Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 21

Je respire un grand coup. Il est l’heure de sortir, d’accueillir les invités. Je ne peux pas rester indéfiniment enfermée dans les toilettes de la salle des fêtes. Je me sens tellement nerveuse, j’ai l’impression d’être une imposteur. Être stressée est normale, mais parce que l’on veut que la cérémonie et la fête se passent bien…. Mais est-ce normal de stresser à l’idée d’épouser son fiancé ? Ai-je pris la bonne décision en acceptant sa demande ? Est-ce que cette journée est une bonne idée ?
Le cœur bat à tout rompre, je sors du bâtiment, en quête d’air frais. Nous avons de la chance : la météo est de notre côté et le soleil illumine merveilleusement les lieux. Dès que je mets un pied dehors, j’aperçois mon père qui a fini son tour. Dès qu’il me voit, il vient aussitôt à ma rencontre.

-Ma fille, tu es magnifique ! Me complimente-t-il alors, tout en me serrant dans ses bras. Son étreinte est réconfortante, et je profite de ce moment pour tenter de me rassurer. Quoiqu’il arrive, je sais que mon père est de mon côté, qu’il me soutiendra quoiqu’il advienne.

-Tout va bien ? Me demande-t-il ensuite en m’affichant un grand sourire fier.
Je lui souris en retour. Dans son regard, je vois toute la fierté qu’il éprouve à mon égard. J’ai l’impression d’être le centre du monde, quand il me regarde ainsi. Je sais qu’il est heureux pour moi, mais est-ce que je le mérite ? Je suis si peu sûre de moi aujourd’hui, et j’ai tellement peur de le décevoir…

-Oui, bien sûr. Pourquoi ?
-Pour rien, je demande. C’est ton mariage, tu as le droit d’être nerveuse. Me répond-t-il simplement, alors qu’il semble m’observer attentivement. Cherche-t-il des failles dans mon sourire de façade ? Les voit-il ?

-Ca va Papa, je t’assure. Essayé-je de le rassurer, me demandant si c’est vraiment lui que je cherche à convaincre ou moi-même. J’essaie de prétendre que tout va bien, alors que le brouillard est toujours aussi dense, aussi épais dans mon esprit. Mon avenir est un immense point d’interrogation et je n’arrive pas à résoudre l’équation. Lorsque je remarque le regard perplexe de mon père, je m’empresse d’ajouter : Ne t’inquiète pas Papa… Je… Je pensais juste à Maman. J’aurais aimé qu’elle soit là, aujourd’hui, avec nous…
-Oh, elle doit être très fière de toi, de là où elle est. M’assure Papa avec un tendre sourire. Du moment que tu es heureuse, elle t’aurait suivi dans n’importe lequel de tes choix.
-N’importe lequel ? Relevé-je, intriguée.
-Oui, n’importe lequel. M’assure-t-il avec sérieux. Que tu décides de partir ou de rester ici, elle l’aurait accepté et t’aurait soutenu. Tout ce qu’elle voulait, c’était le bonheur de ses enfants. Et c’est ce que je veux aussi, d’ailleurs. Alors, même si ta mère n’est plus là, j’espère être la hauteur pour nous deux. Me sourit-il ensuite.
-Oh bien sûr Papa ! Tu es le meilleur Papa du monde, tu le sais ça quand même ? M’exclamé-je, ce qui le fait rire. Il s’approche alors de moi pour déposer un baiser sur mon front avant d’aller surveiller Joy. Je me sens étrange après cette conversation avec mon père, sans réussir à en expliquer la raison. J’inspire profondément et je décide de partir à la recherche de mon…. futur époux.

Ne trouvant pas Sven dans les jardins, je retourne à l’intérieur de la salle. Je ne tarde pas à le voir sortir des toilettes pour hommes. Son visage s’illumine dès qu’il me voit et il vient à ma rencontre pour aussitôt s’emparer de mes lèvres. Je tente de répondre à son baiser, mais mon trouble s’accentue au contact de ses lèvres. C’est étrange, mais je n’éprouve aucun plaisir à l’embrasser, comme si je le faisais par automatisme, par obligation. Comme si être fiancée, bientôt mariée, à lui m’obligeait à accepter de l’embrasser… Ce qui est absolument ridicule et contraire à toutes mes convictions pour lesquelles je me bats dans mon travail.
Rapidement, et tout en m’efforçant de masquer mon trouble, je mets fin au baiser et je me contente de lui sourire timidement.

-Tu es magnifique Rosie. Souffle-t-il après m’avoir observée. Je suis vraiment chanceux de t’épouser aujourd’hui.
Je ne sais pas quoi dire. Je l’observe également. Il est très élégant dans son costume, et je remarque qu’il a mis des lentilles à la place de ses lunettes pour l’occasion. Il irradie de bonheur, heureux de se marier aujourd’hui. La différence entre nous deux est frappante. Quand lui est ravi d’être ici, moi, j’ai le sentiment d’être enfermée. Je devrais être heureuse, normalement. Sven est mon premier amour. Sven est un homme formidable et n’importe quelle femme serait heureuse de devenir son épouse. Alors… Pourquoi ne le suis-je pas ?
-Merci… Toi… Tu… Tu es très élégant. Bredouillé-je, mal à l’aise.
-Tout le monde est arrivé, je crois. Tu viens ? Il est l’heure de nous marier. Ajoute-t-il ensuite avec douceur, comme s’il saisissait mon stress.
-Je… Je te suis. Soufflé-je, la gorge nouée. Tout s’accélère, je n’ai plus le temps d’analyser la situation. J’ai occupé mon esprit pendant des semaines pour ne pas devoir y penser, mais la réalité me rattrape.
Et je suis terrifiée.

Je suis Sven jusque dans les jardins. J’avance dans l’allée jusqu’à l’arche fleurie. L’endroit est entouré de haie et nous donne l’impression d’être dans un petit cocon de nature. C’est magnifique, et très romantique, mais je ne parviens pas à apprécier le décor.
Je sens que je commence à paniquer. Je suis ici, devant Sven, et nous nous apprêtons à échanger nos vœux. Je m’apprête à lui dire oui, pour la vie. Oui, pour une vie entière avec lui, en Suède.
Je sens mes mains trembler. J’essaie de respirer profondément, mais j’ai l’impression d’asphyxier, priant pour que ce moment se termine le plus vite possible. Ce qui devrait être magnifique se transforme en cauchemar.

Pour tenter de calmer ma crise de panique intérieure, et de gagner un peu de temps, j’observe les alentours. Je vois les invités s’installer sur les bancs. Ils arrivent tous en même temps, nous observant avec émerveillement. A leurs yeux, nous sommes le couple idéal. Nous nous sommes rencontrés au lycée. Nous sommes le premier amour de l’autre. Nous nous sommes séparés pour nous retrouver des années plus tard. Nous avons une fille ensemble. Une vraie histoire de conte de fée moderne. Une histoire qui ferait rêver n’importe qui.
Puis, je remarque ma fille, toute belle dans sa robe de fête. Elle vient s’installer au premier rang. Mais à son visage, je vois qu’elle n’est pas ravie d’être ici. Elle n’est pas heureuse d’être à ce mariage, car elle sait qu’il signe la fin de notre vie ici. Car, quelque part, elle sait que ce n’est pas vraiment ce que je veux aussi. Néanmoins, en bonne petite fille sage, elle s’assoit sur le banc, sans rien dire.

Après avoir observé toute l’assemblée présente, je me tourne de nouveau vers Sven. Mon regard ne quitte pas son visage. Un visage heureux, rayonnant. Il affiche un large sourire, y compris quand il commence à parler. Je n’entends pas ce qu’il dit, je ne vois que son visage. Un visage que je verrai tous les jours, jusqu’à mon dernier souffle. Un visage qui exprime tellement d’amour, tellement d’espoir en l’avenir. Un visage que je vais devoir supporter jusqu’à la fin de ma vie.
Un visage qui s’assombrit brusquement, miné par le stress et l’inquiétude.
Je remarque alors qu’il a arrêté de parler, qu’un silence gênant s’est abattu entre nous. Je comprends que, normalement, c’est à moi de prononcer mes vœux. J’ouvre la bouche, mais aucun son ne sort.
Et là, le brouillard s’évanouie.
Je ne peux pas lui faire ça.

-Je ne peux pas. Soufflé-je finalement, en retirant mes mains des siennes et en fermant les yeux. Je ne veux plus voir son visage. Je ne veux pas voir son cœur se briser en mille morceaux.
-Pardon ? Rosie ? Qu’est-ce qui t’arrive, mon amour ? Ne semble pas comprendre Sven, complètement perdu face à une situation qui lui échappe.
-Je ne peux pas t’épouser Sven. Lui répété-je d’une voix plus forte, plus assuré. J’ose enfin ouvrir les yeux. Je suis sincèrement désolée, mais je ne peux pas. Le mariage est annulé.

-Quoi ? Mais pourquoi ? Explique-moi Rosie ! Commence-t-il à paniquer, comme si l’information de notre rupture s’insinue doucement dans son esprit. Je me sens mal de le faire souffrir ainsi, terriblement mal. Il ne le mérite pas, mais comment annoncer à quelqu’un que c’est fini sans lui briser le cœur ?
-Pas ici. Refusé-je en secouant la tête, avant de désigner nos invités qui nous observent avec stupeur. Je l’humilie déjà suffisamment en l’abandonnant devant l’arche, devant tout le monde. Mais la suite, elle nous concerne que nous.

Puis, devant les murmures des invités, je m’éloigne subitement de Sven et je remonte l’allée. J’ignore les regards et les paroles échangés.
Je me sens mal pour Sven, je culpabilise de lui faire ce coup-là, de l’abandonner ainsi…. Mais je ne me suis jamais sentie aussi légère.
C’est horrible à dire, mais je me sens libérée d’un poids maintenant que j’ai annulé ce mariage. Tous mes doutes, toutes mes angoisses, se sont envolés dès l’instant où j’ai décidé de tout arrêter. Le point d’interrogation de mon avenir a laissé place à une ligne claire et lisible.
Aujourd’hui, j’ai le sentiment d’être à un tournant de mon histoire. J’ai fait un choix et pour une fois, je n’ai jamais été aussi sûre de moi.

Je finis par m’asseoir sur un banc, dans un petit coin reculé, dissimulé aux yeux de tous. Sven ne tarde pas à me rejoindre, seul. Les invités ne nous ont pas suivi et nous pouvons donc parler librement, calmement, sans le poids du regard des autres.
-Rosie, explique-moi ce qui se passe. Pourquoi tu veux annuler le mariage ? Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? M’interroge aussitôt Sven, qui semble être dans la plus totale incompréhension. Si le fait de venir vivre en Suède te dérange tant que ça, nous pouvons en discuter et nous arranger… Quoique j’ai fait, dis-moi comment je peux le corriger s’il te plait…
-Sven, arrête, tu n’as rien fait. Le coupé-je en secouant la tête. Certes, je n’ai pas envie de partir vivre en Suède mais…
Si ce n’est que ça, je peux aussi déménager. M’assure-t-il d’une voix tremblante, désespérée.
-Mais il n’y a pas que ça. Continué-je, ignorant sa tentative de recoller les morceaux, de trouver une solution. Sven, écoute-moi… Si j’ai annulé le mariage, c’est parce que j’ai réalisé que je ne voulais pas t’épouser… Parce que… Parce que je ne t’aime plus comme tu le voudrais.
-Pourquoi avoir dit oui, dans ce cas ? Pourquoi avoir attendu maintenant ?

-Parce que j’étais totalement perdue. Lorsque tu es revenu, j’étais déjà perdue dans ma vie, dans mon rôle de mère aussi. Quand tu es revenu, j’étais perdue entre les sentiments que j’ai eu pour toi, à l’époque, ce que je devais faire pour Joy, pour tout le monde, mes propres envies… En fin de compte, c’était tellement trop que j’ai fini par en oublier ce que je voulais vraiment. Je veux que Joy soit heureuse et j’ai sincèrement pensé qu’en te disant oui, qu’en allant vivre en Suède, ça allait la rendre heureuse. Et, qu’étant donné que tu es mon premier amour, la force de mes sentiments de l’époque et que tu es l’homme le plus formidable que je connaisse, te dire oui était sans doute la meilleure des solutions, pour essayer de contenter tout le monde. Tout le monde… Sauf moi. Quand je t’ai vu aussi heureux de m’épouser, j’ai réalisé que je ne pouvais pas te faire ça… T’offrir une vie avec une femme malheureuse, incapable de te combler.
-Qu’est-ce qui te dit que tu aurais été malheureuse ?
-Parce que je sais, au fond de moi, que ce n’est pas ce que je veux. Sven, je n’ai même pas été capable de t’avouer que je suis devenue stérile suite à des complications au moment de la naissance de Joy. Notre complicité de l’époque n’existe plus. Lui avoué-je subitement, alors que ses yeux s’arrondissent de stupeur. Il bredouille un « désolé » avant de se murer dans le silence. J’ai, et j’aurais toujours, beaucoup d’affection pour toi Sven, mais… Ce n’est pas suffisant. Et tu mérites mieux qu’une vie avec une femme malheureuse qui n’a pas envie d’être avec toi.
-Il… Il n’y a vraiment aucun espoir alors ?
-Non… Je suis vraiment désolée Sven… Pour ça… Et pour avoir mis autant de temps avant de le réaliser. Soufflé-je alors que je le vois brusquement éclater en sanglots. Il prend sa tête entre ses mains et laisse s’exprimer son cœur brisé. Mon cœur se serre de le voir dans cet état, par ma faute. Je reste ici, assise sur le banc, le temps dont il a besoin pour exprimer son désarroi. Je viens de briser tous ses rêves et je ne m’en voudrais jamais assez de lui faire subir cela.
Mais aujourd’hui, j’ai réalisé une chose : j’ai le droit de quitter un homme bien.

Alors, une fois que Sven se calme et que son regard se perd dans le vide, je pose une main compatissante sur son épaule. Je m’excuse une nouvelle fois de lui briser le cœur. Il hausse les épaules et me murmure qu’il me souhaite d’être heureuse.
C’est le moment pour moi de partir. Je me lève alors, le laissant seul sur le banc. Je quitte les jardins de la salle des fêtes, et je m’éloigne du bâtiment. Derrière moi, je laisse Sven et une ancienne vie dont je ne veux plus. J’avance désormais vers une nouvelle vie, plus sereine.
Pour une fois, aujourd’hui, j’ai fait le bon choix.
J’en suis certaine.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 20

Je ne cesse pas de cogiter depuis quelques jours. Je repense à cette soirée en boite. Je me suis bien amusée, du début …. à la fin. Je ne regrette rien mais je dois admettre que je ne fais pas la fière. J’ai abandonné mes amis pour batifoler avec un inconnu, trompant mon fiancé officiel… Mais lorsque je les ai recroisé, ils ont eu la politesse de faire comme s’ils avaient rien remarquer. Mais le regard de Caroline m’a montré qu’elle savait, mais qu’elle ne me dirait rien.
Je sais bien que ce que j’ai fait est mal. C’est affreux de tromper Sven avec le premier type venu, alors qu’il est l’homme le plus adorable du monde. Je m’en veux, car il ne mérite pas ça.
Mais j’avais besoin de cet écart. Je m’apprête à changer de vie, et j’avais besoin de m’évader, un instant. De me reconnecter avec ma vie actuelle, mon « moi » d’aujourd’hui. Avant d’être coincée dans un pays étranger, avec une alliance à mon doigt.

-Tu trouves ton bonheur, mon cœur ? Me demande subitement Sven, me sortant brusquement de mes pensées. Je sursaute et je lui souris pour tenter de le rassurer, et lui cacher mon trouble.
Aujourd’hui, nous sommes sortis au restaurant, avec Sven et Joy. Histoire de passer un moment en famille, et de discuter des démarches pour que ma fille et moi puissions rejoindre Sven en Suède. Tout est prêt pour le mariage, il n’y a plus qu’à préparer le déménagement. Sven me parle des excellentes écoles proche de chez lui, mais Joy fait mine de ne pas l’écouter. Elle a beau s’être faite à l’idée, elle n’est toujours pas ravie de quitter sa maison pour aller vivre ailleurs.
En levant les yeux du menu, j’aperçois Sven et Joy qui me regardent. Ils affichent la même expression sur le visage et leur ressemblance est déconcertante. Sven ne peut décidément pas nier la paternité de sa fille. Ce qui me conforte dans le choix de l’épouser : Joy est sa fille et il a le droit de vivre auprès d’elle. Notre place est auprès de lui… En… Suède… Loin d’ici.

-Euh, oui. Je vais opter pour un hot-dog, tout simple. Bredouillé-je, perturbée par le regard énamouré de Sven qui hoche la tête d’approbation. Je suis mal à l’aise. Je suis incapable de lui lancer un tel regard.

-Alors, Joy, tu es contente de venir vivre en Suède ? Tu verras, c’est un beau pays, tu devrais t’y plaire ! Lui demande Sven, après que le serveur soit venu prendre notre commande. Je suis soudainement gênée. Sven vient de poser la question qui fâche à sa fille.
-Bof ! Je suis bien ici, moi ! Répond avec franchise Joy dans un haussement d’épaules. Il fait froid en Suède en plus !
-Seulement en hiver, ce n’est pas le pôle nord non plus. Tente-t-il de la rassurer.
-Peut-être mais, pourquoi c’est pas toi qui vient vivre ici ? Après tout, t’es tout seul et nous on est deux ! Ca serait plus simple pour toi tout seul de venir ici ! Ne perd pas le nord Joy, lançant un regard implorant à son père. Visiblement, elle ne s’est pas tant faite que ça à l’idée.

-Oh Joy, ce n’est pas aussi simple. Bredouille de gêne Sven, ne sachant pas quoi répondre à sa fille.
-Papy t’a déjà expliqué, non ? Tenté-je de venir à sa rescousse, tout aussi embarrassée que lui.
-Oui, il m’a dit que c’était des histoires de travail et tout ça mais c’est nul ! Papa, si tu nous aimais, tu ne nous obligerais pas à partir ! Proteste Joy en affichant une moue boudeuse.
-Joy, ça suffit maintenant ! Nous en avons déjà discuté ! Commencé-je à m’agacer, tandis que le serveur nous sert nos plats.

Joy ne répond rien suite à ma réprimande et se contente de bouder devant son burger. Sven est gêné et me jette un regard, cherchant du soutien et du réconfort. Je ne sais pas trop quoi faire, ni quoi dire. Je prends mon verre de jus d’orange pour en avaler son contenu d’une traite. Cela ne m’aidera pas beaucoup à surmonter cette situation, mais cela me donne une contenance. Je prie pour que l’on change de sujet de conversation. Le terrain est glissant et pour être honnête, je ne peux pas donner tort à ma fille. Au fond de moi, je sais qu’elle a raison.
Mais je préfère me taire, et passer à autre chose.

Le reste du repas se passe dans le calme, sans autre incident à signaler. Sven a la présence d’esprit de changer de sujet et l’ambiance entre nous se détend. Joy ne se montre pas spécialement bavarde, et répond à peine aux questions de son père. Je lève les yeux au ciel. Elle me fatigue, à être si peu coopérative. Mais je ne peux pas lui en vouloir, moi, qui m’apprête à l’arracher au monde qu’elle a toujours connu. Je me dis qu’elle finira bien, par s’y faire.
A la fin du repas, Sven nous laisse toutes les deux. Il a un rendez-vous professionnel qu’il ne peut pas manquer. Il m’embrasse, dépose un baiser sur le haut de la tête de Joy, puis part en direction du centre-ville. Lorsque je me tourne vers ma fille, je remarque qu’elle me regarde avec insistance.
-A quoi tu penses, Joy ? Lui demandé-je, intriguée par ce qui se passe dans sa petite tête blonde.

-Pourquoi tu veux épouser Papa si tu n’es pas amoureuse ? Me répond-t-elle par une question, directe et franche. Je suis bouche-bée par sa question, qui sort de nulle part. Une question complètement incongrue de la part d’une enfant.
-D’où est-ce que tu peux bien sortir ça ? Bien sûr que j’aime ton père !
-Tu fais la même tête que Lady Vansa quand elle épouse Sir Pyrion ! S’exclame-t-elle en réponse, en citant une série de dessin animée pour enfant, une sorte de Game of Thrones dans l’espace et pour enfant. Depuis qu’elle a découvert ça, elle passe son temps devant quand elle n’a pas le nez plongé dans ses livres.
-C’est de la fiction ton dessin animé ma puce, et non la réalité. Soupiré-je alors, ne sachant pas quoi lui répondre d’autre.

-Mais Maman…
-Ma puce, la coupé-je dans son élan, je sais que tu es inquiète, à cause de notre départ en Suède et du fait que nous n’allons plus vivre avec Papy. Mais ne t’inquiète pas, tu nous as entendu avec ton père. Nous ne partirons pas directement après le mariage, nous avons d’autres choses à régler avant pour que nous puissions obtenir nos visas. Il y a encore un peu de temps, avant que nous nous envolions vers les pays nordiques. Tenté-je de la rassurer, alors que mon propre cœur se serre à l’évocation de notre départ. Et puis, nous reviendrons ici, voir Papy et Tonton.
-Mouais. Ne semble-t-elle pas convaincue. Comment pourrai-je lui en vouloir, d’avoir des doutes, quand je peine déjà à me convaincre moi-même que je prends les bonnes décisions.

e jour J est arrivé. C’est aujourd’hui que je me marie, que je vais épouser Sven. En apparence, je suis prête. J’ai revêtu ma robe de mariée, une robe blanche près du corps avec un dos nu et de la transparence. Ma mise en beauté est terminée ; mon chignon est parfait ainsi que mon maquillage.
Nous sommes arrivés sur le lieu de la cérémonie : une salle des fêtes avec une arche de mariage dans ses jardins. Nous avons tout sur place pour le mariage.
Aucun imprévu à déplorer, tout se passe comme nous l’avions prévu.
Mais je suis tout de même nerveuse. Dès que nous sommes arrivés, je me suis cachée dans les toilettes des femmes pour me rafraîchir.

Je vérifie ma coiffure, à la quête d’une imperfection à corriger. Je replace quelques mèches de cheveux. Je guette une trace de ma couleur naturelle alors que ma teinture rouge est récente. Je scrute mon maquillage, à la recherche d’une bavure de rouge à lèvre.
Tout ceci est vain, car je sais bien qu’il n’y a rien à rectifier. Je m’occupe simplement l’esprit pour penser à autre chose qu’à mon mariage.

Mon cœur bat à mille à l’heure. Je n’ai jamais été autant stressée de toute ma vie. J’essaie de donner l’impression d’être sûre de mon choix. Mais maintenant que j’y suis, que je suis sur le point de me marier, les doutes envahissent mon esprit. Je m’observe dans le miroir et j’ai l’impression de ne pas me reconnaître. Cette robe a beau être magnifique et m’aller à merveilles, ce n’est pas moi. J’ai du mal à me voir en mariée. J’ai du mal à m’imaginer m’avancer jusqu’à l’arche, et dire « oui » à Sven pour la vie.
Suis-je vraiment prête à épouser Sven ? Est-ce vraiment ce que je veux ?
Oh mon Dieu, qu’est-ce que ce que je suis en train de faire ? Ai-je pris la bonne décision ?

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 19

Après notre altercation et sa discussion avec son grand-père, Joy est venue s’excuser pour son attitude. Je lui ai souris et accepté ses excuses. Elle doit cependant mettre et débarrasser la table pendant une semaine en guise de punition, pour la forme. Elle l’a accepté sans problème avant de reprendre le cours de sa vie.
J’ai téléphoné à Caroline pour lui annoncer mon mariage avec Sven. Elle est excitée comme une puce, ravie de la nouvelle. Son enthousiasme m’a mise mal à l’aise, mais je lui ai tout de même demandé si elle voulait bien m’accompagner pour les essayages de robe de mariée. Sa joie a augmenté d’un cran et nous avons pris rapidement rendez-vous dans une boutique à Magnolia Promenade.
Ces essayages ont un goût amer. Je sais que Sven aimerait que je porte une robe blanche, et que tout le monde m’attend ainsi. Du coup, je n’essaye que ça, mais j’ai du mal à me sentir à l’aise dans le rôle de la future mariée. Caroline est motivée, me complimente sans cesse, a les yeux qui pétillent. Lorsque sa mâchoire semble se décrocher devant une nouvelle robe et que je ne me juge pas trop mal, je songe que j’ai sans doute trouvé la bonne.
Alors que je m’observe, je pense soudainement à ma mère et ma gorge se serre. J’aurais aimé qu’elle soit là. J’adore Caroline, mais je réalise que j’aurais préféré que ce soit ma mère a sa place. Aurait-elle été fière de moi ou inquiète ? Accepterait-elle mes décisions ?
Maman, es-tu fière de moi, là où tu es ?

-Tu seras la plus belle des mariées ! S’exclame Caroline alors que nous venons de sortir du magasin, après que j’ai payé ma robe. La vendeuse a pris mes mesures et je pourrai la récupérer dans quelques jours après qu’elle ait terminé de l’ajuster. Sven va en tomber à la renverse !

-Si tu le dis, je veux bien te croire. N’ai-je pas le cœur de la contredire. Il est vrai que la robe est magnifique et qu’elle me va à merveilles, mais je ne peux m’empêcher de ressentir une étrange impression. J’aime cette robe, mais pas autant que je le devrais. J’ai l’impression de jouer un rôle, de faire semblant, et de ne pas mériter cette tenue, cette magnifique robe blanche. J’ai l’impression d’être quelqu’un d’autre.
Je remarque que Caroline me regarde avec suspicion. Je tente de donner le change en affichant un immense sourire.

-On va s’installer sur une terrasse ? J’ai comme l’impression que tu as besoin de parler !
-Si tu veux. Accepté-je, sans hésiter une seconde.

Nous marchons un peu le long de la promenade jusqu’à nous arrêter à un stand. Nous commandons et nous allons nous installer à une table le temps que notre commande soit prête. Je n’ose pas tellement parler, mais je sens le regard interrogateur de ma meilleure amie peser sur moi.
-J’ai l’impression que quelque chose ne va pas. M’avoue-t-elle au bout de quelques minutes de silence. Quand tu m’as annoncé ton mariage et que tu m’as demandé de t’accompagner, je m’attendais à te voir plus joyeuse et plus excitée. Tu n’es pas heureuse d’épouser Sven ?
Je déglutis de gêne. Je dois avouer que je ne sais absolument pas quoi lui répondre. Dans son regard, je vois bien que je ne corresponds pas à la future mariée classique, bien au contraire. Je dois donner davantage l’impression d’être une promise obligée d’épouser un bon parti pour le bien de sa famille. 
 

Je baisse la tête et je scrute nerveusement mes mains. Je ne sais pas quoi lui répondre. Un serveur arrive à notre table et nous sert nos boissons dans le silence le plus total. Caroline continue de me fixer alors que je cherche toujours mes mots pour lui exprimer mes sentiments.
-Rosie, tu peux tout me dire tu sais. Finit par soupirer ma meilleure amie, après que le serveur se soit éloigné. Il y a quelque chose qui a changé avec Sven ? Au lycée, tu l’aimais comme une dingue et je me souviens encore comment tu étais anéantie quand il est parti. Vous deux, cela me semblait une évidence, surtout quand il est revenu et qu’il a accepté sa fille. Pourquoi ne sembles-tu pas heureuse ?
-C’est … c’est difficile à expliquer. Soufflé-je en réponse, réchauffant mes mains en les posant autour de ma tasse de café. Tout est étrange tu sais… Je dois t’avouer ce n’est plus comme au lycée, j’ai fini par créer ma vie, ici, sans lui… J’ai l’impression que tout va trop vite, que je n’ai plus aucun contrôle sur rien.
-Mais… Mais pourquoi tu as accepté de l’épouser alors ? Si tu voulais prendre ton temps, Sven aurait compris. Il n’y a pas plus compréhensif que lui.

-Certes… Mais l’absence de Sven pèse sur Joy, elle a du mal à s’attacher à lui. Soupiré-je, dépitée par la situation. Alors, quitte à faire quelque chose qui finirait peut-être par arriver tôt ou tard, autant le faire maintenant pour que nous puissions nous rapprocher et permettre à Joy de voir plus souvent son père.
-Tu es vraiment sûre de toi ? S’inquiète subitement Caroline. C’est tout à ton honneur de vouloir tout faire pour que ta fille se rapproche de son père, mais…
-Mais ?
-Mais il ne faudrait pas que tu t’oublies dans l’histoire. Joy n’a pas besoin d’une mère malheureuse, tu sais…
-Je sais… Mais… C’est la seule solution…
-Si tu le dis…. Mais…Tu l’aimes toujours, Sven ? Me demande-t-elle sur un ton suspicieux. Je m’apprête à répondre, mais aucun son ne parvient à sortir de ma bouche.

Les jours suivants, je suis tellement occupée avec la préparation du mariage que je n’ai même plus le temps de réfléchir. Le printemps commence à montrer le bout de son nez, mais je ne fais plus attention à la neige qui fond et au temps qui se réchauffe. Je ne vois que la date qui se rapproche. J’ai ma gorge qui se serre de plus en plus et mon stress ne cesse d’augmenter. J’essaie de penser à autre chose, espérant que mes craintes finiront par se dissiper.
Un jour, Caroline me propose de sortir le soir même, en boite, avec quelques amis. Il faut bien enterrer ma vie de jeune fille, comme elle le dit si bien. J’ai ri nerveusement, mais j’ai accepté sans hésiter. Sortir me fera du bien.

Et je dois avouer qu’effectivement, cela me fait du bien. Retrouver mes amis, danser, profiter de l’ambiance festive me permet de penser à autre chose. Le jus de fruit coule à flot, et je ne pense plus au mariage qui approche. Sven et mes engagements s’envolent de mon esprit et je profite de cette liberté retrouvée.
Ce soir, je ne pense plus à mes fiançailles et à mon mariage. Ce soir, j’ai le sentiment d’être une jeune femme comme les autres, qui peut s’amuser sans culpabiliser.

Je me lâche sur la piste de danse. Le jus de fruit me monte à la tête. Mes barrières disparaissent et je parviens à me détendre, à m’amuser. J’aperçois Manon au loin, qui ne tarde pas à nous rejoindre. Pierre est là, lui aussi, mais il est à la recherche de sa prochaine copine de couette. Enfin je crois. Le connaissant, cela ne m’étonnerait pas. Mais je dois dire que, plus la soirée passe, moins je fais attention aux gens qui m’entourent. J’ai juste envie de me sentir libre ce soir. De profiter de cette soirée, comme si c’était la dernière avant d’être rattrapée par mes obligations.

Je ris. Je ris sans cesse et cela fait un bien fou. J’ai l’impression que cela fait une éternité que je n’ai pas ri autant. En riant, je me libère de toutes mes tensions accumulées ces dernières semaines.
Je deviens insouciante. J’oublie le monde au-dehors de la boite de nuit. J’oublie que je suis une mère, que je suis fiancée, les raisons qui me poussent à me marier.
Ce soir, je suis juste Rosae Opaline, une jeune femme comme les autres, sans histoire ni tracas. Et cela me fait tellement du bien !

La boite est bondée. La fête bat son plein et je m’amuse. Un homme m’aborde et commence à me draguer. Je me prête volontiers au jeu. Je m’amuse à le séduire. Subitement, je me sens désirable, désirée. Cela m’amuse de plaire. J’ai envie de plaire à cet inconnu, je rentre dans son jeu avec plaisir.
Dans ses yeux, je ne suis pas une mère de famille, encore moins fiancée sur le point de me marier.

Cette idée me plait et je me fais du bien. Je suis toute seule ce soir et j’ai envie d’en profiter. Je n’ai, certes, plus les idées très claires, mais ce n’est pas grave. Mes actes sont répréhensibles, c’est indéniable. Je suis fiancée, je ne devrais pas faire ça, et pourtant … Embrasser cet inconnu me fait du bien. Cela me libère.
Je ne suis plus une mère, une fiancée… Pour une fois, je me sens femme. Une femme libérée de ses obligations, pour une fois.

Je ne connais pas son nom. Je ne sais même pas s’il a essayé de me le dire au cours de la soirée. Je ne sais plus où sont mes amis. Mais qu’importe, mes pensées sont ailleurs. J’ai envie de tout envoyer balader ce soir. C’est mon enterrement de vie de jeune fille après tout, si je ne profite pas maintenant, quand le ferais-je ? Certainement pas quand je serai enchaînée à un homme dans un pays inconnu.
Alors ce soir, au diable les obligations. Au diable les responsabilités. J’ai envie d’être déraisonnable. J’ai envie d’être désirable.

Ce n’est pas une bonne chose, ce que j’ai fait. Je ne le conseillerais pas. Je devrais assumer les conséquences, et vivre avec cette tromperie sur ma conscience. Ce n’est pas juste envers Sven, je le sais. Mais en cet instant, il s’agit bien de ma dernière préoccupation.
Demain, il faudra que j’assume. Mais demain.
Dans tous les cas, je ne regrette rien.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 18

Ce matin, j’ai l’impression d’avoir une g.ueule de bois. J’ai l’esprit dans le brouillard et j’ai du mal à croire que la soirée de la veille s’est réellement produite.
J’ai fait un rêve étrange. J’étais au restaurant avec Sven, il a mis un genou à terre pour me demander en mariage et j’ai dit oui. Une situation complètement folle.
Puis je regarde ma main, je vois la bague. Un œil sur mon téléphone avec un message énamouré de Sven. Mon cœur se serre, je me souviens. Ce n’était pas un rêve, mais bien la réalité.
Me voilà fiancée à Sven. Je m’assois sur le bord du lit et je me prends ma tête entre mes mains. Les souvenirs de la veille me reviennent et je me rappelle de la joie et l’empressement de Sven à propos du mariage. Il a hâte que nous soyons réuni, que nous formions notre famille. Il a proposé de nous marier au printemps prochain. La tête ailleurs, j’ai dit oui. Le printemps, c’est bientôt, ça va arriver vite, avant que j’ai le temps de souffler. Le départ pour la Suède sera prévue peu de temps après. Ce qui laisse, très peu de temps pour tout organiser.
Mais qu’est-ce que j’ai fait…

Je me sens perdue. Deux jours se sont passés et je n’ai toujours rien dit à personne. J’ai l’impression d’errer, d’avancer sans vraiment m’impliquer dans la réalité. Quand Sven m’appelle, je dis amen à tout ce qu’il dit pour ne pas le vexer. J’ai la tête ailleurs et je n’ai absolument rien d’une jeune femme qui s’apprête à se marier.
Aujourd’hui, il fait un froid glacial dehors et je profite du feu de cheminée pour me réchauffer. Mon regard se perd dans les flammes tandis que mon esprit s’évade ailleurs. Je me pose tellement de questions quant à mon avenir… Ai-je vraiment envie de partir vivre en Suède ? Ai-je vraiment envie d’épouser Sven ? Je n’en ai aucune idée… Ma seule certitude est que cela permettrait d’offrir une famille à ma fille, notre fille… Qui pourrait enfin vivre avec son père.

Tout va bien ma grande ? Me demande subitement mon père, me faisant sursauter. Je ne l’ai pas entendu s’approcher de moi.
-Oui, tout va bien Papa… Lui soufflé-je en réponse, loin d’être convaincante.
-Tu es sûre ? N’est évidemment pas dupe Papa. Rosie, je vois bien que quelque chose te tracasse. Ca fait deux jours que tu as la tête ailleurs…. Cela m’inquiète tu sais. M’avoue-t-il finalement, ce qui me serre le cœur. Papa se fait déjà suffisamment de soucis comme ça pour moi et Joy, et j’ai bien conscience que je lui en rajoute une couche. Me murer dans le silence ne fera qu’accentuer ses inquiétudes et je n’ai pas envie de lui causer davantage de soucis. Il n’a pas besoin de ça…

-Ce sont mes problèmes Papa, je n’ai pas envie de t’embêter avec mes bêtises. Lui soupiré-je en me tournant vers lui, essayant de gagner du temps. J’ignore comment il va réagir à l’annonce de mon mariage. J’ai peur d’être une énième déception pour lui… J’aimerais tellement rendre mon père fier, mais j’ai l’impression de faire tout l’inverse….
-Tu ne m’embêtes pas ma puce. Et tu sais bien que tu peux tout me dire. Tente-t-il de me rassurer en m’offrant un sourire tendre. Je suis ton père, c’est mon rôle d’être à ton écoute quand quelque chose te tracasse.
-J’ai peur de te décevoir …
-Tu ne me décevras ma puce, je te le garantis. Mais que se passe-t-il, Rosie?
-Sven m’a demandé de l’épouser et de partir vivre avec lui et avec Joy… Et… j’ai dit oui. Lui annoncé-je, hésitante, terrifiée par la réaction de mon père.

-Pardon ?! S’exclame-t-il, surpris, me jetant un regard choqué, comme s’il ne me croyait pas. Mais, depuis quand ?
-Il m’a demandé il y a deux jours, quand nous sommes sortis au restaurant… Lui dis-je, honteuse, ayant le sentiment d’avoir fait une bêtise. Je suis comme une enfant prise en faute, attendant de se faire gronder par son père en colère.
Mais un silence s’installe entre nous. Papa m’observe sans rien dire, comme s’il essayait d’assimiler l’information. Je le vois secouer subitement la tête.

-Mais… C’est ce que tu veux ? C’est prévu pour quand ?
-Au printemps… C’est prévu pour le printemps… Lui réponds-je, en omettant volontairement sa première question. Je soupire finalement devant son regard suspicieux, et je finis par m’asseoir sur le canapé. Il me rejoint, s’installant sur le fauteuil.

-Tu m’en veux ? M’inquiété-je alors, face à son silence.
-Bien sûr que non ! Me rassure-t-il aussitôt, choqué que je puisse penser cela. Je suis simplement surpris… et inquiet. Tout va si vite et je me demande si ce mariage, c’est vraiment ce que tu veux. D’autant plus que tu as attendu deux jours pour m’en parler… Je ne veux que ton bonheur, Rosie. Si te marier avec Sven te rend heureuse, alors je suis ravi pour toi et je te soutiens sans problème. Mais, je t’avoue que ton attitude me laisse penser le contraire.
-C’est que… Que je suis complètement perdue, Papa.
-Alors, pourquoi tu as accepté de l’épouser ? Si ce jeune homme est quelqu’un de bien, qui t’aime vraiment, il aurait compris que tu ais besoin de réfléchir…
-J’ai surtout pensé à Joy, pour tout t’avouer. Lui expliqué-je alors, avec plus d’assurance. Elle a besoin de son père, et la situation est difficile pour elle… Épouser Sven, et partir vivre avec lui en Suède, nous permettrait de former une famille …
-C’est tout à ton honneur, de penser à ta fille … Mais toi ? Est-ce que tu as envie de partir vivre en Suède ? Et rien ne t’oblige à épouser Sven toute suite, tu peux partir et attendre … Ou l’inverse. M’interroge Papa, dans l’incompréhension face à la situation qui se présente à nous.

-Le mariage… C’est plus simple d’un point de vue migratoire. Soupiré-je, dépitée. Joy peut vivre en Suède sans problème puisqu’elle est la fille de Sven, mais moi… Et Sven a une place en or dans une maison d’édition et tu sais aussi bien que moi que l’édition est un milieu bouché. C’est très difficile de trouver du travail dans une maison d’édition… Alors que l’associatif… C’est plus simple que ce soit moi qui parte plutôt que lui. Finis-je de lui expliquer, consciente des enjeux. J’ai passé deux jours à retourner la situation dans ma tête, ne trouvant aucune autre solution. Je n’ai pas le choix : en épousant Sven, je serai obligée de tout quitter. Y compris mon travail et mon père.
-Tu sembles bien renseignée… Alors, pourquoi es-tu si perdue ?
-Je… Je suis perdue dans ce que je ressens Papa… Et… Et Sven semble avoir tellement de rêves, de projets, pour nous… Je t’avoue que cela me fait un peu peur … Il veut même d’autres enfants…
-Tu ne lui as pas dit que tu es devenue stérile à la naissance de Joy ? Semble surpris mon père, alors que je me mords la lèvre inférieur.
-Je… Je n’ai pas osé… j’ai eu peur… Je sais pas… de le décevoir…. Je l’ai déjà privé des premières années de sa fille… Alors, lui dire qu’il n’aura pas l’occasion de connaitre ça… Je suis déjà perturbée par ce mariage, c’est au-dessus de mes forces d’affronter cette déception pour le moment.
-Il faudra bien que tu lui dises, à un moment donné. Me signale-t-il en secouant la tête.
Je sais bien… Admis-je dans un murmure. J’ai peur de te laisser seul, ici… Avoué-je d’une petite voix. J’ai l’impression de t’abandonner.
-Oh ma puce… Semble-t-il touché par mon aveu. Je ne veux pas entrer en ligne de compte dans ta décision. Je ne veux surtout pas être un poids pour toi. C’est dans l’ordre des choses que tu quittes la maison et que tu vives ta propre vie. Je ne veux pas que tu renonces au bonheur juste pour t’occuper de moi. Si cela peut te rassurer, si tu pars en Suède avec Joy, je partirai probablement à Brindleton Bay pour me rapprocher de ton frère. Donc tu vois, je ne serai pas tout seul. La seule chose dont je veux être sûr, c’est que tu sois certaine de ton choix.
-Je… Je crois que je le suis, Papa. C’est ce qu’il y a de mieux pour tout le monde…… Que j’épouse Sven et qu’on aille vivre avec lui, avec Joy, en Suède…
-QUOI ?! S’écrie subitement une voix enfantine, nous faisant sursauter avec Papa.

Je me retourne aussitôt et je blanchis à vue d’œil en voyant ma fille. Je ne l’ai pas entendu descendre les escaliers pour nous rejoindre au salon. Je me sens terriblement mal, réalisant qu’elle a entendu notre conversation. Qu’elle a appris de la plus mauvaise des manières notre départ pour la Suède, et notre mariage avec son père. Et, au vue des éclairs qu’elle me lance, la nouvelle est loin de lui plaire.
-Ma chérie… Soufflé-je, mal à l’aise, ne sachant pas quoi lui dire. Je n’ai absolument pas réfléchi à la manière de lui annoncer cela, et encore moins dans un tel contexte.
-Maman, c’est pas vrai qu’on va partir en Suède ? M’interroge-t-elle, les yeux plein d’espoir. C’est pas vrai, hein ? Et que tu vas épouser Papa ?
-Ma chérie… Si, c’est la vérité …
-Et Papy ?
-Sa vie est ici ma puce. Lui réponds-je, au comble du malaise. La conversation est sur une pente glissante, très glissante, dans un équilibre plus que précaire.
-La nôtre aussi ! Je ne veux pas partir en Suède ! Se met-elle à crier, en colère. Je suis assez décontenancée. Je ne l’ai jamais vu aussi énervée, elle qui d’habitude, est si calme…

-Joy, chérie, ne t’énerve pas comme ça. Tu n’es pas contente que nous formions une famille, avec ton père ? Tenté-je de comprendre, lui parlant avec une voix calme. Je me lève doucement du canapé, pour ensuite m’avancer vers elle. J’avance doucement, comme si je m’apprêtais à désamorcer une bombe.
-Non ! Moi, je veux rester avec Papy ! Refuse-t-elle aussitôt avec véhémence. Ses yeux bleus reflètent sa colère et me fixent avec hargne.
-Ca, Joy, ça ne va pas être possible. Après le mariage, nous allons partir toutes les deux. Ta place est avec tes parents… Et tu seras avec ton papa, tu n’auras plus à parler avec lui sur Skype.
-Je m’en fiche de ça ! Je préfère parler avec lui sur l’ordinateur que de quitter Papy ! Je veux rester avec Papy ! Je m’en fiche de Papa ! Et tu peux pas me forcer à partir d’ici !

-Ca suffit maintenant, Joy ! Commencé-je à perdre patience face à la crise de ma fille. Je suis ta mère et tu me parles sur un autre ton !
-T’es pas une maman ! T’es jamais là et tu t’occupes jamais de moi ! Réplique Joy, toujours plus en colère, me balançant ses mots comme elle lancerait des poignarts en plein cœur. J’en hoquette de douleur. Il n’y a que Papy qui m’aime ici ! C’est de ta faute si j’ai jamais eu de Papa d’abord ! Maintenant c’est trop tard, j’en veux pas ! Je veux rester avec Papy ! Vous, vous êtes nuls !
-Joy, tu vas trop loin. Va dans ta chambre et tu n’en sortiras pas jusqu’à nouvel ordre ! M’énervé-je à mon tour, blessée par les mots de ma fille. Mais comme on dit, il n’y a que la vérité qui blesse…
-Je te déteste !! Crie-t-elle une ultime fois, avant de monter les escaliers en courant. Quelques secondes plus tard, j’entends la porte de sa chambre claquer avec violence.
Dépitée, au bord des larmes, je me laisse tomber sur une chaise. Je suis sonnée par cette dispute virulente et je suis profondément triste. Malgré notre relation qui est loin d’être parfaite, jamais nous nous sommes disputées ainsi avec Joy. Elle qui est si calme et si douce, n’a jamais été haineuse à mon égard.
-Ne t’inquiète pas, Joy ne pensait pas ce qu’elle disait. Elle a parlé sur le coup de la colère. Tente me rassurer mon père, qui a assisté à la scène, impuissant. Il s’approche de moi et pose sa main sur mon épaule pour me soutenir.
-Je ne sais pas… Il y a du vrai dans ce qu’elle a dit. Je suis une mère épouvantable et c’est de ma faute si elle n’a pas connu son père plus tôt. Soupiré-je, dépassée par la situation. Et maintenant, grâce à moi, on vient de se fâcher.
-C’est une enfant, Rosie, elle fait des colères, c’est normal. Elle est frustrée car la situation ne lui convient pas et elle s’énerve. On va attendre quelques minutes qu’elle se calme, et j’irai lui parler. D’accord ? Me propose-t-il ensuite, avant de me prendre dans ses bras pour me consoler. Incapable de répondre, j’hoche simplement la tête, profitant de l’étreinte rassurante de mon père.

Quelques minutes plus tard, Papa se rend à l’étage pour rejoindre Joy dans sa chambre. Je le suis également, mais je reste sur le palier. Je me contenterai d’écouter la conversation au travers de la porte. Papa toque doucement à la porte, mais il n’obtient aucune réponse. Il entre tout de même à l’intérieur, et il s’installe sur la banquette au pied du lit. Joy est allongée sur son lit, boudant dans son coin, mais ne réagit pas à l’arrivée de son grand-père dans la pièce.
-Comment tu te sens, Joy ? Finit-il par lui demander, sachant qu’elle ne lui parlera pas d’elle-même.
-Je veux être tranquille, Papy. Finit-elle par soupirer après un silence. Le ton de sa voix montre que la colère est maintenant retombée.
-Tu n’as pas été très gentille avec ta maman, tout à l’heure. Lui signale-t-il avec calme. Elle est triste, après votre dispute.
-Mais elle veut me forcer à vivre en Suède. Se défend-t-elle, sans bouger d’un pouce.

-Parce que tu es sa fille, et qu’elle veut ton bonheur. Me défend-t-il, sans perdre sa patience. Il est d’un calme olympien, je l’envie de parvenir à rester ainsi. Ta place est auprès d’elle, et elle juge que tu as besoin de vivre également avec ton père.
-Elle n’a jamais été là pour moi. Il n’y a que toi et Mamie qui vous êtes occupés de moi.
-C’était difficile pour elle, à l’époque. Tu sais, elle venait d’avoir 18 ans quand elle est tombée enceinte, et ton père venait de la quitter. Et ta naissance a été compliquée à vivre pour elle.
-Comment ça ? Semble-t-elle intriguée, en redressant la tête pour regarder son grand-père.
-Il y a eu des complications, au moment de ta naissance. Lui explique-t-il en faisant attention à utiliser des mots simples, afin que Joy puisse comprendre. Pour la sauver, et pour te sauver toi, le médecin a du prendre une importante décision. Et aujourd’hui, ta mère ne peut plus avoir d’enfant. Cette nouvelle a été une goutte d’eau qui a fait déborder le vase, et elle a perdu pied. Il a fallu qu’elle prenne le temps de se reconstruire, avant qu’elle puisse s’occuper de toi. Tu comprends ?
-Oui… Je crois. Bredouille-t-elle en s’asseyant sur le bord du lit. Mais je n’ai pas envie de vivre en Suède. Je veux rester avec toi.

Son grand-père n’attend pas une seconde pour quitter la banquette et aller s’asseoir à côté de sa petite-fille. Touchée par l’amour qu’elle lui porte, il ne tarde pas à la prendre dans ses bras et la serrer contre lui.
-Ca me fait plaisir que tu veuilles rester avec moi, ma puce. Lui avoue-t-il alors. Mais ta place est auprès de ta mère. C’est peut-être dur à envisager pour toi, mais je ne suis pas éternel. Un jour, j’irai rejoindre Mamie au ciel et là, tu auras besoin de tes parents.
-Je veux pas que tu ailles au ciel, moi. Marmonne Joy d’une petite voix.
-Oh je ne suis pas pressé, mais cela finira par arriver. La vie est ainsi ma puce. Mais je ne veux pas que tu t’en fasses pour moi. C’est juste pour que tu comprennes pourquoi tu vas partir avec ta mère.

C’est pas juste. Pourquoi c’est pas Papa qui vient vivre ici ? Soupire alors Joy.
-C’est compliqué ma puce, ce sont des histoires d’adultes. Mais ce n’est pas parce que vous êtes en Suède que nous nous verrons plus. Vous pourrez revenir ici pour les vacances et je viendrai vous voir aussi.
-Tu promets ?
-Promis juré. Je vous aime trop pour me passer de vous.
-Papy ? L’interpelle-t-elle d’une petite voix, après un silence où elle est restée dans ses bras.
-Oui Joy ?
-C’est pas vrai ce que j’ai dit à Maman. C’est ma maman et je la déteste pas.
-Je sais ma puce. Mais il va falloir que tu ailles t’excuser car tu as fait du mal à ta maman. Il faut toujours faire attention avec les mots, ils peuvent blesser bien plus que les coups.
-Tu crois qu’elle me pardonnera ?
-J’en suis sûr. Une maman, ça pardonne toujours.

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 17

Après la fête de Noël, le temps reprend doucement son cours. Joy n’a pas quitté son kit d’apprentis chimiste et s’amuse à montrer les résultats de ses expériences à son grand-père. Cela amuse Papa de la voir ainsi, et je pense qu’elle doit lui rappeler Maman. C’était pas rare qu’elle nous parle de ses expériences à son travail, et il est vrai que l’on retrouve la même passion dans le son de sa voix.
Aujourd’hui, Joy fait d’ailleurs ses premiers pas à l’école. J’ai une boule au ventre en la voyant partir ce matin. Elle lève les yeux au ciel face à mes recommandations et elle part en vitesse. Lorsque je rejoins Papa sur le canapé, je remarque sans peine son air amusé.

-Qu’est-ce qui t’amuse au juste ?
-Toi, on dirait une mère poule. Me répond-t-il en souriant. Et puis, tu étais comme elle à son âge. Mais pas pour les mêmes raisons.
-Comment ça ?
-Toi, tu voulais aller à l’école pour te faire des amis alors que Joy veut apprendre de nouvelles choses. Me précise-t-il.
-Sans doute …. J’espère juste que tout va bien se passer pour elle ….
-Pourquoi voudrais-tu que cela se passe mal ?

-Parce que les enfants ne sont pas forcément tendres entre eux, surtout envers ceux qui sont différents… Soupiré-je, inquiète pour ma fille. Ma fibre maternelle laisse peut-être à désirer, mais j’ai tout de même envie de protéger Joy. Imaginer que des enfants puissent se moquer d’elle à cause de mes erreurs me retourne l’estomac.
-Tu n’as pas à t’en vouloir, tu sais. Comprend aisément mon père. Tu n’as pas choisi cette situation et tu ne peux pas contrôler ce qui va se passer à l’école. Mais… dis-toi que Joy ne se retrouvera pas dans une situation délicate, comme une enfant qui ne connaîtrait pas son père. Si l’instituteur demande qui sont ses parents, Joy saura répondre. A priori, les autres enfants ne remarqueront pas toute suite que notre situation familiale diffèrent de la leur. Et d’ici là, elle se sera fait des amis et elle ne sera pas toute seule en cas d’éventuelles moqueries.
-Tu as peut-être raison … Soufflé-je alors que la sonnette de la porte d’entrée se fait entendre.
-Ah, ça doit être ton frère. Il devait passer. M’informe mon père en se levant du canapé, tandis que je me pers dans mes pensées.
J’essaie de me dire que mon père n’a sans doute pas tort. Mais, je ne saurais l’expliquer, l’inquiétude subsiste en moi, comme si j’avais un mauvais pressentiment. Je me mets à regarder le plafond, priant pour que cette première journée d’école se passe à merveilles pour ma fille.

Papa passe un moment à discuter avec Ryan, tandis que je pars vaquer à mes occupations. Bien que la période des fêtes de fin d’années est plutôt tranquille, j’ai plusieurs événements à préparer pour la nouvelle année. Je suis même sortie faire un tour, espérant trouver l’inspiration pour trouver des thématiques afin d’attirer du monde et de susciter des dons.
A mon retour, Ryan est toujours là, et j’en profite pour passer un peu de temps avec lui.
-Enfin tu sors de ta cachette ! S’en amuse-t-il alors que je m’installe à côté de lui sur le canapé.
-Y’en a qui bosse, que veux-tu ! Tu devrais essayer ! M’empressé-je de répliquer sur le ton de la taquinerie.
-Papa m’a dit que tu t’inquiètes pour l’entrée à l’école de Joy. Ca va aller ?
-Je n’ai pas trop le choix… J’ai hâte qu’elle rentre pour être sûre que tout s’est bien passé. Lui avoué-je alors.
-Ca va aller, j’en suis sûr. Et estime-toi heureuse, tu n’as qu’une fille. Imagine-nous, avec trois enfants qui entrent en même temps à l’école !
-Oui, mais au moins, tes triplés pouvaient compter les uns sur les autres.
-C’est pas faux. Mais Joy a de la ressource, ça compte pour trois !

Après une journée à m’inquiéter pour elle, Joy finit par rentrer de l’école. Sans attendre, elle ouvre son cahier et s’installe à table pour commencer ses devoirs. Elle est concentrée sur ce qu’elle fait, et ne semble pas particulièrement perturbée. Curieuse, et ayant besoin d’être rassurée, je m’installe avec elle à table.
-Ca s’est bien passé aujourd’hui ? Lui demandé-je alors, sans passer par quatre chemins.
-Oui ça a été. Me répond-t-elle simplement, concentrée sur ses exercices.
-Tu… t’es faite des amis ?
-Pas vraiment, non. Me dit-elle en haussant les épaules avec nonchalance. Ils voulaient tous jouer dehors à la neige. J’aime pas le froid, j’ai préféré la bibliothèque. Il y a beaucoup de livres dedans, c’est fou ! Et la bibliothécaire est super gentille, elle m’a dit que je pouvais venir quand je voulais et qu’elle pourrait me conseiller des livres !
-Ah … Euh, c’est chouette … Soufflé-je, ne sachant pas tellement quoi penser des réponses de ma fille. D’un côté, elle ne semble pas avoir passé une mauvaise journée mais de l’autre, j’aimerais qu’elle puisse se faire des amis. Mais les autres enfants ont été gentils avec toi ?
-Bah… Oui mais ils voulaient que jouer, moi je voulais lire au chaud. Mais c’est pas leur truc. Mais je m’en fiche, ils font ce qu’ils veulent.
-Mais, c’est important d’avoir des amis, tu sais….
-Mais je vais aller jouer avec eux si j’ai pas envie de jouer au ballon. Marmonne-t-elle en secouant la tête. Et Maman, j’ai des devoirs à faire. Ca m’intéresse, j’ai envie d’apprendre plein de trucs !
-Bon, je te laisse tranquille alors… Soupiré-je avant de me lever de table pour la laisser travailler, perplexe suite à cette discussion.
Je ne sais pas tellement quoi en penser, puis je tente de me raisonner en me rappelant que ce n’était que son premier jour à l’école. Puis, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le prends aussitôt pour regarder qui m’a envoyé un message, constatant aussitôt qu’il s’agit de Sven.
-Joy, ma puce, ton père souhaite te parler tout à l’heure. L’informé-je alors. Quand tu auras fini tes devoirs, tu pourras aller sur Skype discuter avec lui.
-C’est obligé ? J’ai commencé un livre et j’aimerai le finir. Soupire-t-elle alors.
-Oui ma puce. Il veut savoir comment s’est passé ta première journée d’école.
-Bon, d’accord.

Bon gré mal gré, Joy consent à aller dans le bureau, discuter un peu avec son père par internet. Depuis qu’il est rentré en Suède et que Joy est au courant qu’il est son père, il demande régulièrement à parler avec elle sur Skype, afin de pouvoir faire sa connaissance et être présent dans la vie de sa fille. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien. De toute façon, nous n’avons pas de meilleures solutions.
Au début, Joy était plus motivée à parler avec son père, mais très vite, elle s’est lassée de ses discussions. Alors qu’elle acceptait volontiers de parler avec Sven au départ, maintenant, j’ai plus l’impression qu’elle lui parle parce qu’elle est obligée. Cela me sert le cœur, car je ne comprends pas pourquoi elle réagit ainsi. J’ai essayé de lui en parler, mais sans succès. Elle assure que tout va bien et que je me fais des idées.
-Oui Papa, ça a été ma journée… Assure-t-elle à son père, après qu’il lui ait demandé si cela s’était bien passé à l’école.
-Et les autres enfants, ils sont gentils ? L’interroge-t-il ensuite.
-Ouais… Mais ils passent leur temps à jouer dehors, c’est nul.
-Pourquoi tu ne vas pas avec eux ?
-Parce que c’est nul. Moi, je préfère les livres. Et dehors, il fait froid.
-Oh, on voit que tu n’as jamais mis les pieds en Suède. Je suis sûr qu’il fait plus chaud chez toi qu’ici.
-Ouais, peut-être. Hausse-t-elle simplement les épaules. Papa, y’a Papy qui m’a promis de m’apprendre à jouer aux échecs ! Comme ça, je pourrai être aussi forte que Mamie !
-Ah c’est super ça ! Comme ça, tu pourras m’apprendre quand je viendrai, et on jouera tous les deux !
-Ouais… Mais pour ça, faudrait déjà que Papy puisse m’apprendre à y jouer…
-Oh je vois… Je vais te laisser dans ce cas. Comprend-t-il alors, visiblement déçu de voir que Joy ne souhaite pas poursuivre la conversation. Observant la scène avec dépit, je secoue la tête, déçue de l’attitude de Joy. J’étais content de parler un peu avec toi.
-Oui, moi aussi. A bientôt Papa ! S’exclame-t-elle avant de se lever de la chaise de bureau pour sortir rapidement de la pièce. Dépitée, je ne tarde pas à prendre sa place pour m’excuser auprès de Sven. Il semble déçu de ne pas avoir pu parler davantage avec sa fille, mais tente de se montrer compréhensif. Il est vrai que c’est sans doute plus intéressant pour elle de jouer avec son grand-père que de parler avec son père par ordinateurs interposés…

Après avoir abandonné la conversation avec son père, Joy rejoint rapidement son grand-père à l’extérieur, prête à apprendre à jouer aux échecs. Papa semble surpris de la voir si vite arriver, mais ne dit rien. Il se contente d’apprendre les règles de base du jeu et de commencer une partie avec sa petite-fille.
-Je ne m’attendais pas à te voir arrivée si vite. Lui dit-il tout de même au bout de plusieurs minutes. Je croyais que tu devais parler avec ton père.
-Oui, mais moi j’avais envie de jouer aux échecs. Avoue-t-elle en haussant les épaules.
-Joy, ce n’est pas très gentil pour lui. La réprimande-t-il, tout en conservant un ton normal et calme. C’est ton père, et il veut faire partie de ta vie. C’est normal qu’il veuille te parler.
-Il fait ça parce qu’il se sent obligé. Hausse-t-elle les épaules en réponse. Il sait qu’il a une fille alors il veut me parler pour faire semblant qu’il s’occupe de moi.
-Joy, tu peux pas dire ça. Tu sais bien que la situation est plus compliquée que ça.
-Ouais, peut-être. Marmonne-t-elle, en se concentrant sur l’échiquier. En attendant, il vient jamais ici.
-C’est… compliqué ma puce. La Suède, c’est loin d’ici et il ne peut pas …
-Quand on veut, on peut. Se contente-t-elle de répliquer. Échec et mat Papy !!
-Oh… J’ai rien vu venir… Bravo ma grande !

Suite à sa conversation avec Joy à propos de Sven, Papa m’en a évidemment parlé. Vraisemblablement, Joy en veut à son père de ne pas être plus présent, physiquement, auprès de nous. Il est difficile de lui en vouloir : comment peut-elle créer des liens avec son père, sans passer véritablement de temps avec lui ? Il ne m’a pas fallu plus de temps pour en parler avec lui, pour qu’il sache ce qu’il se passe dans la tête de sa fille et que nous essayons de trouver ensemble une solution plus adaptée. Il m’a promis d’y réfléchir et m’a annoncé avoir posé des jours de congés : bientôt, il sera de retour parmi nous !
Et son retour n’a pas tardé : nous n’avons pas encore fêté la nouvelle année que Sven est de nouveau à Willow Creek. Il n’a pas reçu un accueil chaleureux de la part de Joy, mais nous restons optimiste. Nous pensons qu’il faut lui laisser le temps de s’attacher à son père.
Ce soir, Sven m’a proposé d’aller au restaurant, tous les deux. Cela nous permettra de discuter de notre avenir, à tous les trois. Il m’a semblé bien sérieux d’un coup, mais je n’ai pas pu refuser. Il s’agit, après tout, du but principal de sa visite.
Une fois devant le restaurant, je suis surprise de son choix : nous sommes dans le restaurant de Magnolia Promenade, juste à côté du cinéma. Celui où nous sommes allés il y a quelques années. Celui qui a vu les débuts de notre histoire. Je suis émue en repensant à ces souvenirs, mais si je me rappelle bien, la nourriture était … particulière. C’est surprenant qu’il ait voulu revenir ici.

En vérité, pour être tout à fait honnête, je dois avouer que je ne suis pas particulièrement à l’aise face à lui, en tête à tête. Je vois bien ses regards plein d’amour et d’espoirs. Ce sont des regards que je connais bien : il me regardait de la même façon lorsque nous étions adolescents. A l’époque, ils me provoquaient des papillons dans le ventre. Aujourd’hui, ils me mettent mal à l’aise. Je tente de faire bonne figure en examinant le menu, cherchant désespérément un plat qui me fasse envie, parmi tout ceux au nom bien étrange.
-Tu trouves ton bonheur ? Me demande alors Sven, en m’affichant un merveilleux sourire. Je tente de le lui rendre, mais j’ai l’impression d’être ridicule.
-Je ne sais pas trop… J’ai bien peur que ce soit toujours bizarre que dans mon souvenir.
-Laisse-leur une chance : peut-être que leurs plats salés sont meilleurs que leurs desserts !
-Espérons. Lui souris-je, pour ensuite passer commande auprès du serveur.

La discussion poursuit son cours, Sven se révélant être très bavard. Il m’interroge sur mon travail et parle avec passion du sien. De temps à autre, il me parle de sa famille, de ses amis. Visiblement, sa vie en Suède est palpitante et il n’a pas le temps de s’ennuyer. Parmi ses activités, je trouve quand même admirable qu’il parvienne à trouver du temps pour parler avec Joy sur Skype. Il essaie de s’investir dans sa vie et je vois bien qu’il s’est attaché à elle, qu’il veut bien faire.
Mais la situation est loin d’être simple et plus la soirée passe, plus j’ai l’impression qu’il tente de me faire passer un message. Mon malaise grandit et j’avoue que j’abuse un peu du jus de fruit pour me donner du courage. Ce n’est pas raisonnable, je suis même très probablement paranoïaque.
-Tu as déjà été en Suède, Rosie ? Me demande brusquement Sven, me faisant avaler ma gorgée de travers. Je manque de m’étouffer, désarçonnée par sa question. Elle semble anodine, mais mon instinct me dit qu’elle cache autre chose.

Le serveur finit par arriver, pour nous donner nos plats. Je lui lance un regard reconnaissant, comme s’il venait de me sortir d’une mauvaise passe. Mon regard se focalise sur mon assiette, et je suis rapidement sceptique face à son contenu. Autant, je reconnais rapidement le morceau de saumon, autant le reste demande encore à être identifié.
-C’est toujours aussi bizarre que dans mon souvenir. Remarqué-je alors, affichant un fin sourire, aussitôt partagé par Sven.
-J’avoue que j’avais oublié que c’était aussi bizarre leur plat. Ricane-t-il ensuite, affichant une moue désolée. En tout cas, je peux te garantir qu’en Suède, je n’ai pas encore trouvé de restaurant semblable à celui-ci.
-Je trouve que tu parles beaucoup de la Suède, ce soir. Lui fais-je alors remarqué, avec une moue suspicieuse.
-Oh euh… C’est juste que je trouve que c’est un pays formidable… Je pense qu’il pourrait te plaire, et à Joy aussi …
-Et pourquoi te mets-tu à penser à ça ?
-Eh bien… Joy me reproche de ne pas être assez présent dans sa vie. Alors, je me dis qu’il faudrait, envisager, un jour, de nous rapprocher. Et vivre en Suède pourrait être une possibilité. M’avoue-t-il doucement, comme s’il marchait sur des œufs.
-Euh, on verra. Marmonné-je, terriblement gênée, alors que son regard semble encore plus amoureux. J’ai l’impression qu’il espère que nous venions vivre avec lui, en Suède. J’avoue ne m’être jamais posée la question. Notre avenir est incertain, j’ignore jusqu’à quel point il souhaite s’engager auprès de nous. Je n’ai aucune envie de me casser les dents et me retrouver dans un pays dont j’ignore absolument tout…

Le repas se termine tranquillement. C’est avec soulagement que je termine mon assiette et que je vois l’heure de rentrer chez moi se rapprocher de plus en plus. La compagnie de Sven est agréable, mais la conversation dérive sur une pente un peu trop glissante à mon goût. De plus, les jus de fruits commencent à me monter à la tête et j’ai du mal à réfléchir. J’aurais peut-être du modérer un peu plus ma consommation.
Une fois nos assiettes vides, nous nous levons de table, prêts à partir. Sven se rapproche néanmoins de moi, me souffle qu’il passe une merveilleuse soirée en ma compagnie. Il me prend tendrement dans ses bras pour venir m’embrasser, avec tout l’amour dont il est capable.
Quant à moi, je me laisse faire. Le baiser est agréable, surtout avec l’esprit embrouillé, mais je ne peux m’empêcher de me dire que la situation n’est pas naturelle.

Lorsqu’il libère mes lèvres, j’avoue que je ne comprends plus ce qu’il se passe. Sven est de plus en plus bizarre. Il ne lâche pas mes mains et me regarde avec une tendresse infinie. Cela me touche, mais quelque chose cloche sans que je ne puisse dire quoi.
-Rosie… Je… Je dois t’avouer un truc…
-Quoi donc ?
-Je… Je t’aime. Me souffle-t-il avec douceur. Durant toutes ses années, je ne t’ai jamais oublié. Mes amis ont bien essayé de me faire sortir et rencontrer du monde, je n’ai jamais réussi à te retirer de ma tête… De mon cœur. Quand je t’ai revu, à San Myshuno, et que tu m’as annoncé par la suite que nous avons une fille, j’ai pris cela pour un signe du destin…
Je lui souris face à sa déclaration. Elle toucherait n’importe qui ayant un cœur. Je sais que je l’ai énormément aimé, à l’époque. Aujourd’hui, il conserve une place particulière dans mon cœur, et c’est la seule certitude que je peux avoir à jour, dans mon esprit tout embrouillé. Je m’apprête d’ailleurs à lui répondre, quand il fait un truc complètement insensé ….

Sven pose un genou à terre. Là, devant tout le monde, sans me quitter du regard. Je suis complètement interloquée par la situation. Mais que fait-il ? Pourquoi se met-il à genou ? Mon cœur bat à mille à l’heure. Est-ce par anticipation ou est-ce à cause du stress ? Je ne sais plus du tout. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe !
-Sven ?! Mais qu’est-ce que tu fais ?
-Rosie, je suis convaincu que tu es la femme de ma vie. M’avoue-t-il en toute sincérité. Ces derniers jours, ça a été une torture de vivre sans toi, et sans Joy. J’aimerais que nous vivions ensemble, tous les trois, que nous formions une famille. J’aimerais que vous me rejoigniez, en Suède. Je sais que c’est compliqué, que tu ne peux pas partir comme ça, sans aucune garanti… Mais, je te garantis que je t’aime, que je veux vieillir avec toi. Je veux élever Joy avec toi. Je… Je veux d’autres enfants avec toi. Poursuit-il, évoquant un à un ses projets, alors que mon cœur se serre. Je ne peux m’empêcher de repenser à ma stérilité, dont il n’est pas au courant. Et voilà qu’il m’annonce vouloir d’autres enfants… Mais… Où veut-il en venir au juste ?

Et là, il sort une bague de sa poche. Une magnifique bague… de … fiançailles. Je louche aussitôt dessus, mon cerveau est en arrêt, ayant du mal à assimiler les informations qui se présentent à lui. Sven est-il réellement en train de faire ce que je pense ? Mais… Pourquoi ? Je ne comprends pas…
-Rosie, je veux faire ma vie avec toi. J’aimerais que tu me rejoignes à l’autel, dans une magnifique robe blanche, et que tu me dises oui pour la vie. Rosie, acceptes-tu de venir vivre avec moi, pour former notre propre famille ? Acceptes-tu de devenir ma femme ?

Oh… Mon… Dieu…
Le temps semble suspendu, attendant ma réponse pour reprendre son cours. Je suis totalement déstabilisée. Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il me demande de l’épouser, et de vivre avec lui. En Suède. C’est complètement insensé. C’est de la folie. Mais que suis-je censée répondre, au juste ?
Je n’ai même pas le temps de la réflexion, en plus. Je sens le regard du serveur peser sur moi. Je sens aussi que tous les autres clients du restaurant sont suspendus à mes lèvres, intéressés de savoir la suite des événements.
Quant à moi, je suis totalement perdue. Je ne sais pas ce que je veux. Ai-je envie de tout quitter pour partir vivre avec lui ? Ai-je envie de l’épouser ? Ai-je envie de tout ce qu’il me propose ?
Je l’ignore. Je suis perdue…
Puis, je pense à Joy. A Joy, qui ressent l’absence de son père. A Joy qui aimerait avoir un père plus présent. A Joy, qui voudrait sans doute vivre avec son père, pour ainsi pouvoir se rapprocher de lui.
Peut-être que, pour le bien de Joy, le mieux est de créer notre famille….
-Sven… C’est… C’est inattendu…
-Je sais. C’est peut-être un peu rapide. Mais je suis sûr de moi. Alors, pourquoi attendre ? Alors que nous avons perdu autant de temps ?
-Sven, je… Bredouillé-je, perdue, avant de finalement soupirer. Oui… C’est d’accord… Je veux bien t’épouser.

Instantanément, je vois le regard de Sven s’illuminer. Je lis tout le bonheur, toute la joie qu’il doit ressentir en cet instant. Un immense sourire s’affiche sur son visage. Sans aucun doute, il s’agit du plus beau jour de sa vie. Il semble tout d’un coup soulagé, libéré d’un poids, heureux de ma réponse. Je me mets à comprendre et compatir. Il est revenu de Suède avec l’idée de me demander de l’épouser, de tout quitter pour lui, pour nous. Depuis tout ce temps, le stress devait le ronger de l’intérieur, craignant une réponse négative de ma part. Maintenant que j’ai dit oui, le voilà libérer de ce poids, allégé par le bonheur d’un mariage imminent et la promesse d’un avenir merveilleux.
Pourtant, quand je glisse sa bague sur mon doigt, elle me semble peser une tonne.

Tandis que ma main tremble, Sven se relève, affichant toujours le même air heureux. Il ne tarde pas à m’embrasser, me transmettant tout l’amour qu’il a pour moi. Mon malaise grandit, j’ai l’impression que je vais tomber dans les pommes.
-Je suis si heureux, tu ne peux pas l’imaginer. Me susurre Sven, alors que j’affiche un sourire de façade. Je me sens monstrueuse. Tu verras, nous aurons une belle vie tous les trois. Je ferai tout pour.
-Je… J’imagine oui. Bredouillé-je avec un sourire timide, sonnant terriblement faux. Un trouble qu’il doit sans doute mettre sous le coup de l’émotion.
Mais qu’est-ce que j’ai fait ?

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 16

Je suis un peu perturbée depuis le départ de Sven et le baiser que nous avons échangé après l’anniversaire de Joy. Je m’attendais à ressentir à nouveau des frissons et les papillons dans le ventre, comme lorsque nous étions adolescents, mais il n’en était rien. La sensation était tout autre et étrange, et cet échange m’a laissé plus mal à l’aise qu’euphorique.
Peut-être parce que nous avons besoin de nous retrouver un peu, après tout ce temps passé éloignés l’un de l’autre ? Après tout, nous avons bien changé et peut-être que nous avons besoin de nous réhabituer à la proximité de l’autre pour que tout redevienne une évidence.
Il y a également un autre point qui me préoccupe. Maintenant que Sven est de retour dans nos vies, même s’il vit en Suède, je dois annoncer à Joy qu’il est son père. Je ne me vois pas continuer à lui faire croire qu’il s’agit juste d’un ami, et elle est en droit que connaitre l’identité de son père. Pour le moment, ce sont les vacances et elle n’est pas encore allée à l’école. Mais, une fois là-bas, elle se rendra vite compte que les autres enfants ont deux parents, alors qu’elle n’a juste que sa mère. Je n’ai pas envie qu’elle se pose des questions inutiles… Alors, autant profiter de ce moment d’accalmie pour discuter avec elle… En espérant qu’elle le prenne bien.

-Qu’est-ce que tu lis de beau ? Lui demandé-je en entrant dans sa chambre, la découvrant assise sur son lit avec un livre dans les mains.
-Un livre de fantasy ! Ca parle d’une fille qui vit sur Terre et qui a des pouvoirs et un jour, elle découvre qu’elle vient d’une autre planète et qu’un méchant veut sa peau ! C’est génial ! S’exclame-t-elle joyeusement alors que j’hausse un sourcil intrigué. Je n’ai absolument rien compris, mais j’imagine que cela a du sens pour elle…

Je m’installe ensuite sur son lit, à ses côtés, et elle ne semble pas tellement perturbée par ma présence. Au contraire, elle semble absorbée par sa lecture, m’ignorant complètement. Je regarde par-dessus son épaule pour tenter de lire quelques lignes de son roman, mais je ne comprends pas davantage l’histoire. La seule chose que j’ai saisi, c’est qu’il y a une histoire d’extra-terrestre. Je repense avec émotion à Maman, quand elle s’amusait à raconter ses histoires à Joy pour la convaincre d’aller prendre son bain. Visiblement, cela a laissé des traces.
-Je peux te parler ma puce ?
-Oui bien sûr. Me confirme Joy, sans pour autant lever les yeux de son livre.
-Est-ce que tu peux poser ton livre deux minutes ? C’est important.

Je suis un peu gênée de lui demander ça. J’ai l’impression de la déranger dans son quotidien et ses loisirs. Mais je n’ai pas envie de parler à une couverture de livre …
Néanmoins, malgré mes craintes, elle se contente d’obtempérer sans discuter. Elle glisse un marque-page avant de fermer son livre et me regarde avec bienveillance.
-Tu veux me dire quoi, Maman ? Me demande-t-elle, tout en allant poser son livre sur sa banquette avant de revenir s’asseoir à côté de moi.

-Tu… Tu te souviens du monsieur blond, qui est venu à ton anniversaire ? Commencé-je, afin de voir si elle le visualise bien.
Et, je l’avoue, j’essaie de gagner du temps. Le stress me ronge de l’intérieur et je crains sa réaction. Je ne lui ai jamais parlé de son père jusqu’ici et elle ne l’a jamais vu. Elle n’a jamais posé de question mais elle pourrait très bien s’énerver d’avoir été privée de son père pendant toutes ses années… d’autant plus que je ne suis pas une mère très présente non plus.

-Oui, ton ami suédois, c’est ça ? Me répond-t-elle alors que je suis surprise de sa bonne mémoire. J’espérais qu’elle se souvienne qu’il s’agit d’un ami, mais j’étais loin de me douter qu’elle se rappellerait qu’il vient de Suède.
-Oui c’est ça… Lui confirmé-je dans un souffle, essayant de rassembler mes mots pour lui annoncer sa véritable identité.
-Maman ? Pourquoi tu me reparles de lui ? Me questionne-t-elle, me sortant ainsi de mes pensées.
-Et bien… Tu sais, je ne t’ai jamais parlé de… ton père jusqu’ici.
-Je sais mais c’est pas grave. Hausse-t-elle les épaules avec désinvolture. Et je vois pas le rapport.
-Ma puce… Il est temps que je te parle un peu plus de lui… Lui assuré-je alors qu’elle semble m’écouter avec attention. Elle a beau dire que ce n’est pas grave que je lui ai jamais parlé de lui, mais elle a l’air également curieuse de ce que j’ai à dire. Il était mon correspondant, au lycée. Lorsqu’il est venu ici, nous… Nous nous sommes beaucoup aimé… Et puis, il est reparti chez lui et nous avons convenu de ne plus nous parler. C’était trop douloureux, alors que nous savions que nous nous reverrions probablement plus… C’est pourquoi je ne t’en ai jamais parlé, jusqu’à aujourd’hui.
-Euh, d’accord… Me répond-t-elle, ne semblant pas comprendre où je veux en venir. Et donc ?
-Joy, ce monsieur qui était là, à ton anniversaire. Il s’appelle Sven Arendel… Et c’est lui ton père. Lui annoncé-je, en essayant de ne pas laisser paraître mon angoisse.

Le visage de ma fille reste impassible. Je perçois un léger mouvement de sourcils, sûrement dû à l’étonnement. Un silence s’installe entre nous et j’ai l’impression qu’elle cherche à m’analyser, comme si elle essayait de déterminer si je dis bien la vérité ou non.
-Ah… Mais je croyais que vous ne deviez plus vous voir ? Me demande-t-elle alors, tout en restant calme.
-Je l’ai recroisé il y a quelques jours. Totalement par hasard. Il était ici pour le travail. Je lui ai parlé de toi, et il a souhaité te rencontrer, d’où sa présence à ton anniversaire. Mais il a du rentrer en Suède pour les fêtes, et pour le moment, nous ne savons pas quand est-ce qu’il pourra revenir. Mais vous pourrez faire connaissance par internet, si tu veux.
-Ok. Se contente-t-elle de me répondre, en haussant les épaules.
-Ok ? C’est tout ? M’étonné-je alors, ne m’attendant pas à cette réaction-là. J’ai presque l’impression… qu’elle s’en fiche. Tu… Tu n’as pas de questions ? Tu… tu peux tout me dire tu sais.
-Bah… non. Je sais qui est mon père, c’est bien. Discuter avec lui sur l’ordinateur, pourquoi pas. Mais en soi, ça change pas grand chose au final. Me dit-elle avec nonchalance. Je peux reprendre mon livre ?
-Euh, oui, bien sûr. Accepté-je alors qu’elle m’offre un grand sourire ravi, pour ensuite récupérer à la hâte son roman pour se replonger dans sa lecture.
Je suis estomaquée par sa réaction. Je m’attendais à plus d’incompréhension, d’éclats, de colère de ne pouvoir être avec son père. Et au contraire, Joy a pris l’information avec beaucoup de calme …
Elle n’a encore jamais connu son père, mais visiblement, la ressemblance ne se limite pas qu’à l’apparence.

Les jours suivants, nous nous sommes concentrés sur la préparation des fêtes de Noël. C’est l’effervescence à la maison, même si, pour cette année, nous ne serons que nous trois. Ryan a déjà promis à la belle-famille de passer les fêtes chez eux, mais il m’a assuré que nous passerons le prochain Noël ensemble. Papa est un peu déçu, mais il a vite été consolé par l’enthousiasme de Joy. Son petit rayon de soleil, comme il dit, ravi de passer du temps avec sa petite-fille qui ne le lâche pas d’une semelle. Alors, quand il lui a proposé de décorer le sapin ensemble, elle a accepté sans hésiter.

Joy est très proche de son grand-père. Je ne peux pas lui en vouloir… Il a été là pour elle durant toute sa vie, alors que moi, je suis absente la plupart du temps, encore aujourd’hui. D’autant plus avec mon travail qui me prend de plus en plus de temps. Et aussi, parce que j’ai du mal à assumer mon rôle de mère, dans sa vie…
Je culpabilise car, même si pour le moment elle semble se satisfaire de la situation, elle risque de me reprocher mon absence, un jour. Et je crains ce jour car j’aime ma fille malgré tout. Et je voudrais qu’elle soit heureuse…

Après avoir fini de me préparer pour la soirée de Noël, je me dépêche de les rejoindre pour les aider à décorer le sapin. Joy me sourit en me voyant, avant de se reconcentrer sur sa tâche tout en riant des plaisanteries de son grand-père. Malgré ma culpabilité, observer leur complicité me touche. Ils sont beaux à voir tous les deux et je suis ravie de voir Joy s’entendre aussi bien avec son grand-père.
Papy, tu connais des contes de Noël ? Lui demande subitement Joy.
-Nous avons quelques livres oui, mais il faut terminer le sapin avant.
-Tu peux lui raconter une histoire si tu veux, je vais terminer. Lui proposé-je en souriant.
-Tu es sûre ?
-Mais oui.
-Merci Maman !! S’exclame avec joie ma fille alors que Papa va chercher un livre dans le bureau.

Pendant que je termine d’accrocher les boules de Noël dans le sapin, mon père s’installe sur le fauteuil du salon. Joy, quant à elle, prend place sur le canapé, prête à écouter avec attention l’histoire que son grand-père va lui raconter.
Pendant toute l’histoire, elle ne dit rien, ne pose pas de questions. Elle m’étonne car je ne me souviens pas d’avoir été aussi sage lorsque j’avais son âge. Je crois même que je ne pouvais pas m’empêcher de couper mes parents pour leur poser des questions sur l’histoire.
Joy, elle, attend sagement la fin de l’histoire.

Le reste de la soirée se déroule tranquillement. Nous avons dîné tous les trois, Papa ayant préparé une dinde cette après-midi. Une dinde au tofu… Même si nous ne sommes pas végétariens et que Maman n’est plus parmi nous, c’est devenu une habitude. Je dois admettre que cela me ferait tout drôle de me retrouver avec une vraie dinde dans mon assiette. J’aurais l’impression de trahir Maman en faisant ça.
Après le dîner, nous déposons des cadeaux au pied du sapin, et nous invitons Joy à ouvrir le sien. Doucement, elle prend son paquet et semble surprise par le poids. Elle s’empresse de l’ouvrir et ses yeux s’ouvrent en grand.
-Un kit de petit chimiste !! S’exclame-t-elle joyeusement. Je vais pouvoir faire comme Mamie !!
-Exactement. Confirme aussitôt Papa. Tu vas pouvoir faire des expériences, comme ta grand-mère. Je te l’installerai là-haut tout à l’heure.
-Merci Papy !!
Après, c’est au tour de Papa d’ouvrir son cadeau… Il est surpris de découvrir un album photo. Cela m’a demandé pas mal de temps de lui préparer cette surprise, mais j’ai réussi à retrouver des photos de lui et Maman et à créer l’album sans qu’il ne s’en aperçoive. Il est ému mais cela lui fait plaisir.
Puis, enfin, c’est mon tour d’ouvrir mon cadeau de Noël. Papa semble fier de lui, visiblement persuadé d’avoir tapé dans le mille. En ouvrant le paquet, je découvre une carte cadeau pour un soin au spa… Pour deux.
-Il n’y a pas de date de fin de validité. Je me suis dit que tu pourras y aller avec Joy lorsqu’elle sera plus grande. Comme ta mère l’a fait avec toi et ta sœur.
-Oh merci Papa ! C’est parfait ! Lui dis-je, touchée, avant de le prendre dans mes bras pour le remercier.

Joy ne tient plus en place et Papa n’a pas d’autres choix que de lui installer son kit de petit chimiste dans les minutes qui suivent. Habitué à bricoler dans la maison, il ne lui faut pas longtemps pour tout monter sur le palier, à l’étage.
A peine monté, à peine testé. Pendant tout le temps où Papa montait le kit, Joy était plongé dans la lecture de la notice, donnant des indications pour réaliser des expériences. Elle est donc ravie de pouvoir mettre en application sa lecture, afin de pouvoir « faire comme Mamie » !

Pendant que Joy joue les apprentis scientifiques, nous descendons au salon avec mon père. Et là, nous nous rendons compte que nous avons une visite très spéciale, dans le salon. Le Père Noël est là, en train de déposer de nouveaux paquets au pied du sapin !
Aussitôt, Papa appelle Joy, pour qu’elle ne manque pas cette arrivée et qu’elle puisse profiter de la présence du Père Noël à la maison.

Joy ne tarde pas à descendre et c’est avec surprise qu’elle découvre le Père Noël dans notre salon. Ses yeux pétilles d’excitation, mais elle est brusquement toute intimidée. Elle n’ose pas aller vers lui et elle se contente de l’observer au loin. Compréhensif et ayant certainement l’habitude, le Père Noël va donc à sa rencontre avec un cadeau dans les mains.
-Tiens Joy, c’est pour toi. Joyeux Noël à toi !
-M-merci, Père Noël ! Bredouille-t-elle, avant de s’empresser d’ouvrir son cadeau. La dernière poupée à la mode en ce moment. Elle lui sourit, mais je devine que c’est par politesse. Les poupées, ce n’est pas tellement son truc mais elle semble tout de même contente de son cadeau.