temps Papa, il faut … Il faut que j’aille travailler. Soupiré-je avant de sortir rapidement de la pièce. Je m’enfuis. Je m’enfuis devant ma propre fille. Comme une lâche.
Je suis pathétique.

Je fonce jusqu’à San Myshuno, honteuse. Mes collègues sont bienveillants avec moi et j’insiste pour que l’on se comporte normalement avec moi. Je ne veux pas de traitement de faveurs. Je ne veux pas que l’on me ménage.
Je veux agir. Je veux être en action. Je ne veux pas avoir du temps pour penser, pour réfléchir, pour cogiter.
Alors, je me retrouve vite dehors, dans le quartier des Épices. Je dois réaliser une œuvre de street art pour promouvoir notre association, notre cause.
Je ne suis pas une grande artiste mais cela me permet de penser à autre chose, tellement je suis concentrée sur mon œuvre.

Par moment, mon esprit divague. Je pense à ma situation. Je pense à ma désormais stérilité. Je pense à Sven. Je pense à Joy.
Je pense que je suis nulle. Je pense que je suis pathétique.
Puis, vient l’accident. Distraite, je me prends de la vapeur de la peinture en bombe dans les yeux. Je râle, je peste, et je file dans les toilettes publiques pour me rincer les yeux. Ils sont un peu rougis, mais cela va aller. Je soupire puis je ressors pour finir mon travail. Je fais plus attention, me donnant à fond pour mon travail.

La journée est longue, et je prends mon temps sur mon œuvre. Je discute également avec les passants curieux, qui se demandent ce que je fais, pour quelle cause je milite. Je leur souris, je leur parle avec bienveillance et patience. J’enfile un masque et personne ne se doute du drame qui régit ma vie.
La nuit tombe et je ne suis pas pressée de rentrer. Passer cette journée dehors m’a fait du bien et je redoute le moment où je devrais rentrer à la maison. Car je vais retrouver mon quotidien. Mes parents. Ma fille. Mon pathétisme.
Pourtant, je suis fatiguée. Je m’écroule au sol, épuisée. Ce n’était peut-être pas une bonne idée de rester aussi tard alors que j’ai encore besoin de repos.
Mais bon, je ne suis plus à ça près.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 6

Je n’en peux plus de cette grossesse. J’entame la dernière ligne droite et j’ai hâte que la crevette sorte de mon ventre. Je suis constamment malade, fatiguée et j’ai mal au dos à cause du poids du bébé. Mon ventre est énorme et je peine à me souvenir de ma silhouette avant que je sois enceinte. J’aimerai tellement retrouver ma ligne d’avant … Mais pour le moment, la crevette ne semble pas pressée de sortir et cela commence à peser sur mes nerfs.
Contrairement à ma mère qui est tout excitée par l’arrivée du bébé. Je crois qu’elle est ravie de devenir une nouvelle fois grand-mère. Cela me fait tout bizarre de la voir ainsi, alors que pour moi, le malaise grandit au fur et à mesure que l’accouchement est imminent. Serai-je une bonne mère, comme ma mère l’a été avec moi ?

Cette après-midi, mes parents gardent les triplés de Ryan. Lui et Juliette travaillent et la garderie est exceptionnellement fermée suite à un dégât des eaux survenu dans la matinée. Maman s’est faite un plaisir de leur proposer de les garder en urgence.
Du coup, Ryan est passé en coup de vent à midi pour déposer les enfants. Visiblement, ils sont tous les trois d’une humeur massacrante. A peine Ryan parti travailler, ils se sont mis à pleurer et à courir partout pour chercher leur père. Je crois que l’on va tous devenir sourds d’ici la fin de la journée !

De plus, les triplés courent vite et entre mes parents qui ne sont plus tout jeune et moi qui suis enceinte jusqu’au cou, nous avons bien du mal à les suivre. Si bien qu’ils profitent de leur avantage pour faire des bêtises dès que nous avons le dos tourné.
Surtout Kylian, qui est une vraie canaille. Nous l’avons perdu de vu et je l’ai retrouvé dans la salle de bain, en train de jouer avec l’eau des toilettes.
-Kylian ! Joue pas avec ça, c’est sale ! Le grondé-je avant de le soulever péniblement.
Laisse-moi Tata, laisse-moi ! Piaille-t-il aussitôt avec sa voix stridente tandis que j’essaie tant bien que mal de lui laver les mains. Chose qui n’est pas évidente avec cette boule de nerfs et avec mon gros ventre.
Fort heureusement, alerté par les cris, Papa vient vite à ma rescousse et prend le relais avec Kylian qui continue de gesticuler dans tous les sens.
Mais comment font-ils pour gérer les gérer, ces terreurs ?

Quant à Maman, elle essaie de se rapprocher de ses petits enfants. A commencer par Sarah, mais cette dernière n’a pas l’air très motivée par subir les câlins de sa grand-mère. Elle est aussi têtue que mignonne et ne se laisse absolument pas décidée à se laisser approcher.
-Non non non ! Pas touchée Mamie ! Pas touchée !
-Mais tu aimes bien que je te fasse des câlins d’habitude ! S’en étonne alors ma mère, un peu déçue et gênée par la bouille attristée de Sarah.
-Je veux Papa ! S’écrit aussitôt la petite en secouant la tête.
-Papa est au travail ma puce. Il viendra vous chercher ce soir. C’est bien aussi d’être chez Papy et Mamie, non ?
-Non ! Je veux Maman !!!

Maman soupire et finit par apporter un jouet à Sarah pour qu’elle puisse s’occuper toute seule. A sa tête, je devine que les triplés l’épuisent à crier tout le temps.
Papa essaie une approche plus en douceur, en lisant une histoire à Alexandre. Il reste sagement assis sur le canapé, sans tenter de s’échapper, mais il ne semble pas plus ravi d’être ici. Il affiche une moue triste sur son visage et l’histoire ne lui fait apparemment pas plaisir.

-Elle est nulle l’histoire ! Tu racontes pas comme Maman ! Boude-t-il alors, profitant d’une pause de son grand-père quand il tourne la page.
-Elle raconte comment ta maman ? Je peux tenter de faire comme elle.
-Elle, elle fait des voix rigolotes ! Je veux Maman !! S’en-tête Alexandre, faisant soupirer mon père.

Les triplés sont adorables en temps normal mais là, ils sont intenables. Les entendre crier à tout bout de champ me donne mal au crâne et me fatigue. J’ai du mal à tenir debout et mon père m’invite très vite à monter dans ma chambre pour me reposer. J’hésite un instant, car ils sont deux pour s’occuper de trois petits monstres mais il insiste et je ne me fais pas prier davantage. Je vais aussitôt dans ma chambre et je m’allonge avec bonheur sur mon lit.
Enfin un peu de calme, même si je parviens à entendre les cris provenant du rez-de-chaussée. La maison est bien isolée et les bruits sont suffisamment étouffés pour que je puisse me reposer. Ils sont de véritables contraceptifs ambulants et je me mets à prier que ma crevette soit plus calme.
-Tu seras plus calme que tes cousins, hein ? Soupiré-je en posant une main sur mon ventre tout en fermant les yeux. Faut pas prendre exemple sur eux, ils sont terribles. Continué-je en commençant à m’endormir, essayant de faire taire mes craintes quant au caractère de ma crevette. Et si c’est une terreur, elle aussi ? A faire des bêtises tout le temps et à crier au lieu de parler ? Et si la crevette ne m’accorde aucun répis ?

En bas, mes parents semblent parvenir à canaliser les petits monstres, même si leur humeur n’est pas encore à la fête. Sarah joue tranquillement avec des cubes en bois tandis qu’Alexandre continue d’écouter l’histoire raconté par son grand-père. Seul Kylian semble un peu perdu au milieu de cet environnement et ne sait pas quoi faire.
-Tu ne veux pas jouer avec ta sœur, Kylian ? Lui propose doucement ma mère alors qu’il regarde avec envie les cubes.
-Non ! Elle est nulle Zarah ! Refuse-t-il en tapant du pied.
-Kylian ! On ne doit pas ça, c’est pas gentil ! Le gronde ma mère. Tu veux écouter l’histoire de Papy ?
-Non !
-Ah ! La période du Non ! Soupire mon père en regardant ma mère avec un regard complice. C’est qu’on aurait oublié, depuis le temps !

Après ma sieste, je finis par redescendre pour aider mes parents à s’occuper des petits monstres. Je me charge donc d’essayer d’occuper Kylian. Visiblement, il veut avoir quelqu’un pour s’occuper que de lui, sans partager avec son frère et sa sœur. Visiblement, c’est un trait de caractère de famille mais je m’abstiens de faire tout commentaire.
Je me contente seulement de sortir un jeu de carte et de faire deviner ce qu’elle représente à mon neveu.

-Alors Kylian, qu’est-ce que c’est ?
-Dodo ! S’exclame-t-il en réponse.
-Oui c’est pour faire dodo. Mais ça s’appelle comment ?
-Euh…

Je ne sais pas si ce que je lui propose l’intéresse réellement, car il semble intrigué par ma demande. Comme s’il se demandait où je veux en venir. Je persiste cependant, car en attendant, il semble s’être calmé. Et le calme, cela fait du bien.
-Un lit ? Ose-t-il enfin.
-Oui c’est ça ! Bravo Kylian ! M’exclamé-je joyeusement, me sentant ridicule. Le mot lit est tout simple et cela me fait bizarre de le féliciter pour cela.
En fin d’après-midi, c’est Juliette qui vient chercher les petits monstres. Elle reste un peu avec nous pour nous remercier de les avoir dépanné à la dernière minute. Mes parents restent polis en disant qu’ils ont été adorables.
Je lève les yeux au ciel face au politiquement correct et je finis par leur fausser compagnie pour aller me reposer. Mon ventre est douloureux et je n’ai qu’une envie : me coucher en attendant que cela finisse par passer.

Sauf que cela ne se calme pas, au contraire. Le soir, j’ai du mal à m’endormir et je tourne en rond dans mon lit. J’essaie de me masser le ventre mais rien ne me soulage. Par moment, la douleur se calme pour revenir de plus belle quelques minutes plus tard. Plus le temps passe, plus la douleur est insupportable.
Je finis par renoncer à dormir et je me lève. J’ai du mal à tenir sur mes jambes. J’essaie de respirer calmement mais c’est difficile quand la douleur revient.
Je crois que c’est le moment. La crevette se décide enfin à montrer le bout de son nez.
Mon cœur bat à toute vitesse. Je ne sais pas quoi faire. J’avance doucement vers la sortie de ma chambre, mais j’ai trop mal. Je ne sais pas si je parviendrai à aller jusqu’à la chambre de mes parents toute seule. Je finis par crier. J’appelle ma mère au secours. Elle ne tarde pas à arriver en courant, avec mon père et comprend très vite qu’il faut m’emmener à l’hôpital.

Ma mère m’aide donc à m’habiller et me guide jusqu’à la voiture. Elle m’emmène toute suite à l’hôpital tandis que mon père reste à la maison pour préparer des affaires et la chambre de la crevette.
Ma mère me dit de respirer dans la voiture. Elle essaie de me rassurer tandis que je souffre sur le siège passager. Je me demande si c’est normal d’avoir aussi mal. Ma mère me dit que ça ira mieux avec la péridurale.
Nous finissons par arriver devant l’hôpital. Je commence à paniquer. J’ai peur de cet accouchement à venir. Un mauvais pressentiment m’assaille.
-Ne t’inquiète pas ma puce, tout va bien se passer. Des femmes accouchent tous les jours sans problème ! Me serre dans ses bras ma mère, pour essayer de me calmer.
-Tu restes avec moi ? Lui demandé-je, apeurée devant l’immense bâtiment. J’ai l’impression d’être une enfant qui a peur d’aller voir le médecin. Mais en cet instant, je m’en fiche. J’ai besoin de ma maman.
-Ne t’inquiète pas, je resterai avec toi jusqu’au bout.

Ma mère m’aide à entrer à l’intérieur de l’hôpital. En entrant, elle semble soulagée de voir une jeune femme à l’accueil. Elle me raconte alors que la personne qui était à ce poste lorsqu’elle-même a accouché était une incompétente qui passait plus de temps sur un magazine qu’à s’occuper des patients qui arrivaient.
Un peu stressée, je m’approche du bureau et la jeune femme me regarde avec le sourire.
-En quoi puis-je vos aider madame ?
-Je… Je vais accoucher… Balbutié-je timidement, en essayant de respirer régulièrement.
-J’appelle tout de suite un médecin !
-Voilà quelqu’un qui fait son travail ! En est ravie ma mère. Tu vois, c’est bon signe ça ! M’assure-t-elle ensuite en me souriant, espérant me rassurer de cette manière.

Nous sommes très vite accueillies par un médecin, qui prend le temps de m’ausculter à la maternité. Elle en conclue très rapidement que le travail a effectivement commencé et qu’il est même temps de passer en salle de travail. Elle me parle avec calme et bienveillance mais cela ne me rassure pas pour autant. Une infirmière m’aide à me déshabiller et à enfiler une blouse, pour ensuite m’emmener dans une nouvelle pièce, avec une grosse machine étrange et terrifiante.
Je m’installe dessus, pas franchement rassurée par cette machine de torture. Pourvu que l’accouchement soit rapide !

Ma mère entre rapidement dans la salle à son tour, bien décidée à ne pas me laisser seule une seconde. Elle reste près de moi, et fait tout pour me rassurer. Cela me rappelle quand j’étais petite et qu’elle essayait de me consoler après un cauchemar. Oh ma petite maman, qu’est-ce que je te fais subir encore ?
Je vois bien qu’elle est inquiète pour moi, même si elle fait tout pour ne rien montrer. Cela ne doit pas être évident pour elle de voir sa fille souffrir sans ne pouvoir rien faire. Mais elle continue à se montrer forte, pour ne pas me causer davantage de soucis.
J’ai vraiment une mère en or. Parviendrais-je à être à son niveau avec ma crevette ?

Le travail commence et le médecin m’encourage. Ma mère me tient la main, et fait tout m’aider à me détendre. Mais c’est dur, j’ai mal, je fatigue. J’en ai marre de cette situation. L’accouchement s’éternise et je n’en peux plus. Je me demande si tout est normal. Pourquoi cela dure si longtemps ? Et pourquoi le médecin fronce les sourcils de cette manière ? Qu’est-ce qui se passe ?
Je me sens mal, si mal… J’ai soudain l’impression d’être déconnectée de la réalité. Je repose ma tête et le plafond me parait flou. Je ferme les yeux pour respirer un grand coup… Et puis, c’est le trou noir…

-Madame Opaline, je vais vous demander de sortir. Ordonne brusquement le médecin, tandis qu’une infirmière va à la rencontre de Maetha pour la guider vers l’extérieur de la salle de travail. Maetha la repousse, terriblement inquiète pour sa fille qui vient tout juste de perdre connaissance devant ses yeux.
-Pas question ! Pas sans savoir ce qui arrive à ma fille !! Dites moi ce qui se passe !!
-Je ne sais pas Madame. Mais si vous voulez que je puisse m’occuper de votre fille, je vous prie de bien vouloir sortir immédiatement ! Reste ferme le médecin, dont le stress se percevait dans la voix.
Maetha finit par obtempérer. Elle se rend dans la salle d’attente mais elle est incapable de tenir en place. Elle appelle Nick pour le tenir au courant de la situation et il essaie de se dépêcher pour venir la rejoindre à l’hôpital. Elle tourne en rond dans la salle, donnant le tournis aux autres personnes qui attendent. Certains lui demandent de s’asseoir, mais elle les envoie paître. Comment pourrait-elle rester calme alors qu’elle ignore comment se porte sa fille ? Elle ne pourra pas trouver le repos tant qu’elle ne saura pas comment elle va !
Un médecin finit par venir la voir. Maetha ignore depuis combien elle attend. Elle n’a pas regardé l’heure et cela lui a paru terriblement long.
-Comment se porte ma fille ? Lui demande directement Maetha, inquiète.
-Madame Opaline, votre fille et son bébé se portent bien et tout ira bien, ne vous inquiétez pas. Cependant ….

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 5

Le temps file à toute vitesse. J’ai du mal à m’en rendre compte mais mon ventre qui s’arrondit de plus en plus est un rappel permanent que personne n’échappe au temps qui passe.
Un rappel de mon inconscience, aussi, mais cela, j’évite encore plus d’y penser.
Ma mère m’emmène à mes rendez-vous avec le médecin, qui suit ma grossesse. Je crois qu’elle est plus stressée que moi avant chaque rendez-vous. Le pauvre médecin doit nous redouter car ma mère est intenable. Il a beau répéter que tout va bien, que le bébé est en bonne santé et qu’il y en a bien qu’un seul dans mon ventre, il est bien obligé de répéter trois fois la même chose à chaque fois.
Elle exagère, mais elle trouve toujours le moyen de se justifier. Selon elle, entre elle qui a eu des jumeaux et mon frère qui a eu des triplés, il y a de quoi se méfier du contenu de mon utérus.
Elle essaie également de soudoyer le médecin pour savoir si le bébé est une fille ou un garçon, mais il est bien décidé à respecter ma décision de ne rien savoir. Elle boude un peu car elle ne sait pas comment décorer la future chambre du bébé. Je lui ai dis de tout peindre en jaune, comme ça, ça ira autant pour un garçon que une fille et elle arrêtera de se prendre la tête pour des détails. Je crois que l’idée lui a plu car depuis, elle ne m’en parle plus.
En sortant d’un rendez-vous avec le gynécologue, je laisse ma mère rentrer seule à Willow Creek et je rejoins Caroline à San Myshuno. Ma mère a essayé de me convaincre de m’accompagner, mais je lui ai rappelé que je suis enceinte, pas handicapée.

-Salut toi ! Dis donc, ça pousse bien là-dedans ! S’exclame ma meilleure amie en me voyant arrivée, tout en louchant sur mon ventre.
-Coucou ! M’en parle pas, j’en peux plus ! J’ai tout le temps mal au dos ! J’ai hâte que cette crevette sorte !
-Tu m’étonnes ! Aller on rentre à l’intérieur comme ça tu pourras t’asseoir !
-Super !

Je suis avec plaisir Caroline à l’intérieur du bar karaoké. Nous nous posons directement sur une table de libre et je soupire d’aise en m’asseyant sur ma chaise. Ce bébé pèse une tonne dans mon ventre et c’est un véritable plaisir de se poser un peu !
Un serveur vient nous voir pour prendre notre commande et repart aussi sec. Je me surprends à envier Caroline qui veut commander ce qu’elle veut alors que je suis obligée de faire attention.

-Il te reste combien de temps avant la délivrance ? Me demande-t-elle avec le sourire.
-Deux mois, normalement. Deux longs mois … Soupiré-je. J’étais bien dans le déni finalement…
-Ne t’en fais pas, ça va arriver vite ! Ne peut s’empêcher de rire Caroline. Tu n’es toujours pas décidée à en parler à Sven ? Semble-t-elle s’inquiéter ensuite.
-Non, toujours pas. Me renfrogné-je aussitôt. Je sais qu’il a le droit de savoir, que la crevette va me poser des questions plus tard, mais j’assumerai en temps voulu. Il est en Suède maintenant, lui annoncer la nouvelle fera plus de mal que de bien. C’est mieux pour tout le monde. On peut parler d’autres choses ? J’ai déjà mes parents à la maison qui essaie de me convaincre de le contacter. Soupiré-je, lassée par toute discussion sur ma décision par rapport à Sven. Tu as des nouvelles de Paul ? Cela fait un baille que je n’ai plus de nouvelle. Depuis qu’il est parti en fait…

-Il est sans doute trop occupé à roucouler si tu veux mon avis. En plaisante alors Caroline avec lueur taquine dans le regard.
-Tu penses qu’il a une copine ? M’étonné-je alors. Paul a toujours été un garçon réservé et je ne l’ai jamais vu draguer une fille. Alors, qu’il se trouve quelqu’un quelques mois après être parti d’ici me parait surprenant.
-Je ne pense pas, j’en suis sûre. Me sourit-elle, amusée. Il est tombé sous le charme d’une selvadoradienne. Il nous l’a dit, à Pierre et à moi, la dernière fois que nous l’avons eu sur Skype. Apparemment, c’est réciproque et ça a l’air de bien commencer. A mon avis, il va rester sur Selvadorada pendant un petit moment !
-Eh bien, c’est super pour lui ! Lui qui avait besoin de s’évader, il trouve même l’amour dans un pays exotique ! M’exclamé-je, ravie pour mon ami. J’ai tout de même un petit pincement au cœur, déçue qu’il ne me l’ait pas annoncé de lui-même. Peut-être qu’il finira par le faire, un jour, quand ce sera plus sérieux avec elle.
-J’espère quand même qu’il prendra la peine de nous la présenter un jour ! Même s’il ne porte pas Papa dans son cœur !
-Tout va bien pour toi d’ailleurs ? Tu vis toujours chez tes parents ?

-Ca peut aller… J’aimerais partir car l’ambiance est affreuse à la maison. Maman et Papa ne se parle plus et quand Papa l’ouvre, c’est juste pour dire des reproches. Plus il vieillit, plus il a un caractère de cochon… Soupire-t-elle alors que mon cœur se serre pour elle. Décidément, ses parents auront passé leur temps à se déchirer depuis qu’ils sont nés.
-Qu’est-ce qui t’empêche de partir dans ce cas ?
-J’ai pas trouvé de boulot encore. Et je t’avoue que je ne sais pas trop quoi faire. Je sais que ma mère pourrait m’aider à m’installer, le temps que je trouve quelque chose, mais je n’ai pas envie de dépendre de mes parents… Je veux pouvoir me débrouiller toute seule, tu vois ?
-Je vois oui… Lui confirmé-je, en commençant à réfléchir. Tu sais, j’ai entendu dire que la branche écologique et celle des droits LGBT cherchaient quelqu’un, dans mon association. Si ça t’intéresse, je peux parler de toi.
-Tu ferais ça ? S’étonne-t-elle, surprise par ma proposition, les yeux brillant d’espoir.
-Bien sûr, tu es ma meilleure amie. Et l’ambiance est sympa au boulot donc, si tu es motivée, tu as toutes tes chances.
-Motivée ? Je le suis ! Ca serait cool si tu peux m’obtenir un poste !
-J’irai les voir lundi alors. Lui promis-je en lui souriant. Je viens de lui redonner le sourire et de l’espoir pour l’avenir et pour moi, cela n’a pas de prix.

Nous discutons un moment à notre table, en sirotant nos boissons. Nous rions aussi des personnes qui osent affronter le regard des autres en allant chanter au karaoké. La plupart chantent comme des casseroles rouillées mais ils semblent à l’aise sur la scène, ignorant peut-être leur absence de talent ou n’en ayant que faire.
Je vois le regard plein de malice de Caroline se poser sur moi. Je suis intriguée, me demandant bien ce qui se passe dans sa petite tête blonde.
-On y va ?
-Pardon ?
-On va chanter ? Toutes les deux ?
-Mais ! Je ne sais pas chanter!
-On s’en fiche ! Rit-elle en réponse, avant de se lever. Elle me prend la main pour me forcer à me lever et nous nous dirigeons directement sur la scène.
Je prends un des micro et je la regarde avec un air interrogateur. Maintenant que nous sommes là, qu’est-ce que l’on fait ? Caroline me sourit et fait défiler les propositions de chanson sur l’écran, avant d’en choisir une.
Il parait que le ridicule ne tue pas. C’est maintenant que je vais vérifier cette théorie.

La musique commence à retentir et c’est moi qui doit commencer à chanter. Je chantonne timidement au début, n’osant pas me lâcher. Je me sens ridicule et je chante faux. Je plains les oreilles des clients du bar.
Cependant, malgré mon manque évident de talent inné, Caroline m’encourage du regard. Lorsqu’elle chante à son tour, elle y met davantage d’entrain. Elle chante tout aussi faux que moi, mais elle se laisse aller et se lâche. J’essaie de suivre son exemple, mais je mets plus de temps à ignorer le regard des autres.

Petit à petit, je me sens de plus en plus à l’aise sur la scène. Je commence à me prendre au jeu, et je lance même une nouvelle chanson. Caroline rit de plus belle et nous nous continuons de chanter. Cette fois-ci, je suis à fond et je m’amuse comme une folle.
Nous monopolisons la scène avec Caroline. Nous ne voyons pas le temps passer. Pendant un instant, je suis juste une jeune femme qui passe une après-midi entre filles avec sa meilleure amie. Je ne suis plus une future maman et cela me fait un bien fou. Je n’aurais plus de voix à la fin de la journée mais cela n’a que peu d’importance.
Alors que je m’éclate sur scène, j’oublie absolument tout. J’oublie ma vie qui part en vrille, j’oublie mes responsabilités à venir.
Et cela me fait un bien fou.

Puis, la réalité est revenue. Après cette sortie bénéfique, je retrouve mon quotidien et je m’entraîne à m’exprimer. D’après mes collègues, il faut que je travaille mon éloquence et mon argumentation, afin de convaincre les gens d’adhérer à nos idées, voire à nous faire un don afin que nous puissions développer nos actions.
Alors, je reste dans ma chambre et je m’entraîner à parler devant mon miroir. J’ai l’impression d’être ridicule à parler toute seule mais personne ne me voit et mes parents sont sortis profiter du beau temps estival. Autant en profiter donc.

Au travail, j’ai réussi à convaincre mes collègues de faire passer Caroline en entretien. Elle a davantage convaincue mes collègues des droits des personnes LGBT et même si c’est un peu cliché étant donné son orientation sexuelle, elle a intégré leur rang. J’imagine que le fait qu’elle se sente concernée à du jouer lors de l’entretien et elle a du sembler davantage motivée, en plus d’être bien renseignée. Je la croise souvent au travail même si nous nous occupons pas des mêmes problématiques. Elle est ravie d’avoir cette opportunité et tout semble bien se passer. Je suis ravie pour elle !
Mes pensées divaguent tandis que je m’observe devant le miroir. Mon regard se pose sur mon ventre. Je me tourne pour m’observer de profil. Mon ventre me semble énorme. Je pose mes mains dessus tandis que je sens la crevette bouger à l’intérieur. J’ai du mal à réaliser que je vais devenir maman. J’ai beau observer mon ventre sous tous les angles, sentir la crevette bouger, l’information a du mal à s’imprimer dans mon cerveau. Je soupire de dépit. J’aimerai me réjouir, avoir hâte de faire la connaissance de ce petit bout, mais quelque chose me bloque. Je ne saurai pas dire quoi, mais je fais un blocage.
Et tout au fond de moi, j’espère que cela finira par se débloquer avant la naissance.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 4

-Bon, Rosae, ça suffit maintenant ! M’interpelle brusquement ma mère alors que je rentre à la maison. Je sursaute en entendant le son de sa voix, ne m’attendant absolument à me faire houspiller ainsi.
-Maman ? Qu’est-ce qui se passe ?
-Ce qui se passe ? C’est que je n’en peux plus de te voir ainsi, dans le déni !
-Dans le déni ? Hoqueté-je, ne comprenant pas ce qu’elle me dit. Quelle mouche l’a piqué aujourd’hui ?
-Tu t’es regardée dans un miroir récemment ? Tu as vu ton ventre ? Me demande-t-elle alors, en réponse, en me désignant mon ventre arrondi par l’overdose de samoussas et les ballonnements.

-Je ne comprends pas Maman… Tu me trouves trop grosse ? Je me suis peut-être trop réfugiée dans la nourriture dernièrement mais quand même, ce n’est pas une raison pour m’engueuler comme ça à peine rentrer à la maison…
Elle me regarde alors avec étonnement. Une surprise qui laisse ensuite place à un profond soupir. Elle secoue la tête de droite à gauche, comme si mon attitude la désespère. Je ne sais plus où me mettre. Je ne comprends rien à la situation.
-Tu trouves vraiment que ton ventre est celui d’une femme en surpoids ? Tente-t-elle quelque chose, me faisant froncer les sourcils. Où veut-elle en venir ?
-Bah … euh …
-Rosae, je vais être directe. Tu ne penses pas que tu pourrais être enceinte ? Me suggère-t-elle. Mon cœur rate un battement et je suis choquée par son hypothèse.
-Enceinte ? Mais ça va pas ! Tu en as de ces idées !

-Rosie, il serait peut-être temps d’ouvrir les yeux, non ? Cela fait un moment que j’ai des doutes et j’espérais que tu finisses par t’en rendre compte… Se radoucit ma mère, en employant un ton plus doux. Mais je vois bien que rien ne change et cela m’inquiète de te voir ainsi, dans le déni. Il faut que tu ouvres les yeux pour pouvoir te préparer à l’arrivé d’un bébé.
-Maman, c’est ridicule, je ne suis pas enceinte ! Je vais me mettre au sport si tu veux pour perdre mon ventre et tu verras que tu te fais des films. Persisté-je, trouvant l’idée complètement surréaliste. Moi ? Enceinte ? Je m’en serai rendue compte si c’était le cas. Surtout depuis le départ de Sven, quand même.
-Je t’ai acheté un test de grossesse. Vu tu en es, il n’y a pas le moindre doute mais je pense que cela te permettra d’ouvrir les yeux.
-Maman…
-Fais-le. S’il est négatif, promis, je ne t’embêterai plus. Insiste-t-elle en me mettant la boite dans la main. Son regard est sévère et ne laisse aucune possibilité de négocier. Je soupire, et je me rends l’étage.

Résignée et sachant que ma mère ne me lâchera pas tant que je n’aurais pas faire pipi sur ce bout de plastique, je m’exécute. Cela ne me coûte rien après tout et c’est sans doute le seul moyen de lui prouver qu’elle a tort.
Assise sur la cuvette des toilettes, j’attends patiemment le résultat, prête à ne voir qu’une seule barre apparaître. En quelques secondes, la barre de test apparaît, aussitôt suivi d’une deuxième barre.
Mes yeux s’arrondissent de stupeur. Deux barres. J’attends plusieurs minutes, espérant que l’une d’elle disparaisse. Mais il n’en est rien. Au bout de 5 minutes, le résultat est sans appel.
C’est positif. Je suis enceinte.
Je jette le test de grossesse à la poubelle. Sonnée, je me lave les mains. Je n’arrive pas à y croire, tandis que je me répète les mêmes mots dans mon esprit.
C’est… positif. Je suis… enceinte.

J’ai du mal à réaliser. Comment est-ce possible ? Je ne peux pas être enceinte, c’est pas possible… Cela fait si longtemps que Sven est parti et il n’y a eu personne d’autre depuis… Mon regard se pose sur mon ventre arrondi. Je prenais mon ventre pour du gras, et maintenant, je réalise qu’il s’agit d’un bébé qui grandit à l’intérieur. Au creux de mes entrailles, se développe un petit être qui n’était pas prévu au programme. Pas du tout.
Un bébé de Sven. Sven, qui est reparti en Suède. Un bébé dont le père est à l’autre bout du monde.
J’ai envie de vomir. Le sort s’acharne sur moi. Comme si le ciel cherchait à me punir pour mes choix.

Le ciel me tombe sur la tête. Tel un robot en état de choc, je m’avance vers ma chambre et je me laisse tomber sur mon lit. Je crois que je vais rester là pour toujours, espérant que la vie m’oublie un peu. Je commence à en avoir ma claque de tout ça. J’ai une sœur qui ne m’aime pas, un frère qui m’a tournée le dos, je suis tombée amoureuse d’un garçon qui a fini par retourner vivre chez lui en Suède et maintenant, je suis enceinte de lui. Ca fait trop pour une seule personne, je crois.
Je ne sais pas même si j’ai envie de devenir mère en plus. Mais vu l’état de mon ventre, il n’est plus possible de revenir en arrière.
La grosse blague.
Et pendant que je déprime, j’entends la porte de ma chambre s’ouvrir. Je devine qu’il s’agit de ma mère, qui vient vérifier un résultat qu’elle connaissait déjà. Je déteste quand elle a raison.
-Je devine que le test était positif, donc… Me dit-elle calmement. En toute réponse, je grogne un truc incompréhensible. Ne t’inquiète pas ma puce, tout va bien se passer…

-Tout va bien se passer ? M’écrié-je aussitôt en me levant d’un bond. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase de mes émotions. Mais rien ne se passe bien Maman ! Comment ça pourrait bien se passer ? J’ai 18 ans, je commence à peine à bosser et je suis déjà enceinte ! Le père est en Suède et ne reviendra jamais ! Je me retrouve toute seule, avec un mioche que je ne voulais pas sur les bras ! Super ma vie ! J’ai un bel avenir devant moi dis donc !
Je lance un regard noir à ma mère, les nerfs en pelote. Mais elle ne dit rien, et continue de me regarder avec bienveillance. Sans doute met-elle ma colère sur le dos des hormones de grossesse. Elle attend que l’orage passe, tranquillement, patiemment.

-Tout va bien se passer. Confirme-t-elle une fois que j’ai cessé de crier, après un lourd silence. Car tu ne seras pas toute seule, ma puce. Nous sommes là, avec ton père, pour t’aider et t’épauler. Il ne reste pas beaucoup de temps avant la naissance, certes, mais nous n’allons pas te laisser tomber et tout faire pour accueillir cet enfant du mieux possible. Tu es notre fille, Rosie, et nous ferions n’importe quoi pour toi, ne l’oublie jamais. Ajoute-t-elle en m’offrant un sourire qui se veut rassurant.
Elle s’approche ensuite de moi pour me serrer fort dans ses bras. Ma colère s’envole et je laisse mes émotions m’envahir. Les larmes coulent toute seule et j’explose en sanglots, complètement désespérée.

-Que vais-je devenir, Maman ?
-Une femme extraordinaire. Parce que tu as ça dans le sang ! Me rassure-t-elle, avec une pointe de fierté dans la voix. Et là, je me rappelle que ma mère a bien eu des jumeaux, toute seule… Aider par mon père, certes. Comme moi, j’aurais mes deux parents, à mes côtés.

Les semaines continuent de se poursuivre. J’ai du mal à réaliser que je vais devenir mère. Je commence à ressentir les effets de la grossesse, ce qui n’était pas le cas avant avec le déni. Je ne sais pas si cela est une bonne chose ou non…
Je me suis longtemps demandée si je devais prévenir Sven ou non. Puis, je me suis dit : à quoi bon ? Que pourrait-il faire, à l’autre bout de la planète? Je ne lui créerai que des soucis et de la culpabilité en lui annonçant ma grossesse. Et je n’ai pas envie qu’il revienne juste pour assumer ses responsabilités, par obligation.
Non. Autant le préserver et le laisser dans l’ignorance. Je porterai ma croix seule.
En attendant, mes parents ont décidé de me changer de chambre. Etant donné que je vais rester à la maison plus longtemps que prévu, ils jugent qu’il est temps que j’ai une chambre plus adulte. Ma chambre n’étant pas adapté pour recevoir un lit double, ils ont redécoré l’ancienne chambre des jumeaux. Ma chambre deviendra celle de mon bébé.

Cela me fait tout drôle de dormir dans la chambre des jumeaux. J’ai eu peur de la réaction de Roxane mais je ne connaîtrais jamais la réponse. J’ignore si nos parents l’ont tenu au courant des derniers événements. Je n’ai plus de contact avec elle depuis longtemps et je n’ai que des bribes d’informations lorsque mes parents parlent d’elle. Mais cela me va et petit à petit, cela ne me fait plus rien de dormir dans cette chambre.
Et j’avoue que j’apprécie de dormir dans un grand lit, et non plus dans mon lit de petite fille.
Puis, chaque nuit, mes songes sont apaisés par la rose que Sven m’a offert, traitée pour durer éternellement dans le temps. Pour jamais devoir m’en séparer.

Maintenant que j’ai réalisé ma grossesse, mon corps se réveille. Par moment, c’est fascinant comme lorsque je sens le bébé bouger. C’est dingue de me dire qu’un bébé grandit, en ce moment même, dans mon ventre. J’ai du mal à réaliser et ces mouvements m’aident à comprendre que oui, je vais avoir un bébé et que ce n’est pas le fruit de mon imagination.
Malheureusement, il y a aussi le revers de la médaille. Je suis souvent victime de nausée, en particulier le matin. Je n’ai quasiment plus besoin de réveil, mes nausées se chargeant de cette lourde tâche.
Je n’en peux déjà plus.

Je suis dépitée face à la situation. Je commence à avoir mal au dos et mes nausées me fatiguent. Mon ventre m’encombre et je sens bien qu’au boulot, mes collègues essaient de me ménager. Mais je veux m’activer et non rester derrière un bureau !
Cela me désespère. Pourquoi a-t-il fallu que je tombe enceinte, au juste ?
-Maman, tu avais eu des nausées, toi ? Lui demandé-je en ayant du mal à avaler mon assiette pour le petit déjeuner. Comme souvent, je demande conseil à ma mère. Après tout, elle a vécu deux grossesses.
-Oh oui ! Surtout pour les jumeaux ! Mais ne t’inquiète pas, cela va finir par passer. Tente-t-elle de me rassurer, alors que mes yeux s’arrondissent comme des soucoupes.
-Tu crois que c’est des jumeaux que j’attends ? M’inquiété-je aussitôt. Déjà que je ne voulais pas d’un enfant, alors deux…
-C’est possible mais cela reste exceptionnel ma puce. J’espère pour toi qu’effectivement, il n’y en ait qu’un. Mais mon ventre était plus gros que le tien quand j’attendais les jumeaux, si cela peut te rassurer.
-Super. Bougonné-je en toute réponse, priant le ciel que je n’ai pas une mauvaise surprise.