Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 32

Le lendemain, et après avoir passé mon temps à m’étaler de la Biafine pour apaiser mes coups de soleil, je rejoins Paul dans un restaurant pour déjeuner avec lui. Il m’a avoué avoir plus de temps à m’accorder, mais seulement le temps d’un déjeuner. Il m’a promis de tout m’expliquer mais je dois avouer être assez intriguée par cette situation. Ce n’est pas le genre de Paul de faire tant de mystère, surtout après une aussi longue absence dans nos vies.
C’est donc nerveuse que je me rends à notre point de rendez-vous. Je ne sais pas tellement à quoi m’attendre et j’avoue être un peu inquiète pour mon ami. J’espère qu’il n’a rien de grave à m’annoncer. Lorsque j’arrive à destination, Paul est déjà là. Rapidement, il m’aperçois et un fin sourire moqueur apparaît sur ses lèvres.
-Je savais que le rouge est ta couleur préférée, mais à ce point-là ? Ne tarde-t-il pas à me taquiner.
-Ahahah, très drôle ! Je me suis simplement endormie sur ma chaise longue !
-Quelle idée d’attraper des coups de soleil en automne !
-Il faut croire que le soleil se croit encore en été. Répliqué-je sur un ton amusé, pour ensuite l’inviter à aller s’installer à table. Je me sens soulagée, tout d’un coup. Apparemment, Paul a l’air d’aller bien.

Paul accepte en hochant la tête et nous décidons de nous installer en terrasse. Malgré l’arrivé de l’automne, le soleil est toujours au rendez-vous et les températures sont encore agréables. Alors, autant en profiter, d’autant plus que la terrasse est déserte. Nous sommes donc tranquille pour discuter calmement tous les deux.
Le serveur ne tarde pas à venir à notre rencontre pour prendre notre commande et repart aussi rapidement qu’il est venu. Nous avons donc quelques minutes devant nous avant d’être de nouveau interrompu.
-Alors Paul, parle-moi un peu de toi. Ne tardé-je pas à lui demander, trop curieuse de savoir ce qu’il est devenu. Je suis d’autant plus intriguée que je n’ai pas encore vu Sylvia dans les parages.
-Toujours aussi direct. Me répond-t-il avec un rire nerveux.
-Il faut bien l’être, surtout dans mon travail. Admis-je avec le sourire. Je ne peux pas me permettre de tourner autour du pot là-bas, sinon je risque de perdre en crédibilité. Soupiré-je.
-Oui, Caroline m’a dit que tu es la responsable de ta branche. Peut-être bientôt la directrice de l’association !
-Oh, on n’y est pas encore ! Rectifié-je en riant. Il est vrai que j’ai beaucoup évolué dans mon travail, mais je ne suis pas encore prête à admettre la possibilité d’être en haut de l’échelle. Mais tu n’as pas répondu à ma question, Paul. Je ne sais même pas si tu es de retour provisoirement ou définitivement.
-Je suis revenu vivre ici, oui. Je n’ai pas l’intention de repartir. Je t’avoue avoir envie de connaître mes neveux et nièces, surtout avec Caroline qui est de nouveau enceinte.

-C’est super ça ! M’enthousiasmé-je en hochant la tête. Tu nous as manqué ici, tu sais.
-Vous m’avez manqué aussi. M’assure-t-il à son tour, les yeux brillants. La beauté de Selvadorada ne remplace pas tout.
-Et Sylvia ? Elle ne regrette pas d’avoir quitté son pays ? J’aurais l’occasion de la rencontre enfin alors !
-Hum, à vrai dire, Sylvia est restée là-bas… M’avoue alors Paul, la mine sombre. Je me sens mal à l’aise, ayant l’impression d’avoir pointé le sujet qui fâche sans m’en rendre compte. Pour être tout à fait honnête, nous sommes en instance de divorce. C’est pour ça que je suis pas mal occupé en ce moment, même si ce sera bientôt derrière moi.
-Oh je suis désolée Paul, je ne savais pas…
-Je sais, j’ai prévenu Pierre et Caroline que je voulais t’en parler moi-même. Soupire-t-il, le regard perdu dans le vide. J’ai l’impression que son masque jovial est tombé. Devant moi, j’ai maintenant un Paul abattu par la situation.
-Que… Que s’est-il passé ? Lui demandé-je alors, doucement.
-Oh… Ca faisait longtemps que ça n’allait plus, elle et moi. Me dit-il dans un haussement d’épaules. On a été fous amoureux, on s’est marié, on menait la belle vie, je t’avoue… Tout allait bien, jusqu’à ce qu’on décide d’avoir des enfants. On a essayé, longtemps, pendant des mois, un an, puis deux … Sans succès. A force, on a fini par aller faire des examens à l’hôpital. Les résultats ont été sans appel, j’ai appris que je suis stérile. M’avoue-t-il finalement avant de respirer un grand coup. Mon cœur se serre en le voyant ainsi, devinant sans peine la douleur qu’il doit ressentir. Je m’empresse de tendre la main pour saisir la sienne, lui montrant mon soutien.

-Cela n’a pas du être facile d’apprendre une telle nouvelle. Lui soufflé-je avec compassion, alors que le serveur nous dépose nos plats.
-Evidemment, c’était tous nos projets qui tombaient à l’eau. Mais après, je sais bien que ce n’est à toi que je vais expliquer ça… Me dit-il avec compréhension. Je comprends sans peine qu’il fait référence à mon hystérectomie suite à la naissance de Joy.
-Certes, mais je n’ai pas la prétention de comparer ma situation avec la tienne. J’ai eu la chance d’avoir Joy avant de devenir stérile… Lui réponds-je alors qu’il hoche la tête, presque par automatisme.
-Bref, ça a été très dur. Sylvia a eu du mal à accepter la situation. Le médecin a essayé de proposer des solutions, comme l’adoption ou une FIV avec un donneur mais elle ne voulait rien entendre. Elle voulait porter l’enfant, et elle ne voulait pas que le père soit un parfait inconnu. C’était sans issu, mais son désir d’être mère était plus fort que tout… Au fil du temps, cette situation a fini par nous éloigner et j’ai fini par comprendre qu’elle me le reprochait sans vouloir l’admettre.
-Mais tu n’y es pour rien !
-Je le sais bien… Et au fond d’elle-même, elle le savait aussi mais c’était plus fort qu’elle. Et au final, elle a fini par déraper. Je n’ai rien vu venir, au début. Soupire-t-il alors que l’horreur s’empare de moi. Jusqu’à ce que je tombe sur un test de grossesse positif en sortant les poubelles. Elle n’a même pas essayé d’être discrète… Je l’ai mis devant le fait accompli et elle a fini par m’avouer qu’elle voyait quelqu’un d’autre depuis des mois… On a donc pris la décision de nous séparer. Je ne peux plus lui faire confiance et elle m’a fait comprendre que je ne pouvais pas lui offrir ce qu’elle voulait le plus. Elle est donc partie avec son amant, et moi, j’ai pris la décision de revenir ici. Et voilà où j’en suis, maintenant. Stérile, bientôt divorcé, et squattant la maison de son frère.

Je suis abasourdie par ce que je viens d’apprendre. Moi qui imaginais Paul vivre une vie de rêve à Selvadorada, auprès de son épouse, aujourd’hui j’apprends une réalité bien différente. Je bouillonne à l’intérieur de moi, de savoir ce que Sylvia lui a fait. Paul est un homme merveilleux, et il ne mérite pas d’être traité de la sorte. Elle a bien de la chance d’être à l’autre bout du monde, cette…
-J’ai l’impression d’avoir perdu mon temps. M’avoue-t-il brusquement, me sortant de mes pensées. Par moment, je me dis que j’ai fait la plus grosse connerie de ma vie en partant d’ici. Si j’étais resté… Tout ceci ne serait jamais arrivé.
-Avec des si, on mettrait Paris en bouteille, Paul. Secoué-je la tête. Tu n’as pas de regret à avoir. Tu avais besoin de partir à l’époque, c’était un réel besoin de changer d’air. Et puis, ce sont nos choix qui font ce que nous sommes aujourd’hui. Il m’est déjà arrivé de penser que je n’aurais jamais du m’embarquer dans une histoire avec Sven, que j’aurais eu une meilleure vie si j’avais été raisonnable… Mais si ça avait été le cas, je n’aurais pas eu ma fille et je ne ferai pas un travail qui me passionne. Ce que t’a fait Sylvia est ignoble, mais tu es fort Paul, tu surmonteras cette épreuve. Nous sommes là pour y veiller.
-Merci Rosie. Me souffle-t-il avec reconnaissance. Mais je dois t’avouer un truc. Si je suis parti, à l’époque, c’est en partie parce que je ne voulais plus voir mon père. Avec Pierre et Caroline, on venait d’avoir la confirmation qu’il a été infidèle… Et qu’il a eu d’autres enfants qu’il n’a jamais assumé.

Je me fige aussitôt en l’entendant prononcer cette phrase. Que veut-il dire par là ? Serait-il au courant pour Ryan et Roxane ? Mais comment est-ce possible ?
Je suis abasourdie, mais ma surprise a le mérite de redonner le sourire à Paul. Je n’ose pas imaginer la tête que je dois avoir pour réussir ce miracle.
-Tu ne croyais quand même pas qu’un tel secret n’allait pas ressortir un jour ? Et oui, je te confirme que nous savons que Ryan et Roxane ont le même père que nous.
-Mais… Comment ?
-Mon père l’a avoué à Pierre, un soir, alors qu’il avait abusé du jus de fruit. Soupire-t-il. Je n’ai jamais vu mon frère aussi remonté. Il avait honte de notre père. Il nous l’a dit, à Caroline et moi, mais nous avons préféré ne pas mettre notre mère au courant, ni personne. Nous ne voulions pas lui faire de mal… Et puis, dans ton cas, nous ne savions pas si tu étais au courant. Nous n’avions pas voulu prendre le risque de te perdre.
-C’est ridicule. Vous n’êtes pas responsable des erreurs de votre père. Secoué-je la tête. Mais je comprends mieux pourquoi Pierre s’est autant investi dans la grossesse accidentelle de Lucia.
-Il ne veut pas être comme lui. Confirme-t-il. En tout cas, apprendre une telle nouvelle a tout remis en question chez moi. Je pensais que nous étions que trois, alors qu’en réalité nous avions un grand frère et une grande sœur, dans une autre famille…. Tout mon monde s’est écroulé d’un coup, alors…
-Tu as eu envie de te créer un nouveau monde, bien à toi. Complété-je alors, remettant les différents morceaux de l’histoire en place.
-Exactement. Et si je pouvais m’éloigner de mon père en plus, c’était encore mieux… Même si je regrette de ne pas avoir pu être là… Pour toi notamment. Si j’avais su que tu étais enceinte à ce moment-là, je ne serai jamais parti.
-Tu n’as pas de regret à avoir Paul, et puis, ça n’aurait rien changé au final. Ca a été un épisode très compliqué dans ma vie, mais j’ai fini par m’en remettre. Aujourd’hui, je suis fière de ce que je suis devenue et ça n’aurait pas été possible si les choses avaient été différente.
Paul hoche la tête, comme pour confirmer mes propos. La discussion dérive sur des sujets plus légers, comme pour laisser derrière nous les plus graves. Néanmoins, je vois Paul sous un œil nouveau. Même s’il sourit et à l’air d’aller bien, je vois bien qu’il ne s’agit que d’une façade. Dans son regard, je devine que j’ai un homme meurtri, en face de moi. Je le remarque sans peine : j’avais le même regard, il y a quelques années.
Et aujourd’hui, je me promets une chose : être là pour lui, comme mes amis ont été présents pour moi durant toutes mes années de dérive.

Après le déjeuner, Paul est parti en centre-ville. Il a rendez-vous avec son avocat pour finaliser son divorce. Je lui ai proposé de l’accompagner, mais il a refusé. C’est quelque chose qu’il veut affronter seul. Il est plus fort qu’il peut bien penser, mais je n’ai pas pu m’empêcher d’avoir le cœur serré en le voyant partir.
Puis, j’ai eu une idée. Je n’ai pas attendu plus longtemps avant d’envoyer un message à Caroline et Pierre. Leur réponse est vite arrivée : ils sont tous les deux emballés, mais il faudra attendre quelques semaines pour mettre mon plan en application. Caroline préfère attendre d’avoir accouché et je ne peux que la comprendre.
C’est fière de mon idée que je rentre enfin à la maison. Joy est déjà là, et je l’entends bricoler dans les toilettes. Je m’empresse de la rejoindre et je souris en la voyant faire. Je n’ai pas la moindre idée de ce qu’elle fabrique, mais je ne suis pas inquiète. Pendant un instant, je me demande ce qu’aurait été ma vie si je n’étais pas tombée enceinte.
Mais, j’ai beau réfléchir, je dois avouer que je n’en ai pas la moindre idée.
-Regarde Maman ! J’ai installé un système autonettoyant ! C’est trop cool, hein ? S’exclame-t-elle joyeusement, me faisant sortir de mes pensées.
-Oh, oui, c’est super.
-A quoi tu penses ? M’interroge-t-elle avec suspicion, voyant bien que j’ai la tête ailleurs.
-Oh, je me demandais ce qu’aurait été ma vie si tu n’avais pas été là. Lui avoué-je avec honnêteté, alors qu’elle hausse un sourcil, sceptique. Et je me suis rendue compte que je n’échangerais ma vie avec toi pour rien au monde.