Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 25

La nouvelle maison est agréable à vivre. J’ai préféré opter pour une décoration simple et épurée, dans un style maison de place. Après tout, la plage et la mer sont justes à côté et le décor se prête bien.
La pièce à vivre est grande, et laisse place à la cuisine ouverte, une table de salle à manger, un coin salon et un espace bureau. J’ai même pensé à prendre un échiquier pour Joy. J’ai accroché des photos un peu partout, ayant besoin de continuer d’afficher les gens que j’aime un peu partout.
J’ai essentiellement gardé les meubles pour les meubles, pour que l’on puisse se sentir plus facilement chez nous ici. Et je ne voulais pas perturbé Joy en lui changeant les meubles de sa chambre… Même si je l’ai autorisé à apporter sa touche personnelle et évidemment, elle a accroché des posters de fusées et une affiche étrange, faisant apparemment référence à une série sur les aliens. Si ça lui fait plaisir …

J’ai l’impression de respirer dans cette maison. Je suis ravie de mon achat et je suis certaine que nous serons bien ici, avec Joy.
Mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Je n’ai pas été à la hauteur par le pensée avec ma fille et j’ai toujours peur de faire une bavure avec elle. Maintenant que son grand-père n’est plus parmi nous, j’ai encore plus envie de la rendre heureuse.
-Tu te plais ici, dans notre nouvelle maison ? Demandé-je à ma fille un matin, lors du petit-déjeuner.
-Bah oui pourquoi ? Me répond-t-elle alors, surprise par ma question.
-Je… Je veux juste être sûre que tu te sentes bien.
-Mais on l’a visité ensemble cette maison ! Me fait-elle remarquer, ce qui me fait sourire. Avec son innocence enfantine, elle me rappelle que je m’inquiète sans doute trop.

Petit à petit, au quotidien, j’apprends aussi à gérer une maison. Auparavant, j’étais simplement un soutien où j’aidais mes parents dans les tâches quotidiennes pour ne pas être un poids pour eux à la maison.
Mais aujourd’hui, je suis seule pour m’occuper de tout. C’est tout un apprentissage et une nouvelle organisation. Je fais mon possible de ne pas me laisser déborder et ne pas avoir la tête sous l’eau trop rapidement. J’essaie de rester optimiste, en dépit des circonstances. Même si je suis une mère célibataire et que je ne bénéficie plus de l’aide de mon père, j’ai la chance d’avoir une fille facile à vivre pour le moment.

Maintenant que nous sommes bien installées avec Joy dans notre nouvelle maison, j’ai invité mes amis et la famille de Ryan pour la crémaillère. Au delà de fêter l’emménagement, c’est aussi l’occasion de célébrer une nouvelle vie qui commence. Une vie où je me sens pleinement adulte, pleinement responsable dans tous les nouveaux aspects de ma vie.
Et j’ai envie de montrer cette nouvelle facette de moi aux gens que j’aime. J’ai envie de montrer que je ne suis plus la petite Rosie complètement perdue face aux événements de la vie.

Après avoir fini de tout préparer pour ce soir, je profite du temps libre devant moi pour aller faire un footing et découvrir les environs. Bien que Ryan vive ici depuis des années, je n’ai jamais pris le temps de visiter Brindleton Bay et de profiter de ses côtes maritimes. Il faut dire que les circonstances ne m’ont pas permis de venir ici bien souvent et d’en apprécier la qualité de vie..
Maintenant que j’ai terminé de vider les cartons, je peux enfin en profiter. Courir ici, sur les bords de mer, est vraiment agréable. Les décors sont magnifiques et cela me change de Willow Creek. L’air marin est vivifiant et les chants des mouettes me donnent l’impression d’être en vacances.

Lorsque Joy rentre de l’école et après qu’elle ait terminé ses devoirs, nous passons un moment toutes les deux à jouer aux échecs. Papa n’étant plus là, c’est elle qui poursuit mon apprentissage. Je la vois lever les yeux au ciel par moment, mais elle essaie de faire preuve de patience avec moi.
Je me retiens de rire, mais je dois bien admettre que jouer aux échecs avec moi doit être moins passionnant pour elle que lorsqu’elle jouait avec son grand-père. Malheureusement pour elle, je suis la meilleure adversaire qu’elle a sous la main !

Très vite, notre partie d’échec du jour est vite interrompu par l’arrivée du premier invité qui ne tarde pas à s’amuser avec la sonnette de la porte d’entrée. Je ne peux m’empêcher de sourire, comprenant sans mal qui vient d’arriver.
Après tout, il n’y a qu’un idiot qui s’amuse à jouer les enfants.
C’est donc sans surprise que je découvre Pierre devant ma porte, avec un grand sourire innocent sur les lèvres.
-Ca va ? Tu t’amuses à user la pile de la sonnette ? Le taquiné-je pour le saluer, en l’invitant à entrer à l’intérieur.
-C’est le prix à payer pour me forcer à venir dans la cambrousse ! Réplique Pierre sans attendre, ne manquant pas de me faire rire. Salut la crevette ! Ajoute-t-il ensuite en apercevant ma fille.
-Salut Tonton ! Lui répond-t-elle ensuite en lui souriant.

Peu de temps après l’arrivée de Pierre, c’est au tour de Ryan et de toute sa tribu d’arriver. Je ne manque pas de le taquiner du fait qu’il a beau être mon voisin, il n’est pas le premier à être arrivé ce soir. Il lève les yeux au ciel mais cela ne le manque pas de l’amuser.
Le visage de Joy s’illumine lorsqu’elle voit son oncle et accourt pour aller le saluer.

-Hey beh, quel accueil ! S’exclame-t-il en enserrant sa nièce dans ses bras, touché par cette marque d’affection.
Je suis également émue. Je n’avais pas remarqué à quel point elle s’était rapprochée de son oncle ses derniers temps, laissant son côté réservé de côté, mais cela ne pouvait pas me faire plus plaisir.

Très rapidement, les dernières invitées arrivent. Caroline et Manon se joignent à la fête et ma meilleure amie ne tarde pas à venir me saluer. Je ne peux m’empêcher de jeter un œil à son ventre, qui s’est bien arrondi.
Il y a quelques mois, avant la mort de mon père, Caroline et Manon ont fait appel à un spécialiste pour tenter d’avoir un enfant naturellement. Manon a entendu parler d’une méthode, mis en place par une scientifique de renom, qui a révolutionné la technique du bébé-éprouvette. Grâce à ça, Caroline a pu tomber enceinte de Manon et elles attendent maintenant son arrivé avec impatience.
-Coucou Caro ! Dis donc, ça pousse dis donc !
-M’en parle pas ! Je ne vois plus mes pieds et j’ai hâte qu’il sorte !
-Ahah, je ne peux que compatir !

Durant cette soirée, je me rends également compte que les triplés ont bien grandi. Ce sont maintenant des adolescents et j’ai du mal à réaliser qu’ils sont déjà aussi grands. Mais il suffit que j’observe leur visage pour me rappeler que la vitesse du temps qui passe n’est pas qu’une illusion. Comme beaucoup d’adolescents, ils ne sont pas forcément ravis d’aller à une soirée avec leurs « vieux » comme ils disent. Si bien que cela se ressent sur leur humeur.
-Sarah, tu fais quoi sur l’ordinateur ? Demande Joy à sa cousine, tandis que cette dernière cherche à s’occuper sur internet.
-Occupe toi de tes affaires ! Lui rétorque-t-elle aussitôt.
-Sarah ! Sois gentille avec ta cousine ! La gronde aussitôt Juliette avec fermeté.

La soirée se déroule à merveilles et tout le monde semble heureux d’être présent ici. En veillant à ce que tous les invités passent une bonne soirée, je ne peux m’empêcher de remarquer les marques d’affection que se porte Ryan et Juliette, ainsi que Caroline et Manon, les deux couples de la soirée. Cela me touche et me réjouit de les voir s’aimer autant. Les voir heureux est un vrai bonheur pour moi… Bien que cela me rappelle que, contrairement à eux, je suis seule.
Parfois, je m’interroge. Trouverais-je l’amour un jour, moi aussi ? En ai-je seulement envie ?
Je ne saurai répondre à ces questions. A vrai dire, je pense que j’ai juste envie d’apprendre à aimer ma vie, telle qu’elle est aujourd’hui. J’ai passé tellement de temps à être persuadée d’aimer Sven toute ma vie que pour l’instant, je ne vois pas refaire ma vie avec un autre homme.
Pour le moment, je me contente de refaire ma vie avec moi-même, et avec ma fille. Et cela me va très bien comme cela.

-Tout va bien Rosie ? Me sort soudainement Ryan de mes pensées, tandis que je suis en train de manger sur le canapé. J’ai une jolie table où on peut manger à quatre, mais il n’y a pas suffisamment de place pour accueillir tout le monde autour. Il faudrait peut-être que j’investisse dans une table d’appoint et des chaises supplémentaires que je pourrai sortir lorsque je reçois du monde.
-Oui ça va, ne t’inquiète pas. Le rassuré-je alors, avec un sourire. Je réfléchissais à ce que je pourrai améliorer dans cette maison.
-Elle est très bien cette maison, tu n’as pas à t’en faire. Me répond-t-il alors. J’ai bien fait de te dire qu’elle était à vendre, elle est parfaite pour toi et Joy… Et je t’avoue que je suis plutôt content d’avoir ma petite sœur qui vit juste à côté de chez moi. Ca me rassure davantage par rapport au fait si tu vivais loin, toute seule.
-Je suis contente aussi ! Et puis, j’avais envie de me rapprocher de ma famille et c’est bien mieux pour Joy aussi !
-Rosie ? Tu peux venir s’il te plait ? M’interpelle subitement Manon.

Intriguée, je ne tarde pas à me lever pour rejoindre mon amie, qui est tranquillement assise à table avec Caroline et Joy. Cette dernière semble amusée par la situation et écoute attentivement alors qu’elle a terminé son assiette. Elle m’étonne, d’ailleurs. Normalement, elle en aurait profité pour prendre la poudre d’escampette.
-Rosie, nous avons besoin de toi avec Caroline pour nous départager. M’avoue Manon sur un ton sérieux, avec un calepin à la main. En jetant un regard à Caroline, je la vois lever les yeux au ciel avec un sourire amusée.
-Je t’écoute.
-Voilà, pour le bébé, on hésite pour le prénom. Si c’est un garçon, on hésite entre Thibault et Hugo et si c’est une fille, on hésite entre Pauline et Coralie. Tu en penses quoi toi ?
-Euh ? Pourquoi vous voulez mon avis, au juste ? Leur demandé-je, un peu mal à l’aise et n’ayant aucune envie de m’immiscer dans une discussion aussi intime que le choix du prénom. D’autant plus que je ne suis pas certaine d’être une référence en la matière : il m’a fallu des mois pour trouver ne serait-ce qu’un prénom à donner à mon enfant… Il vaudrait mieux demander à Pierre ou à Paul, étant donné que ce sont eux les oncles !
-Oui, mais toi, tu seras la marraine. Et tu as donné un chouette prénom à ta fille donc on a confiance en tes goûts. Réplique aussitôt Caroline avec un sourire taquin.
-Je vois mais… Attendez, quoi ? Vous voulez que je sois la marraine ?! M’exclamé-je, surprise. Jamais auparavant elle m’en avait parlé et je n’aurais jamais pensé qu’elles songeraient à me donner ce rôle. Devant mon étonnement, Joy ne peut plus se retenir de rire. Visiblement, elle était au courant et attendait avec impatience ma réaction. Quelle chipie !
-Bien sûr, c’est une évidence. Me confirme Caroline avec bienveillance et émotion. Tu es une amie en or, et tu es comme une sœur pour moi. Tu as été présente aux moments importants de ma vie, même quand ça n’allait pas fort pour toi et tu seras un excellent modèle pour notre bébé ! Alors, tu es d’accord ?
-Caro, tu me touches. Bien sûr que je suis d’accord ! Accepté-je sans hésiter avant de me lever pour prendre ma meilleure amie dans mes bras. Vu mes piètres qualités de mère, je n’aurais jamais pensé avoir un tel rôle un jour, mais elle n’aurait pas pu me faire plus plaisir.

-Raah mais quelle cruche ! Elle est aveugle ou quoi ? Eh ho, ton mec couche avec ta pote là ! Ouvre les yeux, débile ! Braille brusquement Sarah, nous faisant sursauter et interrompant le moment émotion.
-En même temps, elle peut pas être belle et intelligente à la fois, hein ! Rétorque Alexandre, assis sur l’autre canapé, tandis que Kylian est focalisé sur son téléphone.
Je ne peux m’empêcher de lever les yeux lorsque je remarque mes neveux et nièce scotchés devant une émission de télé réalité où des personnes lambda sont enfermées dans une maison pendant plusieurs semaines. Elle est belle, la jeunesse !

-T’es bête ! Tu dis ça juste parce qu’elle a des nichons siliconés ! Réplique alors Sarah en lançant un regard noir à son frère.
-C’est nul votre truc. Soupire Kylian en se levant du canapé. Tiens Alex prends ma place. J’ai pas envie de perdre des neurones avec votre émission stupide.
-Bon les enfants, vous savez qu’on est censé passer un moment en famille ? Les interpelé-je tandis qu’Alexandre prend effectivement la place de son frère à côté de sa sœur.

-Mais Tata, on s’ennuie avec vos discussions de vieux ! S’exclame Alexandre, faisant pouffer Sarah, alors que Joy vient également s’asseoir sur le canapé avec Pierre.
-Grave ! Parler bébé et bavoir, c’est pas notre truc ! Confirme sans attendre Sarah.
-Ah la la ! Quel bel exemple vous donner à votre cousine ! Intervient alors Pierre, pour ensuite s’adresser à Joy. Ma petite, ne grandit jamais. Tu risques de perdre des neurones à l’adolescence et devenir aussi bête que tes cousins ! Se moque-t-il ensuite, ne manquant pas de faire rire ma fille.
Je dois avouer que je ne manque pas de sourire non plus, avant de me mettre à déchanter aussitôt. La réflexion de Pierre me rappelle brusquement que bientôt, Joy fêtera son anniversaire. Elle aussi va pas tarder à devenir une adolescente. Mon anniversaire ne tardera pas à suivre non plus …
Cela me fait tout drôle, de penser à cela. Je suis si jeune, et pourtant, j’ai une fille qui sera bientôt une adolescente. A ce rythme, je serai grand-mère avant d’avoir des cheveux blancs. Mais je préfère ne pas y penser…
Le temps passe si vite…

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 24

Aujourd’hui est une journée morne et triste. La météo s’associe à notre chagrin, le temps étant à la pluie alors qu’a lieu les obsèques de mon père. Davantage de monde a pu se libérer : Pierre et Caroline, ainsi que Manon, sont venus pour nous soutenir, et Ryan est également présent avec sa femme. Cela me réchauffe le cœur qu’ils soient tous là, même si cela ne remplacera jamais la présence de mon père.
Au moins, je me sens moins seule, tandis que j’accompagne Papa dans sa dernière demeure.

Dans le caveau familial, j’attends un instant avec l’urne de Papa dans les bras, avant de la poser sur la table, juste à côté de celle de Maman. Je les regarde avec tristesse. Mes parents me manquent, tous les deux. Maman a beau être décédée depuis plusieurs années, son absence me pèse tout autant que celle de Papa. Les souvenirs affluent dans mon esprit, et mon cœur se serre dans ma poitrine.
Aujourd’hui, ils ne sont plus de deux urnes, reposant l’une à côté de l’autre, pour l’éternité. Je me mords la lèvre inférieure, pour m’empêcher de pleurer. J’essaie de me consoler, de me dire que Maman n’est plus seule désormais dans cet endroit lugubre, mais je ne peux oublier le fait que je viens tout juste de perdre mon père. Qu’il n’est plus avec nous, dorénavant.

Je sens une présence à côté de moi. Après un regard, je m’aperçois que Joy s’est éloignée de son oncle pour se rapprocher de moi, et des urnes.
J’ai autorisé Joy à venir aujourd’hui, et à manquer l’école. Elle est suffisamment grande pour gérer un tel événement, et je pense sincèrement qu’elle a besoin d’être là pour pouvoir dire au revoir à son grand-père. L’école a été compréhensive et n’a pas manifesté d’inconvénient. Comment être contre après tout, face à ce genre d’épreuve.
Et puis, je crois qu’elle m’en aurait voulu, si je l’avais forcé à aller à l’école pendant les obsèques de son grand-père.

Lorsque j’observe le visage de ma fille, mon cœur se serre une nouvelle fois. Elle n’a pas cessé de pleurer depuis que son grand-père est parti et, en cet instant, elle a les larmes aux yeux. Elle regarde un bref moment les urnes de ses grands-parents, avant de détourner le regard. Comme si cette vision est trop difficile pour elle.
J’ai un mal fou à essayer de lui changer les idées et elle est même incapable de tenir une conversation avec son père. Sven a été désolé lorsque je lui ai annoncé que mon père est décédé. Je savais qu’il n’avait pas spécialement envie de me parler, mais je me devais de l’informer, pour qu’il puisse être présent pour sa fille. Il l’a appelé tous les jours depuis, mais j’ignore si ses appels présentent un quelconque réconfort pour Joy.

La gorge nouée, incapable de parler, je me contente de prendre la main de Joy pour lui montrer que je suis là, que nous sommes deux dans cette épreuve. Je ne dis rien de plus, et mon regard se fixe une nouvelle fois sur les urnes de mes parents. C’est tellement dur de se dire qu’ils sont là, après les avoir toujours connu bien vivants. D’avoir leur visage en tête, leur regard, leur sourire, leur voix, leur rire en tête. J’ai une multitude de souvenirs qui me viennent à l’esprit, rendant cette vision contradictoire encore plus insupportable.
-Rosie ? M’interpelle doucement Caroline.
-Mh ?
-Tout le monde est sorti du caveau. Tu veux que je vous laisse un instant, juste toutes les deux ? Me demande-t-elle, inquiète, alors que je remarque que mes amis, ainsi que Ryan et Juliette, sont effectivement sortis pour nous laisser un instant d’intimité et de recueillement.
-Ca.. Ca va aller. Merci. Lui soufflé-je d’une voix à peine audible, tandis qu’elle sort à son tour.

Maintenant que nous sommes seules, j’entends Joy renifler. Je baisse le regard vers elle et constate qu’elle ne retient plus ses larmes. Je me sens si mal lorsque je la vois ainsi. J’aimerai tellement pouvoir effacer son chagrin, lui épargner cette épreuve.
Malheureusement, je n’ai pas de super pouvoirs et je ne peux pas faire de miracle.

-C’est pas juste. Soupire-t-elle entre deux sanglots. Pourquoi Papy devait-il mourir ? Pourquoi doit-on mourir ?

-Ma puce, je… Malheureusement je n’ai pas vraiment de réponse à tes questions. Lui réponds-je, mal à l’aise. Comment répondre à ses questions existentielles sans pour autant la déprimer à vie ? Comment lui dire que la vie en elle-même est totalement absurde, sans pour autant ruiner tous ses rêves d’enfant ? La mort fait partie de la vie. Cela fait partie de l’ordre des choses : quand des personnes meurent, d’autres naissent. C’est ainsi que cela fonctionne.
-Ca sert à quoi de vivre si c’est pour mourir au final ? Si c’est pour être triste dès que quelqu’un meurt ? Bougonne-t-elle, sans comprendre.
-C’est une très grande question philosophique Joy, et il n’existe pas encore de réponse universelle. Chacun répond à sa manière à cette question. On vit pour réaliser ses rêves, pour aimer, pour essayer d’améliorer les choses qui ne vont pas, pour offrir un monde meilleur aux générations futures. Tu comprends ?
-Je crois… mais… Papy me manque… Soupire-t-elle en recommençant à pleurer.

-A moi aussi il me manque. Lui avoué-je en la prenant dans mes bras pour la réconforter. Mais j’essaie de me dire qu’il est heureux là où il est. Il a rejoint Mamie, ils vont pouvoir passer l’éternité ensemble, maintenant, et veillez sur nous, ensemble. Je me dis qu’il voudrait que nous soyons heureuses, toutes les deux, et que nous soyons pas tristes trop longtemps.
-Tu crois qu’il est plus heureux maintenant là-bas, qu’avec nous ?
-Bien sûr que non, c’est juste un bonheur différent. Je te raconte ça pour que tu es ça en tête et peut-être, que ça te consolera un peu.
-Maman ….
-Oui ma puce ?
-Toi aussi tu vas mourir un jour ?

Sa question me surprend et ne me met pas spécialement à l’aise. Mais dans son regard larmoyant, je décèle également de l’inquiétude. Comme si elle avait peur de me perdre, après avoir perdu son grand-père. Comme si elle avait peur de se retrouver toute seule.
-Un jour oui. Lui confirmé-je, souhaitant être honnête avec elle. Mais pas avant très longtemps, je te le promets. Ce ne sera pas avant que je sois vieille, avec des rides et des cheveux blancs. Et à ce moment-là, tu seras grande, et peut-être que tu auras ta propre maison.
-Je ne veux pas que tu meures, Maman.
-Je te rassure, je n’ai pas l’intention de te laisser toute suite. Ne t’inquiète pas ma puce, je suis encore là pour très longtemps, je ne vais pas t’abandonner. Je suis là, avec toi, d’accord ? Essayé-je de la rassurer, avant de la serrer contre moi une nouvelle fois.
-D’a… ccord…

Nous restons un moment toutes les deux, seules dans le caveau. Je garde ma fille dans mes bras durant tout ce temps, ne souhaitant pas la lâcher tant que les larmes menacent de couler ses joues. Pire que le décès de mon père, le chagrin de ma fille m’est insupportable.
La porte du caveau s’ouvre subitement, nous faisant sursauter toutes les deux. Je me redresse et constate que Manon est venue nous rejoindre, comme pour vérifier que nous allions bien. Elle me prend alors dans ses bras, pour soutenir dans la perte de mon père.

Joy, quant à elle, décide de sortir du caveau pour prendre l’air. La pluie est toujours au rendez-vous, mais cela n’empêche pas à mes proches de discuter tranquillement dans le cimetière. Malgré le mauvais temps, ils sont tous là, à attendre que nous soyons prêtes à sortir.
Et je ne les remercierais jamais assez pour leur soutien.

Je finis par sortir à mon tour du caveau. Nous sommes retourner à Willow Creek, pour prendre un goûter à la maison. J’ai préparé des gâteaux, un peu plus tôt dans la journée. Cela m’a occupé l’esprit. Mais je n’ai pas eu le cœur d’avaler quoique ce soit.
La journée terminée, et après avoir mis Joy au lit puis veiller à ce qu’elle se soit bien endormie, je me laisse tomber sur mon lit. La journée a été longue, et j’ai l’impression d’avoir enfin l’autorisation de relâcher les tensions. Je suis maintenant seule, je n’ai plus besoin d’être forte pour ma fille. J’ai enfin le droit à un instant, où je peux être triste, où je peux évacuer mon chagrin…

Petit à petit, la vie reprend son cours. Joy retourne à l’école, je reprends également le travail. Le manque est toujours là, mais nous apprenons à vivre avec. Au fil des jours, Joy semble plus légère et commence à retrouver le sourire. Cela me soulage, même si des progrès restent à faire. De son côté comme du mien.
J’ai l’impression de vivre dans le passé. J’ai des souvenirs dans chaque recoin de la maison. Le moindre objet réveille ma mémoire. A chaque fois, cela me mine le moral. Je n’ose plus toucher à quoique ce soit, et je suis incapable d’entrer à l’intérieur de la chambre de mes parents. Au fond de moi, je sais que je serai incapable de m’approprier cette pièce.
Et au fil du temps, je me rends compte que cette maison est trop grande, et que j’ai des difficultés à l’entretenir toute seule. De temps en temps, Ryan passe pour m’aider, mais j’éprouve toujours les mêmes blocages. L’évidence finit par me frapper : nous devons tourner définitivement la page, et changer de maison.
Mais, j’ai retenu les leçons du passé. Cette décision ne m’impacte pas que moi.
-Joy, ma puce, je souhaiterai te parler de quelque chose. Lui annoncé-je, un peu sur la réserve. Je crains sa réaction. Elle était tellement proche de ses grands-parents que j’ai peur qu’elle ne veuille pas partir d’ici.
-Ah ? Fait-elle, visiblement intéressée et curieuse d’en savoir plus.
-Co… Comment tu te sens dans cette maison ?
-Bah… Normal. Mais ça fait drôle qu’il n’y ait plus Papy. J’ai l’impression qu’il est partout.
-J’ai cette impression aussi… Et je trouve la maison grande, pour juste nous deux… Joy, je vais être honnête avec toi. Je pense vendre la maison pour en acheter une autre, plus petite, plus adaptée pour nous. Qu’on ne soit plus dans la maison de Papy et Mamie, mais dans la nôtre. Qu’en penses-tu ? Lui proposé-je, un peu nerveuse.
-C’est pas pour partir en Suède ? Me demande-t-elle, avec un léger sourire en coin. Ma fille ferait-elle des blagues, maintenant ?
-Non, nous n’allons pas vivre en Suède.
-Bon, bah alors d’accord.

Rassurée par la réaction de ma fille, je m’empresse de mettre la maison en vente et de commencer mes recherches de maison. C’est étrange à dire, mais je me sens comme ragaillardie par ce nouveau projet. Je n’ai jamais osé quitter le domicile familial, craignant de me retrouver seule avec Joy. A une époque, je rêvais de m’installer à San Myshuno dans un super petit appartement. Je rêvais de vivre en ville.
Mais aujourd’hui, mes recherches ne comprennent pas la ville. Mes envies ont changé, et je pense également à Joy. Elle a besoin d’extérieur, de verdure, de tranquillité. Tout le contraire d’un quotidien tumultueux en centre-ville.
Et aujourd’hui, je pense avant tout au bien-être de Joy.

Je n’ai aucun mal à vendre la maison de mes parents, ainsi que les meubles. J’ai décidé de ne pas garder grand chose d’ici. Je veux repartir d’une page blanche, et ne pas m’encombrer de choses inutiles ou qui ne me ressemblent pas.
Ce déménagement, c’est avant-tout un nouveau départ.
J’ai également trouvé une maison. C’est Ryan qui m’en a parlé, persuadé qu’elle me plairait. Lors de la première visite, je ne peux qu’admettre qu’il avait raison. J’ai un véritable coup de cœur, et j’espère que Joy le partagera. Je lui fais visiter la maison quelques jours plus tard, et lorsque je vois ses yeux pétiller d’émerveillement, je sais que nous avons trouvé notre nouvelle maison.
Nous n’avons plus qu’à faire nos cartons… Et quitter Willow Creek.

Car la maison que nous avons trouvé se situe à Brindleton Bay, juste à côté de celle de Ryan. Il s’entendait bien avec ses anciens voisins et c’est comme cela qu’il a su qu’ils mettaient leur maison en vente. Ryan est mon frère et c’était l’occasion rêver de me rapprocher de lui, de ma famille.
La maison offre de beaux espaces, sans être trop grande. Elle a seulement deux chambres et une seule salle de bain. Pour nous deux, c’est amplement suffisant.
Maintenant, dans cette nouvelle maison, notre nouvelle vie commence.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 23

Un mauvais pressentiment… J’ai eu du mal à dormir une bonne partie de la nuit à cause d’un mauvais pressentiment qui me rongeait les entrailles. Une petite voix dans ma tête me conseille d’aller dans la chambre de mes parents. Je ne saurais pas l’expliquer, peut-être est-ce mon instinct qui me parle.
Quoiqu’il en soit, je n’arrête pas de tourner encore et encore dans mon lit. Peut-être vaut-il mieux que je l’écoute… Je me lève donc et, en faisant attention à ne pas faire de bruit pour ne pas réveiller Joy, je me dirige doucement vers la chambre de mon père…
J’ai du mal à en croire mes yeux. En ouvrant la porte de la chambre, je découvre le corps de mon père, étendu sur le sol. Je reste un instant figé à l’entrée avant de m’approcher doucement.

-Papa ? Tu… Tu vas bien ? L’appelé-je doucement, refusant de croire à l’évidence. Je prends son poignet dans ma main, et j’espère sentir un pouls… Mais rien, rien du tout. Je ne sens absolument rien.
Je n’arrive pas y croire. Je me relève, mais je mets mes mains sur ma bouche pour m’empêcher de crier.

Mon père est parti. L’information s’insinue lentement dans mon esprit. Mes yeux rivés sur le corps de mon père, je suis sous le choc.
Je ne veux pas y croire. J’ai beau savoir qu’il n’est pas éternel et qu’il allait nous quitter un jour, le choc est identique à celui ressenti lorsque Maman est morte.
Je savais qu’il n’était pas éternel… Mais je faisais mon possible pour oublier cette évidence au quotidien, tellement je n’imaginais pas ma vie sans mon père.
Comment vais-je faire, maintenant qu’il n’est plus là ? Comment allons-nous nous en sortir avec Joy ?

Joy … Comment vais-je pouvoir lui annoncer que son grand-père, son Papy adoré, n’est plus parmi nous ? Qu’elle ne le reverra plus jamais ?

Je ressens brusquement un froid glacial entrer dans la pièce, me sortant de ma torpeur. Cette sensation… Je commence à bien la connaitre. Je frissonne lorsque je vois la créature s’introduire dans la chambre. La Faucheuse, que j’ai vu trop de fois à mon goût. Prête à venir prendre l’âme de mon père, et l’emmener loin de moi, de nous. Je l’observe, complètement désespérée.
Non, cette fois-ci, je ne veux pas rester plantée-là, sans rien faire.
-S’il vous plait… Soufflé-je, implorante, les lèvres tremblantes. S’il vous plait, accordez-nous encore un peu de temps avec lui… Ma… Ma fille… Elle dort juste à côté… Je ne veux pas qu’elle assiste à ça, je vous en prie. Elle ne s’en remettrait jamais….
La Faucheuse semble me regarder pendant toute ma supplique. Je ne parviens pas à voir son visage sous sa capuche. Elle semble rester totalement impassible, nullement touchée par ma demande…
Je baisse la tête, craignant le pire. Je crois que, j’ai échoué…

Mais à ma grande surprise, la Faucheuse tend la main en direction du corps de mon père, qui s’élève instantanément dans les airs. Il s’illumine et soudain, mon père ouvre les yeux et respire une grande bouffée d’air.
J’ai un mouvement de recul, sur le coup. J’ai du mal à réaliser que la Mort elle-même à accepter ma demande. J’ai du mal à croire qu’il est même possible, de revenir à la vie. L’incroyable s’est passé sous mes yeux : Papa a ressuscité.
Alors qu’il semble chercher à reprendre ses esprits, j’aperçois la Faucheuse lever un doigt en l’air, semblant m’indiquer que mon père ne restera pas encore longtemps parmi nous. J’hoche gravement la tête, et la Faucheuse disparaît alors de la pièce.

Lorsque la Faucheuse disparaît, je soupire de soulagement. Sans réfléchir une minute de plus, je me jette dans les bras de mon père.
-Oh Papa ! J’ai eu tellement peur ! M’exclamé-je alors, me retenant de pleurer à chaudes larmes.
-Allons, allons, ma puce. Me souffle-t-il en essayant de se montrer rassurant. Tout va bien ma puce, ça va aller.
-Papa, tu étais mort …
-Je sais ma puce, mais cela fait partie de la vie … Je te remercie de m’avoir ramené mais… Ce n’était pas nécessaire, tu sais ? Mon heure est venue, et je ne suis pas à plaindre, je vais rejoindre ta mère.
-Je.. Je crois … que je ne suis pas prête à te laisser partir. Lui avoué-je d’une voix triste. Que vais-je faire sans toi ? Et Joy ?
-Oh ma fille, tu es plus forte que tu le penses. Je te fais confiance, je sais que tu sauras t’en sortir et puis, tu n’es pas toute seule. Tu peux compter sur ton frère, tu sais. Et Joy… Elle a surtout besoin de sa mère. Je ne me fais pas de soucis pour vous deux ma puce. Et puis, dis toi que je serai éternellement heureux avec ta mère. Tu as quelque chose à lui dire ?
-Dis lui simplement que je l’aime. Lui dis-je simplement avec un faible sourire. Tu veux bien que l’on passe la journée ensemble Papa ? Que je profite de toi… pendant… que tu es encore là.
-Bien sûr. Comment pourrais-je refuser de passer une journée avec ma fille ?

Mon père est étonnamment léger, comme s’il n’était pas terrifié à l’idée de mourir. Cela est assez surprenant, mais je me dis qu’à partir d’un certain âge, on apprend à ne plus avoir peur de la mort. D’autant plus que Papa a déjà perdu Maman, et qu’il sait qu’il va la retrouver dans l’autre monde. Peut-être même qu’il est heureux à l’idée de la revoir.
Quant à moi, j’essaie de penser à autre chose. Je sais qu’il ne lui reste que peu de temps, qu’il a une épée de Damoclès au dessus de la tête. Mais je n’ai pas envie de gâcher ses derniers instants. Ils sont précieux et j’ai cette chance de pouvoir lui dire au revoir.
Ce matin, au petit déjeuner, nous ne disons rien à Joy. Elle ne semble pas avoir entendu quoique ce soit cette nuit, et c’est tant mieux. Je n’ai pas envie de lui miner le moral et je refuse que ses derniers souvenirs avec son grand-père soit gâché. Papa est d’accord avec moi alors, il continue d’agir normalement avec Joy.
-Alors, tu as bien dormi cette nuit ? Lui demande-t-il, le plus normalement du monde.
-Très bien ! J’ai rêvé que je me baladais dans une planète inconnue ! C’était trop cool !
-Tu es contente d’aller à l’école aujourd’hui ?
-Oui ! J’ai un cours de science aujourd’hui, ça va être chouette ! On va voir les planètes du système solaire, j’ai hâte, ça va être trop cool !
-J’imagine bien, Joy. Ca fait plaisir de te voir aussi passionnée. Garde cette passion, d’accord ? Ne l’oublie jamais. C’est important, les passions, dans la vie…
-T’inquiète pas Papy ! J’adore l’espace et les aliens, c’est pas prêt de changer ! Aller je file, je vais louper le car ! A ce soir Papy ! S’exclame-t-elle joyeusement avant de se lever de sa chaise, embrasser son grand-père sur la joue puis trottiner vers l’extérieur de la maison pour aller prendre son car scolaire…

Après le petit déjeuner, nous sommes partis à Magnolia Promenade avec Papa. Les parcs sont jolis à voir, et cela nous fera du bien de profiter de l’air frais, tous les deux. J’ai envie de profiter de cette journée, de mon père, avant qu’il ne soit trop tard et Magnolia Promenade est un endroit merveilleux.
Malheureusement, alors que nous venons d’arriver à destination, Papa se sent brusquement mal. Il se baisse, se laisse tomber sur le sol. Là, au milieu du trottoir … Il … Non… Ce n’est pas possible, pas maintenant !

Je me sens impuissante, en cet instant, alors que je vois mon père mourir sous mes yeux. Ce n’est possible, je pensais avoir plus de temps … Je pensais que j’aurais le temps de lui dire au revoir … Que nous aurions notre moment père/fille… Je l’espérais tellement …
Un vent froid souffle à mes côtés. Sans surprise, je vois la Mort venir chercher mon père, après lui accorder un faible sursis.
-Je.. Je croyais que j’avais encore une journée… Soufflé-je, sans espérer une réponse. La Faucheuse n’a jamais été bavarde.
-J’ai simplement accepté d’empêcher à votre fille de le voir partir. Mais son heure est venue, il repart avec moi. Me répond-t-elle finalement avec une voix d’outre tombe. Une voix froide, qui me glace le sang. Une voix qui n’inspire aucune sympathie.

La journée est belle, aujourd’hui, nous aurions tellement pu en profiter, avec Papa. Cela aurait pu être une belle journée d’adieux.
Finalement, je n’ai pas vraiment l’occasion de lui dire au revoir. J’espérais… tellement plus….
Mais il faut que je me rende à l’évidence. Mon père est parti. Cette fois-ci est la bonne, la Faucheuse repartira bien avec son âme. Je n’essaie pas de la convaincre de lui accorder un peu plus de temps… Ce n’est pas ce qu’il voudrait. Il nous aime, Joy et moi, mais je sais qu’il veut maintenant retrouver ma mère. Essayer de le retenir serait égoïste.
Même si … Même si ça me fait mal de le laisser partir. Même si je pleure à chaudes larmes, ici, au milieu de tous les regards curieux, pendant que la Faucheuse fait son travail.
Même si ça veut dire que je me retrouve orpheline.

Après le passage de la Faucheuse, je ne suis plus qu’une âme en peine. J’aperçois les regards compatissants des passants, certains m’adressent même un mot gentil. Je ne les écoute que d’une oreille. J’ai beau avoir assisté, deux fois, à son décès, j’ai du mal à réaliser qu’il n’est plus là. Lui qui a toujours été présent, le voilà maintenant absent pour toujours.
C’est tellement surréaliste. Un instant, il était avec moi, en train de rire et de me parler, l’instant suivant, il était parti…
Je prends le chemin de retour, de façon mécanique. J’ai la tête ailleurs, mes jambes avancent toutes seules. Soudain, je réalise que je suis devant la maison. Cette maison que j’ai toujours connu, dans laquelle j’ai grandi. J’ai passé toute ma vie dans cette maison, avec mes parents.
Une maison que mes deux parents ont choisi, pour que l’on puisse y vivre tous ensemble. Aujourd’hui, je me retrouve toute seule, avec ma fille. Je me sens soudainement toute petite, devant cette grande maison.

Il me faut plusieurs minutes pour réussir à entrer à l’intérieur. Cette maison, c’était mon refuge. Aujourd’hui, sans mes parents, elle me semble froide et sans vie. J’ai l’impression d’être une étrangère dans ma propre maison, comme si je n’avais pas le droit d’être ici.
Je m’assois sur le fauteuil. Je suis incapable de rester debout. J’observe le décor autour de moi, et je me sens terriblement seule. Mon père n’est plus là pour sécher mes larmes, pour me rassurer. C’est comme si j’étais une enfant apeurée. Je ne sais absolument pas quoi faire, à présent. Que suis-je censée faire maintenant, toute seule ? Que faire dans cette grande maison ?
Puis, la solution me vient à l’esprit. Je soupire tristement. Aujourd’hui, je ne suis pas la seule à avoir perdu mon père…
Je sors donc mon téléphone portable de ma poche. Et je l’appelle, le cœur lourd.
-Oui allô ? Me répond sans attendre mon frère.
-Ryan …. C’est moi ….
-Rosie ? Ca va ? Tu as une petite voix …. S’inquiète aussitôt mon frère, alors que ma gorge se noue. Je déteste cette situation, où je dois lui annoncer la mauvaise nouvelle.
-C’est… C’est Papa … Il … Il … Soufflé-je, me réalisant incapable de poursuivre ma phrase. Un silence s’installe entre nous. Ni lui, ni moi ne parlons. Ryan soupire. Je n’ai pas besoin de finir ma phrase. Il a compris.
-Tu es à la maison ? Me demande-t-il d’une voix grave. J’acquiesce d’une petite voix. J’arrive.

Vingt minutes. C’est le temps qu’il faut à Ryan pour venir me rejoindre ici, à Willow Creek. A la maison. Je le sais, j’ai passé mon temps à observer l’heure. C’est ridicule, mais il fallait que je m’occupe l’esprit. C’est assez efficace. Je sursaute même quand la sonnette retentit. Tel un robot, je me lève pour ouvrir la porte.
Mon frère est là, il est bien là. Sa tristesse se voit sur son visage. Je n’ai jamais été aussi heureuse de le voir.
-Merci d’être venu. Lui dis-je alors qu’il me prend aussitôt dans ses bras. Je me sens tout à cou protégée. Contre lui, je laisse échapper les larmes.
-C’est normal Rosie, je ne pouvais pas te laisser dans une telle épreuve. Il… fallait que je m’assure que tu… gères….
Nous restons ainsi pendant un moment, sans rien dire. Un grand frère, une petite sœur, se soutenant comme ils le peuvent dans une terrible épreuve. Celle de la perte d’un père. Du dernier parent.

Au bout de quelques minutes, Ryan me demande comment cela est arrivé. J’essuie mes larmes, et je lui explique tout depuis le début. Je suis anéantie et je parle machinalement. Je ne sais pas comment je fais pour être encore debout.
-Au moins, tu lui as pu lui obtenir quelques heures en plus pour vous dire au revoir. Me répond-t-il après que j’ai terminé de narrer les circonstances de la mort de Papa. Et puis, dorénavant, il est avec Maman.
-Je sais… Mais égoïstement, j’aurais aimé qu’il reste avec nous un peu plus longtemps. J’ai… j’ai peur de ne pas être à la hauteur. D’être encore une ado qui a besoin de ses parents.
-Rosie, ne t’inquiète pas, tu vas réussir à t’en sortir. Papa semble être parti en paix, il était confiant. S’il est parti aussi sereinement, c’est qu’il savait que tu es capable de vivre ta vie et d’assurer au quotidien. Au fond… Je me demande s’il n’a pas attendu d’être sûr que tout ira bien pour toi et pour Joy avant de partir…
-Oh Joy … Me rappelé-je subitement. Elle va bientôt rentrer de l’école… Comment je vais lui annoncer une chose pareille ? Elle qui est tellement proche de Papa…
-Je te comprends… Souffle-t-il, et je devine qu’il pense à ses propres enfants, qui seront également dévastés de perdre leur grand-père. Dis lui simplement la vérité, et… Sois présente pour elle. Tout ce dont elle aura besoin aujourd’hui, et les jours à venir, c’est l’amour de sa mère.

Ryan reste un moment avec moi, à la maison. Je lui sers à boire, et je repense à Papa qui a passé tellement de temps derrière le bar, à s’entraîner à préparer des boissons que nous n’avions pas le droit de boire. Lorsque je croise le regard de Ryan, je devine qu’il repense aux mêmes souvenirs.
Mon frère finit par me laisser, peu avant le retour de Joy. Je promets de le tenir au courant de la date de l’enterrement. Il part pour Brindleton Bay, et quelques minutes après son départ, Joy fait son entrée dans la maison.

-Coucou ! J’ai croisé Tonton dehors, il avait pas l’air bien ! Ca va Maman ? Il est où Papy ? J’ai un truc hallucinant à lui raconter sur l’espace ! J’ai appris ça à l’école ! S’exclame-t-elle joyeusement, tandis que mon cœur se serre davantage. Elle est si joyeuse, et je vais devoir lui briser le cœur. J’aimerais tellement la préserver, mais je ne peux pas lui cacher la vérité.
-Ma chérie, tu viens t’asseoir avec moi sur le canapé ? Lui proposé-je calmement après m’être pincée les lèvres. Je respire un grand coup, comme pour me donner du courage.
Je vois le sourire de ma fille disparaître instantanément. Elle sent que quelque chose ne va pas. Elle sent que quelque chose de grave s’est produit. Sans dire un mot, elle s’avance lentement. Elle s’assoit sur le canapé, juste à côté de moi. Je la prends par les épaules et lui serre la main.

-Ma puce, il va falloir être forte, d’accord ? Commencé-je doucement, tandis qu’elle hoche la tête sans prononcer un mot. C’est à propos de Papy… Il… Je suis sincèrement désolée ma puce, mais …. Cette après-midi, il a rejoint Mamie… Il est parti rejoindre Mamie dans les étoiles.

Je vois le regard de Joy se figer. Elle ne semble pas réaliser. Elle a du mal à intégrer l’information. Je la serre contre moi, sans intention de la lâcher. Ma fille est tendue, dans mes bras. Je le sens aisément. Je ne lui en veux pas, elle n’a pas l’habitude. Mais je veux lui montrer que je suis là, dans cette épreuve. Que je l’aime et qu’elle peut compter sur sa mère. Quelques secondes plus tard, je l’entends sangloter.
-Je suis désolée ma chérie.. J’aurais tellement voulu que tu ne vives jamais ça. Ajouté-je finalement, en essayant de retenir mes propres larmes. Papy n’est plus là, mais tes souvenirs, eux, seront toujours là. Conserve-les, comme des trésors, et ce sera comme s’il était toujours là, avec toi. Et… Et moi, je suis là pour te soutenir ma puce. Je t’aime, et je serai toujours là pour toi. Nous sommes plus que toutes les deux, à présent. Nous allons continuer à vivre, toutes les deux, ensemble. C’est… C’est ce que Papy aurait voulu. Nous allons nous serrer les coudes, d’a… d’accord, ma puce ?
-Oui, Maman… Me répond-t-elle d’une petite voix, avant de se laisser aller dans mes bras.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 22

Cette journée n’a pas été de tout repos. Après avoir discuté avec Sven, j’ai quitté la salle des fêtes. Je n’avais pas envie d’affronter les regards de mes proches, après les avoir fait venir pour rien, au final. Pas de mariage à célébrer, pas de félicitations aux jeunes mariés… Ils ont juste assisté à une rupture, vu le cœur du marié se briser. Je m’en veux pour ça, et je ne pouvais pas rester. Alors, je suis allée au cimetière. Je suis allée voir Maman… J’ai regardé son urne pendant des heures, lui demandant en silence si elle est fière de moi.
Lorsque je suis rentrée, mon père et ma fille étaient déjà à la maison. J’ai baissé en croisant le regard de Joy. Je sais qu’elle ne voulait pas partir en Suède, mais j’ignore ce qu’elle pense du fait que j’ai abandonné son père devant l’autel. Je me suis changée, et elle m’a parlé normalement tout le reste de la soirée. Comme si rien ne s’était passé. Elle m’a demandé comment allait Sven, mais ne s’est pas attardée davantage sur le sujet.
Ce soir, avant d’aller me coucher, je décide d’aller dans la chambre de ma fille. Elle dort déjà profondément, mais je m’approche tout de même d’elle, tout doucement pour ne pas la réveiller.

Une fois à côté d’elle, je remonte tendrement la couverture pour qu’elle en soit recouverte jusqu’au menton. J’observe son visage endormi avec tendresse. Elle a l’air si paisible, ainsi. Quand je la regarde, je n’ai pas l’impression de faire n’importe quoi avec notre vie. J’oublie que je la prive de son père, même si je sais que nous trouverons des solutions. J’oublie que je ne suis pas la mère idéale, même si j’essaie de m’améliorer.
Je me penche doucement vers elle, pour lui déposer un tendre b.aiser sur la tempe. J’aime ma fille, et je vais essayer de faire mon possible pour qu’elle soit heureuse. Il est temps que je grandisse pour être la mère qu’elle mérite d’avoir. Ou du moins essayer de m’en approcher le plus possible.

Je quitte ensuite la chambre de Joy pour me rendre dans la mienne. Mais je constate avec surprise que de la lumière est allumée, et que mon père est assis sur mon lit. Il semble m’attendre, tranquillement, patiemment.
Papa ? Tu n’es pas couché ? M’étonné-je alors. Aussitôt, il tourne la tête dans ma direction pour me sourire.
Je t’attendais, je voulais te parler. Me répond-t-il, tout en se décalant pour me permettre de m’asseoir à côté de lui.

-De quoi veux-tu me .. parler ? Lui demandé-je en m’installant sur le lit, bien que je me doute de la nature de la conversation. A son regard, je devine que la réponse est évidente.
-Je veux juste m’assurer que tout va bien. Me dit-il en réponse. Tu étais prête à te marier et tu as annulé, d’un coup… Tu es vraiment sûre de toi ?
-Pourquoi ? Tu penses que j’ai eu tort d’annuler ?
-Bien sûr que non ! Je préfère largement que tu annules pour pouvoir être heureuse plutôt que tu te forces à te marier et que tu sois malheureuse toute ta vie. Je ne veux, juste, pas que tu le regrettes par la suite…

-Je ne le regretterai pas, Papa. Lui assuré-je. Dès que j’ai décidé d’annuler, je me suis sentie soulagée, libérée d’un poids. J’ai beaucoup d’affection pour Sven, mais pas assez pour accepter de passer ma vie avec lui. D’autant plus en Suède. Ma vie, mon avenir est ici. Et certainement pas au bras de Sven. Il mérite mieux… Soufflé-je, finalement. Au fait, je suis désolée d’être partie comme une voleuse, après la cérémonie…
-Cela ne fait rien. Me rassure Papa en secouant la tête. Tu avais besoin de t’isoler, je comprends. Ne t’inquiète pas, je me suis occupé de tout.
-Et… Joy ? Je n’ai pas eu l’occasion de lui parler juste après l’annulation du mariage… Elle m’a semblé normale ce soir mais… Je sais qu’elle a tendance à intérioriser et qu’elle ne se confie pas à moi … M’inquiété-je, sachant que si quelqu’un peut me rassurer à propos de ma fille, c’est bien mon père.
-Elle va bien, ne t’en fais pas. Me sourit-il. Je pense qu’elle s’en doutait. Elle a pensé du temps avec Sven quand tu es partie, je pense qu’elle en a profité avant qu’il parte et qu’elle a voulu le rassurer. Et honnêtement, elle doit être aussi soulagée de ne plus partir en Suède.
-Elle ne m’en veut pas alors ?
-Bien sûr que non. Aller, je vais te laisser dormir, ne te prends pas trop la tête. Bonne nuit ma puce.
-Bonne nuit Papa.

La vie reprend doucement son cours. Sven m’a laissé un message pour me dire qu’il repart en Suède, et qu’il me rappellera pour que l’on s’organise pour Joy. Il a besoin de prendre du recul, mais qu’il continuera à parler avec sa fille sur Skype. Une chose est sûre, il ne veut pas disparaître de la vie de Joy.
L’ambiance est légère à la maison. Nous laissons l’épisode du mariage derrière nous, et nous allons de l’avant. Joy semble plus légère, plus ouverte, maintenant que nous ne partons plus en Suède. Elle a de nouveau le sourire et n’hésite pas à taquiner son grand-père à la moindre occasion.

-Un hamburger au petit déjeuner ? C’est paaas biiiien ! Maman serait pas contente si elle te voyait !
-Oui, mais Maman fait la grasse matinée et à mon âge, je fais ce que je veux ! S’en amuse-t-il, nullement perturbé de manger un hamburger de si bon matin.

Quand je descends les escaliers, mon père a déjà fini de manger et discute avec Joy. Je les observe en silence, attendrie par leur relation. Ils sont beaux à voir, tous les deux. Ils s’entendent à merveilles et c’est une véritable chance qu’ils puissent profiter d’une telle complicité. Je doute que beaucoup d’enfants aient la chance d’être aussi proche de leurs grand-parents. Moi la première : je n’ai jamais connu mes grands-parents.
Une pointe d’inquiétude s’insinue dans mon esprit ; mon père n’est pas éternel. Comment réagira Joy lorsqu’il nous quittera ? Elle qui ne cesse de regarder son grand-père avec admiration ?
Je secoue la tête. Chaque chose en son temps et pour l’instant, Papa est toujours parmi nous.

Les jours suivants, je profite du retour des beaux jours pour prendre quelques jours de congés. J’ai envie de me reposer un peu suite aux derniers événements, et je veux passer un peu de temps avec mon père. Ces dernières années, il a été très présent pour moi, me soutenir quand je n’allais pas bien, à s’occuper de Joy quand j’en étais incapable…. Aujourd’hui, je veux lui rendre la monnaie de sa pièce en lui offrant des moments simples, juste tous les deux. Comme avant que les problèmes ne commencent.
Je lui ai donc demandé de m’apprendre à jouer aux échecs. Joy adore ce jeu depuis que Papa lui a appris, et j’ai envie de pouvoir jouer avec elle à mon tour. J’ai du mal à saisir toutes les règles et les stratégies du jeu, mais Papa fait preuve de patience à mon égard en n’hésitant pas à répéter.

Petit à petit, j’arrive à me prendre au jeu. J’essaie de truander un peu en profitant d’un instant d’inattention de mon père, mais … je ne l’admettrai jamais ! J’affiche un grand sourire innocent lorsqu’il observe de nouveau le jeu en fronçant les sourcils, un air suspicieux sur le visage.
-Tu sais, il y a des moments où tu me rappelles ta mère. Me confie-t-il après un instant de réflexion.
-Ah oui ? Dis-je, intéressée.
Oui, elle aussi trichait aux échecs.
-Papa ! Je triche pas ! Me défends-je aussitôt, toujours en affichant un air innocent.
-Je suis peut-être vieux, mais je ne suis pas encore sénile. Me sourit-il, loin d’être dupe.

Le soir, quand Joy rentre de l’école, Papa continue de prendre le temps de l’aider à faire ses devoirs. Elle se débrouille bien toute seule la plupart du temps, mais cela lui fait plaisir d’être disponible pour répondre à ses questions, si elle en a. Joy ne dit rien, elle aime que son grand-père s’occupe d’elle.
Et puis, comme tous les enfants, elle a parfois ses moments de doutes.
-J’y arrive pas !! C’est trop compliqué ! Se plaint Joy qui bute sur un exercice de mathématiques.
-Calme-toi Joy, ça va aller. Tu vas y arriver. Tu es douée en maths, alors respire et prends le temps de réfléchir. Rien ne presse. Tente de la rassurer Papa.
-Mais j’y arrive jamais avec ces exercices là ! Alors que je réussis tout le temps d’habitude !
-Et cela ne sert à rien de t’énerver. Montre-moi ton exercice, on va voir ça ensemble, d’accord ? Lui dit-il avec calme, tout en tirant une chaise pour s’asseoir à côté d’elle.
Je suis admirative de sa patience avec elle. Il ne s’énerve pas quand elle perd patience et prend le temps de lui expliquer les choses.
Heureusement qu’il est là. Surtout que, personnellement, je suis nulle en maths et je serais bien incapable de l’aider. Elle aime les maths, c’est bien grâce à son grand-père.

Après que Joy ait terminé ses devoirs, et retrouvé sa confiance en elle après avoir enfin compris son exercice, Papa se lève de sa chaise pour commencer à préparer le dîner. Mais lorsqu’il se lève, il est soudainement pris d’un vertige et se tient rapidement au dossier de la chaise pour ne pas tomber.
-Papa, ça va ? M’inquiété-je aussitôt en me levant pour aller le rejoindre. Je le soutiens alors, ne souhaitant pas qu’il tombe et qu’il se fasse mal.
-Ca va ma puce, ne t’inquiète pas. Je me suis juste levé trop vite. M’assure-t-il avec un sourire qui se veut rassurant. J’ai un peu mal à la tête, tu peux m’apporter du paracétamol ? Je vais m’allonger un peu et ça ira mieux.
-Je… Je t’apporte ça. Mais tu es sûr que ça va aller ? Tu as souvent mal à la tête quand même…
-Mais oui, cesse de t’inquiéter.

Je suis inquiète à propos de Papa, car ce n’est pas la première fois qu’il ait pris de vertiges et de maux de tête. Mais j’essaie de ne rien montrer, pour ne pas causer du soucis à ma fille. J’ai envie de la préserver un maximum des éventuels problèmes de santé de son grand-père. Je veux qu’elle puisse garder de bons souvenirs de lui, qui ne soit pas entacher par l’inquiétude et la tristesse.
Alors, pendant que Papa se repose, je propose à Joy de sortir sur le perron pour faire une partie d’échec. Elle semble dubitative au début, mais finit par accepter.
-Tu es moins douée que Papy. Me dit-elle quelques minutes après que nous ayons commencé.
-Un peu d’indulgence mademoiselle, je suis encore en phase d’apprentissage ! Lui signalé-je avec légèreté. En réponse, elle se contente de me sourire.

Nous passons un bon moment toutes les deux, mais le sourire de Joy s’élargit lorsque mon père sort pour nous rejoindre, une heure plus tard. Il a repris des couleurs et semble aller mieux. Dès notre partie terminée, elle demande à son grand-père de jouer avec elle. Apparemment, je suis trop nulle et elle gagne trop facilement. Papa ne peut s’empêcher de rire à sa remarque, avant de lui demander d’être patiente avec moi. C’est vrai, je débute aux échecs !
Joy n’a pas cessé de coller son grand-père, ce soir. Pour son grand plaisir, lui qui est ravi de passer du temps avec sa petite-fille et de lui rendre son affection.
La nuit tombée, il l’accompagne à sa chambre pour qu’elle aille dormir. Elle a école demain et elle ne doit pas se coucher tard. Mais avant d’aller au lit, elle lui réclame un câlin, qu’il accepte de lui donner.
Ils sont vraiment adorable, tous les deux.

-Je t’aime Papy !
-Mais moi aussi je t’aime ma puce. Aller, hop, va au lit ! Sinon, tu vas être fatiguée demain !
-Oui Papy !

Après que Joy soit passée à la salle de bain, Papa accepte de lui lire une histoire. Elle se glisse sous la couverture, pendant que son grand-père s’empare d’un album, dont l’histoire parle d’un petit alien qui essaie d’être ami avec un cochon. Cela amuse Joy, mais elle finit par s’endormir avant la fin du livre. Papa lui sourit tendrement avant de réajuster la couverture, lui déposer un baiser sur le front, et de sortir de la chambre en veillant à éteindre la lumière.
Il rejoint à son tour sa propre chambre, prêt à passer une bonne nuit, pleine de rêves…

Mais malheureusement, c’est cette nuit, que le pire s’est produit….

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 21

Je respire un grand coup. Il est l’heure de sortir, d’accueillir les invités. Je ne peux pas rester indéfiniment enfermée dans les toilettes de la salle des fêtes. Je me sens tellement nerveuse, j’ai l’impression d’être une imposteur. Être stressée est normale, mais parce que l’on veut que la cérémonie et la fête se passent bien…. Mais est-ce normal de stresser à l’idée d’épouser son fiancé ? Ai-je pris la bonne décision en acceptant sa demande ? Est-ce que cette journée est une bonne idée ?
Le cœur bat à tout rompre, je sors du bâtiment, en quête d’air frais. Nous avons de la chance : la météo est de notre côté et le soleil illumine merveilleusement les lieux. Dès que je mets un pied dehors, j’aperçois mon père qui a fini son tour. Dès qu’il me voit, il vient aussitôt à ma rencontre.

-Ma fille, tu es magnifique ! Me complimente-t-il alors, tout en me serrant dans ses bras. Son étreinte est réconfortante, et je profite de ce moment pour tenter de me rassurer. Quoiqu’il arrive, je sais que mon père est de mon côté, qu’il me soutiendra quoiqu’il advienne.

-Tout va bien ? Me demande-t-il ensuite en m’affichant un grand sourire fier.
Je lui souris en retour. Dans son regard, je vois toute la fierté qu’il éprouve à mon égard. J’ai l’impression d’être le centre du monde, quand il me regarde ainsi. Je sais qu’il est heureux pour moi, mais est-ce que je le mérite ? Je suis si peu sûre de moi aujourd’hui, et j’ai tellement peur de le décevoir…

-Oui, bien sûr. Pourquoi ?
-Pour rien, je demande. C’est ton mariage, tu as le droit d’être nerveuse. Me répond-t-il simplement, alors qu’il semble m’observer attentivement. Cherche-t-il des failles dans mon sourire de façade ? Les voit-il ?

-Ca va Papa, je t’assure. Essayé-je de le rassurer, me demandant si c’est vraiment lui que je cherche à convaincre ou moi-même. J’essaie de prétendre que tout va bien, alors que le brouillard est toujours aussi dense, aussi épais dans mon esprit. Mon avenir est un immense point d’interrogation et je n’arrive pas à résoudre l’équation. Lorsque je remarque le regard perplexe de mon père, je m’empresse d’ajouter : Ne t’inquiète pas Papa… Je… Je pensais juste à Maman. J’aurais aimé qu’elle soit là, aujourd’hui, avec nous…
-Oh, elle doit être très fière de toi, de là où elle est. M’assure Papa avec un tendre sourire. Du moment que tu es heureuse, elle t’aurait suivi dans n’importe lequel de tes choix.
-N’importe lequel ? Relevé-je, intriguée.
-Oui, n’importe lequel. M’assure-t-il avec sérieux. Que tu décides de partir ou de rester ici, elle l’aurait accepté et t’aurait soutenu. Tout ce qu’elle voulait, c’était le bonheur de ses enfants. Et c’est ce que je veux aussi, d’ailleurs. Alors, même si ta mère n’est plus là, j’espère être la hauteur pour nous deux. Me sourit-il ensuite.
-Oh bien sûr Papa ! Tu es le meilleur Papa du monde, tu le sais ça quand même ? M’exclamé-je, ce qui le fait rire. Il s’approche alors de moi pour déposer un baiser sur mon front avant d’aller surveiller Joy. Je me sens étrange après cette conversation avec mon père, sans réussir à en expliquer la raison. J’inspire profondément et je décide de partir à la recherche de mon…. futur époux.

Ne trouvant pas Sven dans les jardins, je retourne à l’intérieur de la salle. Je ne tarde pas à le voir sortir des toilettes pour hommes. Son visage s’illumine dès qu’il me voit et il vient à ma rencontre pour aussitôt s’emparer de mes lèvres. Je tente de répondre à son baiser, mais mon trouble s’accentue au contact de ses lèvres. C’est étrange, mais je n’éprouve aucun plaisir à l’embrasser, comme si je le faisais par automatisme, par obligation. Comme si être fiancée, bientôt mariée, à lui m’obligeait à accepter de l’embrasser… Ce qui est absolument ridicule et contraire à toutes mes convictions pour lesquelles je me bats dans mon travail.
Rapidement, et tout en m’efforçant de masquer mon trouble, je mets fin au baiser et je me contente de lui sourire timidement.

-Tu es magnifique Rosie. Souffle-t-il après m’avoir observée. Je suis vraiment chanceux de t’épouser aujourd’hui.
Je ne sais pas quoi dire. Je l’observe également. Il est très élégant dans son costume, et je remarque qu’il a mis des lentilles à la place de ses lunettes pour l’occasion. Il irradie de bonheur, heureux de se marier aujourd’hui. La différence entre nous deux est frappante. Quand lui est ravi d’être ici, moi, j’ai le sentiment d’être enfermée. Je devrais être heureuse, normalement. Sven est mon premier amour. Sven est un homme formidable et n’importe quelle femme serait heureuse de devenir son épouse. Alors… Pourquoi ne le suis-je pas ?
-Merci… Toi… Tu… Tu es très élégant. Bredouillé-je, mal à l’aise.
-Tout le monde est arrivé, je crois. Tu viens ? Il est l’heure de nous marier. Ajoute-t-il ensuite avec douceur, comme s’il saisissait mon stress.
-Je… Je te suis. Soufflé-je, la gorge nouée. Tout s’accélère, je n’ai plus le temps d’analyser la situation. J’ai occupé mon esprit pendant des semaines pour ne pas devoir y penser, mais la réalité me rattrape.
Et je suis terrifiée.

Je suis Sven jusque dans les jardins. J’avance dans l’allée jusqu’à l’arche fleurie. L’endroit est entouré de haie et nous donne l’impression d’être dans un petit cocon de nature. C’est magnifique, et très romantique, mais je ne parviens pas à apprécier le décor.
Je sens que je commence à paniquer. Je suis ici, devant Sven, et nous nous apprêtons à échanger nos vœux. Je m’apprête à lui dire oui, pour la vie. Oui, pour une vie entière avec lui, en Suède.
Je sens mes mains trembler. J’essaie de respirer profondément, mais j’ai l’impression d’asphyxier, priant pour que ce moment se termine le plus vite possible. Ce qui devrait être magnifique se transforme en cauchemar.

Pour tenter de calmer ma crise de panique intérieure, et de gagner un peu de temps, j’observe les alentours. Je vois les invités s’installer sur les bancs. Ils arrivent tous en même temps, nous observant avec émerveillement. A leurs yeux, nous sommes le couple idéal. Nous nous sommes rencontrés au lycée. Nous sommes le premier amour de l’autre. Nous nous sommes séparés pour nous retrouver des années plus tard. Nous avons une fille ensemble. Une vraie histoire de conte de fée moderne. Une histoire qui ferait rêver n’importe qui.
Puis, je remarque ma fille, toute belle dans sa robe de fête. Elle vient s’installer au premier rang. Mais à son visage, je vois qu’elle n’est pas ravie d’être ici. Elle n’est pas heureuse d’être à ce mariage, car elle sait qu’il signe la fin de notre vie ici. Car, quelque part, elle sait que ce n’est pas vraiment ce que je veux aussi. Néanmoins, en bonne petite fille sage, elle s’assoit sur le banc, sans rien dire.

Après avoir observé toute l’assemblée présente, je me tourne de nouveau vers Sven. Mon regard ne quitte pas son visage. Un visage heureux, rayonnant. Il affiche un large sourire, y compris quand il commence à parler. Je n’entends pas ce qu’il dit, je ne vois que son visage. Un visage que je verrai tous les jours, jusqu’à mon dernier souffle. Un visage qui exprime tellement d’amour, tellement d’espoir en l’avenir. Un visage que je vais devoir supporter jusqu’à la fin de ma vie.
Un visage qui s’assombrit brusquement, miné par le stress et l’inquiétude.
Je remarque alors qu’il a arrêté de parler, qu’un silence gênant s’est abattu entre nous. Je comprends que, normalement, c’est à moi de prononcer mes vœux. J’ouvre la bouche, mais aucun son ne sort.
Et là, le brouillard s’évanouie.
Je ne peux pas lui faire ça.

-Je ne peux pas. Soufflé-je finalement, en retirant mes mains des siennes et en fermant les yeux. Je ne veux plus voir son visage. Je ne veux pas voir son cœur se briser en mille morceaux.
-Pardon ? Rosie ? Qu’est-ce qui t’arrive, mon amour ? Ne semble pas comprendre Sven, complètement perdu face à une situation qui lui échappe.
-Je ne peux pas t’épouser Sven. Lui répété-je d’une voix plus forte, plus assuré. J’ose enfin ouvrir les yeux. Je suis sincèrement désolée, mais je ne peux pas. Le mariage est annulé.

-Quoi ? Mais pourquoi ? Explique-moi Rosie ! Commence-t-il à paniquer, comme si l’information de notre rupture s’insinue doucement dans son esprit. Je me sens mal de le faire souffrir ainsi, terriblement mal. Il ne le mérite pas, mais comment annoncer à quelqu’un que c’est fini sans lui briser le cœur ?
-Pas ici. Refusé-je en secouant la tête, avant de désigner nos invités qui nous observent avec stupeur. Je l’humilie déjà suffisamment en l’abandonnant devant l’arche, devant tout le monde. Mais la suite, elle nous concerne que nous.

Puis, devant les murmures des invités, je m’éloigne subitement de Sven et je remonte l’allée. J’ignore les regards et les paroles échangés.
Je me sens mal pour Sven, je culpabilise de lui faire ce coup-là, de l’abandonner ainsi…. Mais je ne me suis jamais sentie aussi légère.
C’est horrible à dire, mais je me sens libérée d’un poids maintenant que j’ai annulé ce mariage. Tous mes doutes, toutes mes angoisses, se sont envolés dès l’instant où j’ai décidé de tout arrêter. Le point d’interrogation de mon avenir a laissé place à une ligne claire et lisible.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être à un tournant de mon histoire. J’ai fait un choix et pour une fois, je n’ai jamais été aussi sûre de moi.

Je finis par m’asseoir sur un banc, dans un petit coin reculé, dissimulé aux yeux de tous. Sven ne tarde pas à me rejoindre, seul. Les invités ne nous ont pas suivi et nous pouvons donc parler librement, calmement, sans le poids du regard des autres.
-Rosie, explique-moi ce qui se passe. Pourquoi tu veux annuler le mariage ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? M’interroge aussitôt Sven, qui semble être dans la plus totale incompréhension. Si le fait de venir vivre en Suède te dérange tant que ça, nous pouvons en discuter et nous arranger… Quoique j’ai fait, dis-moi comment je peux le corriger s’il te plait…
-Sven, arrête, tu n’as rien fait. Le coupé-je en secouant la tête. Certes, je n’ai pas envie de partir vivre en Suède mais…
Si ce n’est que ça, je peux aussi déménager. M’assure-t-il d’une voix tremblante, désespérée.
-Mais il n’y a pas que ça. Continué-je, ignorant sa tentative de recoller les morceaux, de trouver une solution. Sven, écoute-moi… Si j’ai annulé le mariage, c’est parce que j’ai réalisé que je ne voulais pas t’épouser… Parce que… Parce que je ne t’aime plus comme tu le voudrais.
-Pourquoi avoir dit oui, dans ce cas ? Pourquoi avoir attendu maintenant ?

-Parce que j’étais totalement perdue. Lorsque tu es revenu, j’étais déjà perdue dans ma vie, dans mon rôle de mère aussi. Quand tu es revenu, j’étais perdue entre les sentiments que j’ai eu pour toi, à l’époque, ce que je devais faire pour Joy, pour tout le monde, mes propres envies… En fin de compte, c’était tellement trop que j’ai fini par en oublier ce que je voulais vraiment. Je veux que Joy soit heureuse et j’ai sincèrement pensé qu’en te disant oui, qu’en allant vivre en Suède, ça allait la rendre heureuse. Et, qu’étant donné que tu es mon premier amour, la force de mes sentiments de l’époque et que tu es l’homme le plus formidable que je connaisse, te dire oui était sans doute la meilleure des solutions, pour essayer de contenter tout le monde. Tout le monde… Sauf moi. Quand je t’ai vu aussi heureux de m’épouser, j’ai réalisé que je ne pouvais pas te faire ça… T’offrir une vie avec une femme malheureuse, incapable de te combler.
-Qu’est-ce qui te dit que tu aurais été malheureuse ?
-Parce que je sais, au fond de moi, que ce n’est pas ce que je veux. Sven, je n’ai même pas été capable de t’avouer que je suis devenue stérile suite à des complications au moment de la naissance de Joy. Notre complicité de l’époque n’existe plus. Lui avoué-je subitement, alors que ses yeux s’arrondissent de stupeur. Il bredouille un « désolé » avant de se murer dans le silence. J’ai, et j’aurais toujours, beaucoup d’affection pour toi Sven, mais… Ce n’est pas suffisant. Et tu mérites mieux qu’une vie avec une femme malheureuse qui n’a pas envie d’être avec toi.
-Il… Il n’y a vraiment aucun espoir alors ?
-Non… Je suis vraiment désolée Sven… Pour ça… Et pour avoir mis autant de temps avant de le réaliser. Soufflé-je alors que je le vois brusquement éclater en sanglots. Il prend sa tête entre ses mains et laisse s’exprimer son cœur brisé. Mon cœur se serre de le voir dans cet état, par ma faute. Je reste ici, assise sur le banc, le temps dont il a besoin pour exprimer son désarroi. Je viens de briser tous ses rêves et je ne m’en voudrais jamais assez de lui faire subir cela.
Mais aujourd’hui, j’ai réalisé une chose : j’ai le droit de quitter un homme bien.

Alors, une fois que Sven se calme et que son regard se perd dans le vide, je pose une main compatissante sur son épaule. Je m’excuse une nouvelle fois de lui briser le cœur. Il hausse les épaules et me murmure qu’il me souhaite d’être heureuse.
C’est le moment pour moi de partir. Je me lève alors, le laissant seul sur le banc. Je quitte les jardins de la salle des fêtes, et je m’éloigne du bâtiment. Derrière moi, je laisse Sven et une ancienne vie dont je ne veux plus. J’avance désormais vers une nouvelle vie, plus sereine.
Pour une fois, aujourd’hui, j’ai fait le bon choix.
J’en suis certaine.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 20

Je ne cesse pas de cogiter depuis quelques jours. Je repense à cette soirée en boite. Je me suis bien amusée, du début …. à la fin. Je ne regrette rien mais je dois admettre que je ne fais pas la fière. J’ai abandonné mes amis pour batifoler avec un inconnu, trompant mon fiancé officiel… Mais lorsque je les ai recroisé, ils ont eu la politesse de faire comme s’ils avaient rien remarquer. Mais le regard de Caroline m’a montré qu’elle savait, mais qu’elle ne me dirait rien.
Je sais bien que ce que j’ai fait est mal. C’est affreux de tromper Sven avec le premier type venu, alors qu’il est l’homme le plus adorable du monde. Je m’en veux, car il ne mérite pas ça.
Mais j’avais besoin de cet écart. Je m’apprête à changer de vie, et j’avais besoin de m’évader, un instant. De me reconnecter avec ma vie actuelle, mon « moi » d’aujourd’hui. Avant d’être coincée dans un pays étranger, avec une alliance à mon doigt.

-Tu trouves ton bonheur, mon cœur ? Me demande subitement Sven, me sortant brusquement de mes pensées. Je sursaute et je lui souris pour tenter de le rassurer, et lui cacher mon trouble.
Aujourd’hui, nous sommes sortis au restaurant, avec Sven et Joy. Histoire de passer un moment en famille, et de discuter des démarches pour que ma fille et moi puissions rejoindre Sven en Suède. Tout est prêt pour le mariage, il n’y a plus qu’à préparer le déménagement. Sven me parle des excellentes écoles proche de chez lui, mais Joy fait mine de ne pas l’écouter. Elle a beau s’être faite à l’idée, elle n’est toujours pas ravie de quitter sa maison pour aller vivre ailleurs.
En levant les yeux du menu, j’aperçois Sven et Joy qui me regardent. Ils affichent la même expression sur le visage et leur ressemblance est déconcertante. Sven ne peut décidément pas nier la paternité de sa fille. Ce qui me conforte dans le choix de l’épouser : Joy est sa fille et il a le droit de vivre auprès d’elle. Notre place est auprès de lui… En… Suède… Loin d’ici.

-Euh, oui. Je vais opter pour un hot-dog, tout simple. Bredouillé-je, perturbée par le regard énamouré de Sven qui hoche la tête d’approbation. Je suis mal à l’aise. Je suis incapable de lui lancer un tel regard.

-Alors, Joy, tu es contente de venir vivre en Suède ? Tu verras, c’est un beau pays, tu devrais t’y plaire ! Lui demande Sven, après que le serveur soit venu prendre notre commande. Je suis soudainement gênée. Sven vient de poser la question qui fâche à sa fille.
-Bof ! Je suis bien ici, moi ! Répond avec franchise Joy dans un haussement d’épaules. Il fait froid en Suède en plus !
-Seulement en hiver, ce n’est pas le pôle nord non plus. Tente-t-il de la rassurer.
-Peut-être mais, pourquoi c’est pas toi qui vient vivre ici ? Après tout, t’es tout seul et nous on est deux ! Ca serait plus simple pour toi tout seul de venir ici ! Ne perd pas le nord Joy, lançant un regard implorant à son père. Visiblement, elle ne s’est pas tant faite que ça à l’idée.

-Oh Joy, ce n’est pas aussi simple. Bredouille de gêne Sven, ne sachant pas quoi répondre à sa fille.
-Papy t’a déjà expliqué, non ? Tenté-je de venir à sa rescousse, tout aussi embarrassée que lui.
-Oui, il m’a dit que c’était des histoires de travail et tout ça mais c’est nul ! Papa, si tu nous aimais, tu ne nous obligerais pas à partir ! Proteste Joy en affichant une moue boudeuse.
-Joy, ça suffit maintenant ! Nous en avons déjà discuté ! Commencé-je à m’agacer, tandis que le serveur nous sert nos plats.

Joy ne répond rien suite à ma réprimande et se contente de bouder devant son burger. Sven est gêné et me jette un regard, cherchant du soutien et du réconfort. Je ne sais pas trop quoi faire, ni quoi dire. Je prends mon verre de jus d’orange pour en avaler son contenu d’une traite. Cela ne m’aidera pas beaucoup à surmonter cette situation, mais cela me donne une contenance. Je prie pour que l’on change de sujet de conversation. Le terrain est glissant et pour être honnête, je ne peux pas donner tort à ma fille. Au fond de moi, je sais qu’elle a raison.
Mais je préfère me taire, et passer à autre chose.

Le reste du repas se passe dans le calme, sans autre incident à signaler. Sven a la présence d’esprit de changer de sujet et l’ambiance entre nous se détend. Joy ne se montre pas spécialement bavarde, et répond à peine aux questions de son père. Je lève les yeux au ciel. Elle me fatigue, à être si peu coopérative. Mais je ne peux pas lui en vouloir, moi, qui m’apprête à l’arracher au monde qu’elle a toujours connu. Je me dis qu’elle finira bien, par s’y faire.
A la fin du repas, Sven nous laisse toutes les deux. Il a un rendez-vous professionnel qu’il ne peut pas manquer. Il m’embrasse, dépose un baiser sur le haut de la tête de Joy, puis part en direction du centre-ville. Lorsque je me tourne vers ma fille, je remarque qu’elle me regarde avec insistance.
-A quoi tu penses, Joy ? Lui demandé-je, intriguée par ce qui se passe dans sa petite tête blonde.

-Pourquoi tu veux épouser Papa si tu n’es pas amoureuse ? Me répond-t-elle par une question, directe et franche. Je suis bouche-bée par sa question, qui sort de nulle part. Une question complètement incongrue de la part d’une enfant.
-D’où est-ce que tu peux bien sortir ça ? Bien sûr que j’aime ton père !
-Tu fais la même tête que Lady Vansa quand elle épouse Sir Pyrion ! S’exclame-t-elle en réponse, en citant une série de dessin animée pour enfant, une sorte de Game of Thrones dans l’espace et pour enfant. Depuis qu’elle a découvert ça, elle passe son temps devant quand elle n’a pas le nez plongé dans ses livres.
-C’est de la fiction ton dessin animé ma puce, et non la réalité. Soupiré-je alors, ne sachant pas quoi lui répondre d’autre.

-Mais Maman…
-Ma puce, la coupé-je dans son élan, je sais que tu es inquiète, à cause de notre départ en Suède et du fait que nous n’allons plus vivre avec Papy. Mais ne t’inquiète pas, tu nous as entendu avec ton père. Nous ne partirons pas directement après le mariage, nous avons d’autres choses à régler avant pour que nous puissions obtenir nos visas. Il y a encore un peu de temps, avant que nous nous envolions vers les pays nordiques. Tenté-je de la rassurer, alors que mon propre cœur se serre à l’évocation de notre départ. Et puis, nous reviendrons ici, voir Papy et Tonton.
-Mouais. Ne semble-t-elle pas convaincue. Comment pourrai-je lui en vouloir, d’avoir des doutes, quand je peine déjà à me convaincre moi-même que je prends les bonnes décisions.

e jour J est arrivé. C’est aujourd’hui que je me marie, que je vais épouser Sven. En apparence, je suis prête. J’ai revêtu ma robe de mariée, une robe blanche près du corps avec un dos nu et de la transparence. Ma mise en beauté est terminée ; mon chignon est parfait ainsi que mon maquillage.
Nous sommes arrivés sur le lieu de la cérémonie : une salle des fêtes avec une arche de mariage dans ses jardins. Nous avons tout sur place pour le mariage.
Aucun imprévu à déplorer, tout se passe comme nous l’avions prévu.
Mais je suis tout de même nerveuse. Dès que nous sommes arrivés, je me suis cachée dans les toilettes des femmes pour me rafraîchir.

Je vérifie ma coiffure, à la quête d’une imperfection à corriger. Je replace quelques mèches de cheveux. Je guette une trace de ma couleur naturelle alors que ma teinture rouge est récente. Je scrute mon maquillage, à la recherche d’une bavure de rouge à lèvre.
Tout ceci est vain, car je sais bien qu’il n’y a rien à rectifier. Je m’occupe simplement l’esprit pour penser à autre chose qu’à mon mariage.

Mon cœur bat à mille à l’heure. Je n’ai jamais été autant stressée de toute ma vie. J’essaie de donner l’impression d’être sûre de mon choix. Mais maintenant que j’y suis, que je suis sur le point de me marier, les doutes envahissent mon esprit. Je m’observe dans le miroir et j’ai l’impression de ne pas me reconnaître. Cette robe a beau être magnifique et m’aller à merveilles, ce n’est pas moi. J’ai du mal à me voir en mariée. J’ai du mal à m’imaginer m’avancer jusqu’à l’arche, et dire « oui » à Sven pour la vie.
Suis-je vraiment prête à épouser Sven ? Est-ce vraiment ce que je veux ?
Oh mon Dieu, qu’est-ce que ce que je suis en train de faire ? Ai-je pris la bonne décision ?