Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 28

-Oui allô ?
-Rosae ? C’est moi…

…..
…..
……

-Qu’est-ce que tu veux ?
-Je… Je suis sur Brindleton Bay aujourd’hui, et pour quelques jours et …
-Qu’est-ce que ça peut me faire ?
-J’aimerais te parler.
-Et si je n’en ai pas envie ?
-S’il te plait… C’est… important.

…..
….
…..
……
….

-Rendez-vous au bar du port. Dans une heure.
-Merci, Rosae.

Je n’arrive pas à croire que je suis ici. Je n’arrive pas à croire que j’ai accepté.
Et j’arrive encore moins à croire que j’ai bien reçu ce coup de téléphone.
Cela fait tellement d’années que je ne l’ai pas vu, que je ne lui ai pas parlé. Nous n’avons fait aucun pas vers l’autre durant tout ce temps, jusqu’à aujourd’hui. Pour quelles raisons ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que je reçoive cet appel ?
J’ai tourné en rond pendant 45 minutes chez moi, incapable de faire quoi que ce soit, incapable de me concentrer sur une quelconque tâche. Sur le trajet jusqu’au port, mon esprit est focalisé sur ce rendez-vous, venu de nul part.
Maintenant que je suis dans le bar, m’installant à une table, je suis toujours aussi troublée. Je suis la première arrivée. Je ne sais pas quoi penser. Je ne sais pas quoi faire. Cette situation est tellement incongrue. Comment dois-je agir, là, maintenant ?
Mais qu’est-ce qui m’a pris d’accepter de la voir ?

Soudain, la porte du bar s’ouvre et je l’aperçois. Les années ont passé mais je la reconnais sans peine.
Roxane. Ma sœur.
Que je n’ai pas vu depuis le dernier anniversaire de Maman. Je n’étais même pas encore majeure, à l’époque. Les triplés de Ryan venaient à peine de naître et moi, je n’étais pas encore enceinte de Joy. Je ne lui ai pas parlé non plus, depuis cette date.
Il s’est passé tellement de temps depuis… J’ai l’impression que cela fait une éternité qu’elle est sortie de ma vie.
Elle semble me chercher du regard, jusqu’à ce qu’elle m’aperçoive. Prise de panique, je lui fais signe de m’attendre et je fonce aux toilettes me rafraîchir. Je me sens mal, rien qu’à l’idée de lui faire face. Les souvenirs m’assaillent et je me rappelle de tout ce qu’elle m’a fait subir. De ses moqueries, de ses insultes, de son rejet. Je me rappelle qu’elle n’a jamais pu me supporter, juste parce que je suis venue au monde. Je me rappelle qu’elle ne m’a jamais donné signe de vie, depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Je me rappelle qu’elle n’était pas présente à l’enterrement de Maman, ni à celui de Papa.
Ma gorge se noue tandis que je prends appui sur le lavabo pour retrouver mes esprits. Qu’est-ce qu’elle fait ici ? Pourquoi souhaite-t-elle, tout d’un coup, me voir ? Quelle mouche l’a piqué ?

Je soupire, je respire un grand coup. Je ne peux plus reculer. Je ne suis plus une enfant. Il faut que je l’affronte et que je découvre pourquoi elle a souhaité me parler.
Je sors donc des toilettes, fébrile. Je la vois assise à la même table où je l’ai attendu. Elle semble calme et ne manifeste aucune impatience. Lentement, je la rejoins et je m’assois en face d’elle. En silence. Hors de question que je lui parle la première.
Nous nous scrutons l’une et l’autre pendant plusieurs minutes. Aucune de nous ne parle. C’est tellement étrange, que nous soyons assises ici, ensemble, depuis toutes ses années, depuis tout ce qui s’est passé. Cela me fait bizarre, d’être face à elle.
Je reconnais Roxane sans problème, mais j’ai l’impression d’être face à une étrangère.
Je ne perçois aucune animosité dans son regard. Juste de l’embarras et de l’hésitation. Des clients du bar semblent la reconnaître, elle la grande violoniste de talent, mais elle n’y prête aucune attention.
Et soudain, chose étonnante, elle me sourit. Un sourire embarrassé, certes, mais un sourire tout de même.

-Je… Je suis contente de voir, Rosae… C’est fou comme tu ressembles à Maman… Me dit-elle soudainement, avec une voix posée, qui trahit à peine sa nervosité. Je hausse un sourcil d’incompréhension. Son attitude n’a aucun sens. D’où elle me parle normalement, maintenant ? D’où elle est contente de me voir, moi, maintenant ?
-Tu m’as appelé juste pour remarquer la ressemblance avec Maman ? Ne puis-je m’empêcher de lui répondre sur un ton cinglant.
-Non… Bien sûr que non… Souffle-t-elle en perdant son sourire. Elle se pince les lèvres et regarde ses mains. Elle ne semble plus savoir où se mettre. Un nouveau silence s’installe entre nous, durant lequel je ne cesse de la fixer avec un regard suspicieux. Roxane est ailleurs, on dirait qu’elle cherche ses mots. Son attitude est tellement déconcertante, tellement opposée à celle de la Roxane que j’ai connu. Si je voulais te voir c’est parce que … c’est parce que… Ajoute-t-elle ensuite, la voix tremblante. Elle prend alors une grande inspiration, comme pour se donner du courage. C’est parce que je voudrais m’excuser.

Je me fige en entendant ces mots. Un blanc s’impose entre nous, le temps que j’assimile l’information qui me parait tellement incongrue. Après tellement d’années, Roxane se réveille enfin et souhaite subitement s’excuser ? C’est invraisemblable, surréaliste ! Ma respiration s’accélère et mon regard se durcit. Je n’arrive pas à y croire ! Ses excuses ne sont que des foutaises !
-Tu te fous de moi, Roxane ? Répliqué-je froidement, en faisant un effort monstre pour ne pas me mettre à crier au milieu du bar. Tu m’as malmenée durant toute mon enfance et mon adolescence, tu as disparu de ma vie depuis le dernier anniversaire de Maman et tu reviens maintenant, comme une fleur, pour me dire que tu es désolée ? La bonne blague, et tu attends quoi de moi, au juste ? Que je te dise super, on oublie tout, viens on va faire du shopping ?
-Rosae, je sais que…
-Que quoi, Roxane ? La coupé-je, sans lui laisser le temps de parler. J’ai contenu tellement de rancœur à son égard que maintenant que j’ai l’occasion de tout lui balancer, rien ne semble pouvoir m’arrêter. Que tu m’as fait du mal ? Que tu as été injuste envers moi ? Ce n’est pas un scoop, ça, Roxane ! Tu n’as jamais cessé d’être méchante avec moi, de m’insulter, de m’humilier à la moindre occasion ! Pour aucune raison ! Je ne t’avais absolument rien fait, je suis juste venue au monde ! Je vais t’annoncer un truc de dingue, Roxane ! Je n’y suis absolument pour rien ! Et je n’y suis pour rien non plus si ma route à croiser celle des enfants de ton père biologique ! Je n’y suis pour rien si je suis devenue amie avec eux ! Je n’y suis pour rien si j’ai préféré sortir et passer du temps avec eux, plutôt qu’à la maison ! Non, sur ce dernier point, c’est entièrement de ta faute ! A force de me faire rejeter par ma sœur, j’ai été trouver l’amour et l’affection dont j’avais besoin ailleurs ! D’autant plus quand ma sœur m’a également privée de mon frère ! Comme si ça ne te suffisait pas de me pourrir la vie, tu as également retourné Ryan contre moi ! Bien, bravo, la frangine ! Quel bel exemple que tu donnes ! C’est admirable ! Et après tout ça, tu as disparu de nos vies, pour faire la tienne tranquillou à Del Sol Valley, puis autour du monde, à faire le seul truc bien que tu puisses faire : jouer du violon ! Certes, tu donnais des nouvelles aux parents, à Ryan, mais tu n’es jamais revenue pointer le bout de ton nez ! Maman, et encore moins Papa, n’ont pu te voir une dernière fois avant de partir ! Quand nous avions besoin de soutien, tu étais absente ! Tu vivais dans ta bulle dorée, tranquille, dans ton coin ! Où étais-tu quand ils sont morts ? Où étais-tu quand il a fallu organiser leur enterrement ? Où étais-tu quand il a fallu leur dire au revoir ? Absente, comme toujours ! Pour Maman, je peux comprendre, tu as eu des soucis pour venir, mais pour Papa ? Ah oui, pardon, ce n’était pas ton père, à tes yeux! Tu n’as jamais été capable de l’appeler Papa! Alors qu’il s’est occupé de toi, de la même manière qu’il s’est occupé de moi et de Ryan ! Mais, ingrate comme tu es, tu n’as même pas pris la peine de venir à son enterrement, de venir lui dire au revoir ! Tu devais certainement avoir mieux à faire, là-bas, dans ton monde à Del Sol Valley !
-Rosae, je n’ai jamais vécu dans une jolie bulle dorée, tranquille, comme tu dis, bien au contraire. Soupire-t-elle tristement, après que j’ai terminé ma tirade. Elle reste calme cependant, et je réalise qu’elle m’a laissé parler tout du long, sans jamais chercher à se défendre, encaissant ma colère sans broncher, comme si elle s’y attendait.
Comme si elle savait qu’elle le méritait.

Je la regarde avec scepticisme. Que veut-elle dire par là ? Je secoue la tête, incapable de croire ne serait-ce un mot qui sort de sa bouche.
-Ne raconte pas n’importe quoi. J’ai déjà vu tes représentations sur scène à la télévision. Tu as toujours rayonné.
-Ce n’était qu’une image que je me donnais, Rosae. Tu sais bien que ce que l’on donne à voir n’est pas forcément la vérité. M’assure-t-elle en réponse. Pour tout t’avouer, je n’ai pas touché à mon violon depuis la mort de Nick.
-Tu continues à l’appeler par son prénom. Relevé-je avec aigreur. Il t’a adopté, élevé comme sa propre fille, et même maintenant qu’il est mort, tu n’es pas fichue de l’appeler Papa. Tu étais pourtant bien là pour signer les papiers du notaire et toucher ta part de l’héritage.
-Seulement pour ne pas faire traîner la succession. Je n’ai pas touché un centime de l’héritage des parents. Réfute-t-elle en secouant la tête. J’ai tout mis dans des placements au profit de mes neveux et nièces qui se débloqueront à leur majorité. Y compris pour Joy, pour ton information. J’ai pu ouvrir un compte pour elle grâce à Nick, vu qu’il avait procuration là-dessus.
Je suis estomaquée par cette révélation. Je ne comprends absolument rien. Comment Roxane est-elle au courant de l’existence de ma fille ? Comment connait-elle son prénom ? Pourquoi a-t-elle fait ce geste pour elle, alors qu’elle m’a toujours détesté ? Ce n’est absolument pas logique !
-Je… J’ai cru que Papa avait souscrit une assurance-vie pour Joy… J’étais tellement ailleurs que j’ai cru que le virement soudain sur son compte provenait de ça… Murmuré-je, livide. Pourquoi aurais-tu fait ça ?
-Parce que je ne voulais pas de l’héritage des parents, je l’ai réalisé quand Maman est décédée. Mais je n’avais pas non plus envie de vous embêter, toi et Ryan, à le contester. Je n’ai pas d’enfants, alors j’ai décidé que le mieux serait de donner ma part à mes neveux et mes nièces. Ils en auront plus besoin que moi pour bien commencer dans la vie. Et Joy… Elle est ma nièce aussi.
-Je… Je ne comprends pas…
-Je ne veux pas de cet héritage parce que je ne le mérite pas. Tout comme je ne mérite pas d’appeler Nick, Papa. Comme tu l’as si bien dit, j’ai été affreuse et ingrate. Beaucoup plus avec toi, mais aussi avec les parents… J’ai commencé à en avoir conscience à la mort de Maman… Je l’ai privé de derniers moments avec sa fille, juste parce que je ne voulais pas prendre le risque de te voir, juste parce que je voulais fuir la maison. Je m’en suis énormément voulu pour ça, et je m’en veux encore. J’ai été dévastée de manquer ses obsèques. Mais je suis quand même venue, j’ai même été voir Nick à la maison. Tu étais au travail à ce moment-là, et Nick gardait Joy durant ton absence. Nous avons beaucoup parlé et il m’a raconté les derniers événements de ta vie, aussi. A ma demande, pour ta gouverne, car je voulais savoir d’où sortait cette adorable petite tête blonde. Je suis d’ailleurs désolée de ce qui t’es arrivée. Que tu sois tombée enceinte si jeune, pour ton hystérectomie… Et aussi pour ton mariage annulé. Si je n’avais pas été aussi stupide, j’aurais, peut-être, pu être une meilleure sœur et être présente pour toi… Soupire-t-elle finalement, sa voix trahissant les regrets qu’elle semble éprouver.
-Pourquoi n’être pas revenue plus tôt, alors ?

-Parce que j’ai été bête, et que j’ai privilégié ma fierté. Hausse-t-elle simplement les épaules. En fait, il faut que tu saches que j’ai fait un gros travail sur moi-même, ces dernières années… Pour être honnête, j’ai suivi une thérapie. M’avoue-t-elle avec embarras, suite à quoi je ne peux cacher ma surprise. La mort de Maman a réveillé beaucoup de choses chez moi, que j’étais incapable de gérer. Je pleurais n’importe quand, sans raison apparente. J’ai eu une crise de larmes pas possible pendant une répétition, et je ne saurais même pas t’expliquer pourquoi car on jouait un nouveau morceau. J’avais des insomnies, mon alimentation était anarchique. Je pouvais passer plusieurs jours sans quasiment rien manger ou, au contraire, avaler n’importe quoi. Bref, on m’a obligé à aller voir un psy.
-Et du coup si tu es là, c’est parce que ton psy t’a dit de le faire pour le bien de ta thérapie ? Supposé-je en levant les yeux au ciel.
-Non, cela fait plusieurs semaines que je ne l’ai pas vu. Si je suis là, c’est de mon propre chef. M’affirme-t-elle. Mais ma thérapie m’a permis de comprendre plein de choses…
-Lesquelles ?
-Que j’étais en colère. J’ai emmagasiné beaucoup de colère durant toutes ces années… J’étais en colère contre Don Lothario, car il a refusé de nous reconnaître. J’étais en colère contre Maman, car elle a fait des enfants avec un homme marié, car elle n’a pas été totalement honnête avec nous concernant l’identité de notre père biologique. J’étais en colère parce qu’elle a refait sa vie avec Nick et qu’elle recréait une famille avec lui. J’étais en colère parce que tu étais là, que tu avais tes deux parents, contrairement à moi. Je ne comprenais pas pourquoi moi, je ne pouvais pas avoir mon « vrai » père. Alors, je me suis défoulée sur toi, parce que tu représentais tout ce qui me rendait en colère. Je me suis accrochée à Ryan parce qu’il était le seul à être dans la même situation que moi. Comme si nous étions tous les deux contre le reste du monde. J’ai grandi avec cette colère, j’étais aveuglée par elle. J’étais incapable de réaliser cette situation, car faire disparaître cette colère, c’était comme enlever une partie de mon identité. Puis, j’ai fui. J’ai fui mes problèmes, je t’ai fui, toi. A mes yeux, tu étais la cause de mes problèmes et j’étais persuadée qu’en te fuyant, je serais libérée et que je me sentirais mieux. Mais j’avais tort. Mes problèmes, c’était moi qui les créaient. Si j’ai pété les plombs après la mort de Maman, c’est parce qu’au fond, j’ai réalisé que ma vie entière était un mensonge. Un mensonge que je me suis crée de toute pièce. Il m’a fallu du temps pour l’admettre, et encore plus pour me reconstruire ensuite. Il a fallu que j’apprenne à me définir autrement qu’avec cette colère. Si je ne suis pas revue avant, Rosae, c’est parce que j’en étais incapable. Il fallait que je fasse tout ce travail pour… pour réaliser à quel point j’ai été injuste envers toi et que je puisse enfin me tenir devant toi sans risquer de sombrer à nouveau dans mes travers. Je t’ai appelé sur un coup de tête, aujourd’hui, car j’ai ressenti le besoin de te présenter mes excuses, tout au fond de moi. Comme si je sentais que c’était le bon moment pour le faire. Alors, je te le dis maintenant, Rosae… Je suis sincèrement, et profondément désolée pour tout ce que je t’ai fait subir.

Je prends un instant de réflexion. J’ai besoin d’un temps pour réfléchir, pour repenser à ses paroles. Cela me semble tellement surréaliste, tellement que cela casse l’image que j’ai de Roxane. Je sais, au fond de moi, qu’elle dit la vérité. Elle transpire la sincérité par tous les pores et mon cœur se serre à l’idée de ce qu’elle a vécu.
Mais quelque chose me bloque. Quelque chose m’empêche de lui accorder mon pardon.

-Ce… C’est trop facile, Roxane. Secoué-je la tête, ne sachant pas quoi penser de cette conversation. Après tout ce qui s’est passé, tu viens là, du jour au lendemain, m’expliquer tout ça et me présenter ton pardon… Comprends-moi que c’est difficile à digérer.
-Je le comprends, je peux te l’assurer. Me confirme-t-elle dans un hochement de tête.
-D’autant plus que tu n’étais pas là à l’enterrement de Papa. Où étais-tu ?
-Chez moi. Incapable de sortir et de mettre un pied dehors. M’avoue-t-elle en baissant les yeux. Quand Nick est mort, j’ai réellement compris que j’avais tout gâché. Je refusais de sortir, d’affronter un monde où je devais assumer mes erreurs et admettre que j’allais devoir vivre avec ça sans pouvoir revenir en arrière. Nick avait beau m’appeler régulièrement, j’avais honte de m’être mal comportée avec lui aussi. J’avais honte et pourtant, il continuait d’agir normalement, de me parler comme si j’étais sa fille.
-Parce que tu es sa fille, Roxane.
-Je sais. Mais je ne suis pas sûre que je le mérite… C’est pourquoi que je ne pouvais pas sortir de chez moi, et me rendre à l’enterrement de Nick. Parce que j’étais effondrée de ne pas avoir réussi à mériter d’être sa fille. Et je m’en veux tellement pour ça…
-Roxane, ce n’est pas un titre qui se mérite, tu sais ? Lui dis-je, la gorge nouée. Je sens l’émotion m’envahir, mais je fais mon possible pour la retenir. Mon cœur me hurle une chose alors que ma tête crie le contraire. Je suis totalement déstabilisée. Tu es sa fille car il t’a élevé, et aimé comme telle. Il aurait fait n’importe quoi pour toi, de même que pour Ryan et moi. Peu importe tes erreurs.
-Je sais, au fond de moi je le sais. Mais je m’en veux tellement, si tu savais… J’ai tout gâché et rien de ce que je pourrai faire ne pourra rattraper ces années perdues.

Un nouveau silence s’installe entre nous. Roxane respire un grand coup et ferme les yeux, comme si elle se retient se pleurer. Je ne l’ai jamais vu ainsi, aussi fragile et vulnérable. J’ai devant moi une Roxane que je ne connais pas. Une Roxane totalement différente de celle qui m’a malmenée durant toutes ces années…
Pourtant, je suis incapable de déterminer si je dois lui pardonner ou non. Est-ce bien raisonnable ? N’est-ce pas trop tard pour cela ? Reste-t-il quelque chose à réparer, depuis tout ce temps ? En ai-je non seulement envie ?

-Roxane… Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu attends de moi au juste ? Lui demandé-je dans un souffle, après que nous ayons repris toutes les deux nos esprits.
-Je… Je ne sais pas. Me répond-t-elle avec sincérité. Je… Je crois que je n’attends pas grand chose. Honnêtement, je ne sais pas si je me pardonnerais, à ta place. Je suis venue te voir parce que je te devais des excuses. Je ne peux pas changer le passé, et crois-moi que si je le pouvais, je le ferai. Mais aujourd’hui… La seule chose que je peux faire, c’est ça. Mais toi… Tu… Tu fais ce que tu veux. Tu ne me dois absolument rien et je comprendrais que tu ne veuilles pas de moi dans ta vie.
Je me contente d’hocher la tête, avant de me replonger dans mes réflexions. Je suis touchée par son histoire, ainsi que par ses excuses. Mais de quoi ai-je envie, pour nous deux ?

Au bout de plusieurs longues minutes, je finis par me lever en silence. Roxane fait de même, cherchant à contenir ses larmes.
Spontanément, sans me forcer, et pour la première fois de ma vie, je la prends dans mes bras. Elle sursaute de surprise avant de rendre mon étreinte.
-Rosae, je suis tellement désolée pour ce que je t’ai fait subir. Me répète-t-elle sans plus parvenir à retenir ses larmes. Je mentirai si je disais que je n’ai pas les larmes aux yeux.

Je sais. Je ne suis pas certaine que nous aurons une belle relation fraternelle toutes les deux et j’ignore si nous serons proche, un jour. Il va me falloir du temps, Roxane. Trop de blessures doivent cicatriser.
-Bien sûr, c’est légitime. Je n’attendais pas de miracle.

-Roxane ?
-Oui ?

-Je te pardonne.

Génération Rose – Génération 2 -Chapitre 27

Le jour J finit par arriver. Aujourd’hui, nous allons fêter l’anniversaire de Joy en famille. Ce soir, plus exactement, quand les enfants rentrerons de l’école. J’ai eu un SMS de Sven hier soir, me confirmant sa présence pour l’anniversaire de sa fille. Joy n’est pas au courant, il a souhaité lui faire la surprise. Malgré ce qui s’est passé entre nous, je suis heureuse qu’il soit présent. C’est important qu’il le soit, pour elle. Bien qu’il vive en Suède, il fait son possible pour être là dans la vie de sa fille et je suis persuadée que Joy sera heureuse de voir son père ce soir.
-Pas trop nerveuse de fêter ton anniversaire ? Lui demandé-je pendant qu’elle lave son bol du petit-déjeuner.
-Bah non, pourquoi ? C’est qu’un anniversaire. Me répond-t-elle sur un ton détaché.
-C’est juste que… Tu vas commencer à faire partie des grands. Tu vas entrer au lycée…
-Ca me gêne pas. Je vais pouvoir apprendre de nouvelles choses et c’est super cool ! J’ai hâte de découvrir le CDI du lycée, je suis sûre que je vais trouver des livres intéressants sur l’astronomie !
-Bon… Bah tant mieux! Soufflé-je, avant que Joy ne file se préparer avant de partir à l’école.

Je n’ai jamais été autant ravie de voir ma fille partir à l’école. Je vais pouvoir préparer la maison pour accueillir le cadeau de Joy au mieux.
En début d’après-midi, la dame du refuge de Brindleton Bay arrive avec une caisse de transport à son bras. Elle m’affiche un grand sourire, tandis qu’elle libère l’animal à l’intérieur de la maison.
Un petit chiot… Je tends aussitôt ma main vers lui pour qu’il sente mon odeur, tandis que j’écoute les conseils de la bénévole.

Je craque devant sa bouille. Je lui caresse le haut de la tête, et il me lèche aussitôt la main. Je suis persuadée qu’il sera un formidable compagnon à quatre pattes pour Joy. Complètement attendrie, je suis une nouvelle fois sûre de moi quant à mon cadeau pour ma fille.
Je la sais solitaire, et je ne peux pas la forcer à aller vers les autres. Néanmoins, je reste embêtée qu’elle n’ait pas d’amis… D’où l’idée de lui offrir un fidèle compagnon, qui saura lui tenir compagnie et servir de confident lorsqu’elle aura envie de parler à quelqu’un d’autre que sa mère. Et puis, le chien est le meilleur ami de l’homme, non ?

En fin d’après-midi, Joy rentre rapidement de l’école. Elle pose ses affaires et très rapidement, le chiot manifeste sa présence auprès de sa jeune maîtresse.
-Maman ! Tu as pris un chien ? S’étonne-t-elle, tout en approchant sa main vers le chiot.
-C’est pour toi ma puce. Joyeux anniversaire!
-Oh merci Maman ! Il est trop mignon !! C’est un garçon ou une fille ?

-C’est un mâle ma puce. Il faudra que tu lui trouves un prénom ! Lui réponds-je tandis qu’elle s’empresse de le prendre dans ses bras pour lui faire des câlins.
Je ne peux m’empêcher de sourire en la voyant faire des papouilles au chien. Il lui lèche le visage et cela ne semble pas la déranger. A peine l’a-t-elle dans les bras qu’elle ne semble plus vouloir le lâcher.
-Phenix ! Je vais l’appeler Phenix! S’exclame-t-elle sans la moindre hésitation.
-C’est adorable ! Par contre, il s’agit de ton chien. Je te fais confiance pour t’en occuper ! Lui donner à manger, le promener, ramasser les crottes…
-Pas de soucis Maman !Ca me changera des livres! Accepte-t-elle sans broncher, tout en continuer de cajoler Phenix.
-C’est ça ! Bon, pose le avant de lui donner le vertige et va te préparer pour ce soir.
-Oui Maman !

Après s’être changée, Joy continue de jouer avec Phenix. A force de le faire courir partout, elle va nous l’épuiser le pauvre. Mais ce chiot ne semble pas se plaindre et court partout avec plaisir. Bientôt, la sonnette retentit dans la maison et je demande à Joy d’aller ouvrir, étant occupée avec son gâteau d’anniversaire.
Joy obtempère et se dépêche d’aller ouvrir… à son père. Elle en a un hoquet de surprise et ne tarde pas à sauter dans ses bras.
-Papa ! Je croyais que tu ne pouvais pas venir !
-Surprise ! S’exclame-t-il à son tour, heureux de son effet. Je n’allais pas manquer ton anniversaire, quand même! Tu es toute belle ce soir dis donc !
-Oui ! Phenix ne m’a pas mis trop de poils encore !
-Phenix ?
-Mon chien ! Maman m’a offert un chien ! Il est trop mignon ! Viens voir ! Lui répond-t-elle avant de l’entraîner à l’intérieur de la maison pour lui présenter sa boule de poils. Je vois Sven sourire pour la forme, mais il semble embarrassé par son petit paquet cadeau.
-Il est adorable, Joy. Mais du coup, je ne sais pas si je vais réussir à être à la hauteur avec mon cadeau… Bredouille-t-il avant de le lui donner.
Les yeux de Joy pétillent de curiosité tandis qu’elle s’empresse de déballer le cadeau de son père. Je lance un regard rassurant à Sven. Je connais ma fille, quoiqu’il lui offre, elle aimera autant son cadeau que le chien.
-Un livre sur la fuséologie ! S’écrit-elle joyeusement. Merci Papa ! C’est trop cool !
-J’ai cru comprendre que tu aimais les étoiles, l’espace… J’espère que ça te plait.
-Oui j’adore ! Je pourrais le lire sur un banc en sortant Phenix !
-Tu ne pouvais pas lui faire plus plaisir. Confirmé-je à Sven à voix basse, tandis que Joy avait déjà le nez dans son nouveau livre.

Peu de temps après, mon frère et sa famille viennent se joindre à nous. Ryan s’empresse de donner son cadeau à Joy, un autre livre sur l’espace. Décidément, elle va avoir de la lecture !
Phenix fait également son petit effet. Les triplés sont obnubilés par le chiot, délaissant leur portable… avant de le reprendre pour le prendre en photo sous toutes les coutures. Pauvre chien.
Très vite vient le moment tant attendu. Je présente le gâteau aux fraises sur la table, et j’allume les bougies.
Joy se place alors devant le gâteau, qu’elle observe avec gourmandise. Et elle souffle les bougies !

-Bon anniversaire Joy !

Ca y est. Ma fille est désormais une magnifique adolescente. Cela me fait tout drôle de la voir aussi grande. J’ai l’impression que c’était hier que je découvrais ma grossesse… Mais je ne peux m’empêcher d’être fière, en la voyant aujourd’hui.
Joy fait le tour des invités, pour les remercier de leur présence aujourd’hui. Elle ne semble pas très à l’aise, mais elle se plie quand même aux règles de politesse.

-Bon anniversaire, cousine !
-Merci Sarah, c’est gentil. Lui répond alors Joy.
-C’est cool ! Maintenant que tu es grande, on va pouvoir te traîner partout avec nous ! S’enthousiasme Sarah, en affichant un immense sourire. Je ne serai plus la seule fille au milieu des deux nuls !
-Euuuh… On verra. Bredouille Joy, n’étant visiblement pas partante pour être entraînée partout par sa cousine.
-Bon les filles, vous venez vous servir une part de gâteau ?

Après s’être servies une part de gâteau aux fraises, les filles s’installent sur le canapé. Sarah ne cesse de parler et je vois bien que Joy se contente d’écouter en souriant poliment. J’ignore si elle ne sait pas quoi répondre à sa cousine ou si Sarah ne lui laisse pas le temps d’en placer une.
-En tout cas, tu es sacrément canon ! Les mecs au lycée, ils vont grave baver en te voyant c’est sûr ! Affirme Sarah, alors que Joy se met à fixer son assiette, mal à l’aise. Tu n’auras aucun problème à draguer en boîte toi !
-Tu sais Sarah, ça… m’intéresse pas trop, d’aller en boîte.. Ni même de draguer d’ailleurs. Marmonne Joy avant d’avaler un morceau de gâteau.
-Roh, belle comme tu es ! Ca serait du gâchis !
-Oui, mais je viens à peine de fêter mon anniversaire, j’ai le temps avant de penser aux garçons. Bredouille-t-elle avant de faire tomber du gâteau sur sa robe. Oh zut !
-Attends, je vais te chercher une serviette.

Le reste de la soirée s’est passée sans encombre. Joy a eu un mal fou à se débarrasser des assauts de sa cousine, y compris lorsqu’elle emmenait Phenix dehors pour qu’il fasse ses besoins. Le soulagement était visible sur son visage lorsque les invités sont partis.
Néanmoins, elle était quand même contente de sa soirée d’anniversaire. Elle ne quitte ses nouveaux livres que pour s’occuper de Phenix. Elle adore son chien et elle a même installé son tapis dans sa chambre pour qu’il puisse dormir avec elle.
Quelques jours plus tard, Joy est partie découvrir son lycée pour sa première journée de cours. Je suis occupée à faire la vaisselle de la veille, quand soudain, je sens mon téléphone portable vibrer dans ma poche.

Je ne tarde donc pas à couper l’eau du robinet et à me sécher les mains. Je sors mon téléphone de ma poche et je me dépêche de décrocher avant que mon interlocuteur ne tombe sur le répondeur, sans même prendre le temps de regarder l’écran.
-Oui allô ?
-Rosae ? C’est moi…

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 26

La vie est paisible, à Brindleton Bay. La ville est plus reculée, plus éloignée des tumultes du centre-ville. L’air marin fait du bien, aussi, et aide à se détendre lorsqu’il est temps de souffler.
Brindleton Bay, c’est l’opposé de mes envies de jeunesse. Je voulais vivre à San Myshuno, avant, et être proche de mon lieu de travail. Je voulais profiter du mode de vie de la ville et pouvoir sortir autant que je le souhaitais.
Je dois d’ailleurs avouer qu’en décidant d’acheter cette maison, j’avais peur de m’ennuyer. Qu’une fois avoir passé ma journée au travail à San Myshuno, je ne veuille pas tourner en rond dans la campagne.
Mais finalement, je me surprends à aimer ce calme.

Je passe mes journées à courir, et ma charge de travail ne cesse d’augmenter au et à mesure où je progresse dans ma carrière. Cela ne me déplaît pas, bien au contraire, je suis passionnée par mon travail. C’est exaltant et je me sens utile.
Mais retrouver le calme de la campagne le soir, pouvoir me poser sur une chaise longue pour profiter du soleil, cela me fait un bien fou. Cela me détend, cela me permet de me ressourcer et de recharger les batteries. C’est comme si j’étais en vacances dès l’instant où e mets un pied chez moi.
Je ne pouvais pas espérer mieux, je crois. Et quelque part, cela me montre que j’ai fait le bon choix, pour une fois.

Je n’éprouve même pas le besoin de sortir le soir. Être en tête à tête avec ma fille ne me gêne pas, et surtout, cela ne m’effraie plus. J’avais peur de ne pas être à la hauteur, et qu’elle soit malheureuse avec moi, mais j’ai l’impression que nous avons trouvé notre rythme et notre équilibre, toutes les deux. Je m’améliore même aux échecs ! Je suis loin d’avoir le niveau de Joy, mais je sens qu’elle apprécie davantage de jouer avec moi. Comme quoi, je ne suis pas un cas désespérée !

Néanmoins, il lui arrive de refuser une partie d’échecs avec sa mère. Nous nous sommes rapprochées, certes, mais Joy apprécie ses moments en solitaire, où elle préfère s’occuper toute seule. Elle joue pendant sur son atelier de petit chimiste, où elle s’amuse à faire des expériences diverses. Je ne sais pas ce qu’elle fait, mais du moment qu’elle ne fait pas de bêtise, cela me convient. Je sais que c’est une manière pour elle de se rapprocher de sa grand-mère.

Par moment, lorsqu’elle n’est pas dans sa chambre, je la surprends dans le jardin. Elle s’y trouve souvent le soir, lorsque la nuit prend la place du jour, quand la lune remplace le soleil. Elle s’allonge sur la pelouse et observe le ciel, sans rien faire d’autre.
Je dois avouer que cela m’intrigue, de la voir agir ainsi. Je la sais fascinée par les étoiles et la vie extraterrestre, mais au point de regarder le ciel pendant des heures ?
Par moment, je regrette qu’elle passe autant de temps seule. J’aimerai la voir avec des enfants de son âge, se faire des amis, aller au parc. J’ai peur qu’elle regrette de ne pas avoir eu une enfance similaire à celle des autres enfants. Des fois, j’ai peur que ce ne soit de ma faute. Est-ce que mon absence l’aurait dissuadée de s’ouvrir aux autres ? L’aurais-je dégoûtée des sorties ?

Je lui ai déjà posé la question, d’ailleurs, mais elle m’assure que tout va bien. Qu’elle préfère être toute seule et que cela ne la gêne pas. Je veux bien la croire, mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Cependant, je préfère ne pas insister avec mes questions. Je sais bien qu’à la longue, je l’ennuie avec mes questions.
Puis, je repense à son anniversaire. Bientôt, elle va devenir une adolescente. Le temps passe si vite… Je ne l’ai pas vu grandir. Peut-être s’ouvrira-t-elle davantage au monde à ce moment-là ?
J’aimerai tellement qu’elle est un ami…

Un jour, après le travail, je m’arrête faire un tour chez Caroline et Manon. J’ai envie de voir comment elles vont, mais surtout, découvrir la bouille de mon filleul.
En effet, Caroline a accouché ! Elle a mis au monde un petit garçon, le soir-même de ma crémaillère. Sur le chemin du retour, elles n’ont pas eu le temps d’arriver à San Myshuno qu’il a fallu faire un détour par l’hôpital. Tout le monde va bien et j’ai vite craqué découvrant le visage du bébé. Ca y est, je suis marraine ! Et il s’appelle Hugo Lothario-Munch. Pas de jalouses, il porte le nom de ses deux mamans.
-Alors, comment se passe la vie à trois ? Demandé-je à Manon, qui est seule avec Hugo aujourd’hui. En effet, Caroline a du s’absenter pour aller à un rendez-vous.
-On trouve petit à petit notre rythme. J’essaie de m’occuper plus d’Hugo pour permettre à Caroline de se reposer, mais elle ne veut pas me laisser tout faire.
-Cela se comprend, elle veut aussi tisser des liens avec lui.
-Certes, mais elle l’a porté pendant 9 mois et l’a mis au monde. Je ne voudrai pas qu’elle se fatigue plus que nécessaire. D’autant plus qu’elle l’allaite.
-Je ne m’inquiète pas, vous allez finir par trouver votre équilibre !
-Bien sûr. Me confirme-t-elle avec le sourire. Tu veux aller le voir ? Il est dans notre chambre pour le moment, le temps qu’on refasse mon bureau.

J’hésite un instant, puis je finis par me lever pour me rendre dans la chambre. A peine la porte ouverte, je découvre le berceau dans lequel est installé Hugo. J’essaie d’être discrète, mais il ne tarde pas à pleurer.
Je me sens subitement mal à l’aise. Je ne sais pas quoi faire pour qu’il arrête de pleurer. J’essaie de lui parler, mais cela ne change rien. Je me souviens alors de l’époque où Joy était un nouveau-né. Une époque où j’étais incapable de m’occuper d’elle, et de la tenir dans mes bras. Où mes parents faisaient tout à ma place.
Je me sens honteuse, maintenant.

Pour tenter de calmer Hugo, je me décide à le prendre dans mes bras. Je fais attention à ne pas lui faire mal. J’essaie de le bercer et il finit par cesser de pleurer. Je m’attendris devant sa bouille d’ange. Caroline et Manon ont bien fait de faire le nécessaire pour avoir un bébé, il est vraiment trop mignon !
J’en viens même à apprécier de le tenir dans mes bras, avant de ressentir du regret. Je n’ai jamais pu profiter de ces instants avec ma propre fille, et je ne pourrai plus jamais le vivre maintenant. J’ai laissé passer ma chance et ces instants m’ont échappé à tout jamais.
Une odeur nauséabonde me sort brusquement de ma mélancolie et je ne peux retenir une grimace.
-Manon ??? Je crois qu’Hugo a fait un gros popo dans sa couche ! L’appelé-je à l’aide. Étrangement, je ne regrette absolument pas d’avoir été incapable de changer les couches de ma fille.

Quelques jours plus tard, l’anniversaire de Joy approche à grand pas ! Nous le célébrerons à la fin de la semaine, j’ai réfléchi pendant des jours au cadeau que je pourrai lui offrir. Je tiens à lui offrir quelque chose qui lui fasse plaisir, et qu’elle pourra garder pendant longtemps. Je n’ai pas envie de faire d’impair avec elle, comme j’ai pu le faire par le passé…
Hier soir, l’évidence est survenu dans mon esprit. La bonne idée comme on dit. Dès que Joy part pour l’école, je me jette sur l’ordinateur pour faire des recherches sur internet. Je veux tout soit parfait et un tel cadeau ne s’improvise pas. Par chance, je n’ai aucun mal à trouver les informations dont j’ai besoin et très vite, je trouve mon bonheur.
J’ai tellement hâte de découvrir son visage lorsqu’elle le découvrira !

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 25

La nouvelle maison est agréable à vivre. J’ai préféré opter pour une décoration simple et épurée, dans un style maison de place. Après tout, la plage et la mer sont justes à côté et le décor se prête bien.
La pièce à vivre est grande, et laisse place à la cuisine ouverte, une table de salle à manger, un coin salon et un espace bureau. J’ai même pensé à prendre un échiquier pour Joy. J’ai accroché des photos un peu partout, ayant besoin de continuer d’afficher les gens que j’aime un peu partout.
J’ai essentiellement gardé les meubles pour les meubles, pour que l’on puisse se sentir plus facilement chez nous ici. Et je ne voulais pas perturbé Joy en lui changeant les meubles de sa chambre… Même si je l’ai autorisé à apporter sa touche personnelle et évidemment, elle a accroché des posters de fusées et une affiche étrange, faisant apparemment référence à une série sur les aliens. Si ça lui fait plaisir …

J’ai l’impression de respirer dans cette maison. Je suis ravie de mon achat et je suis certaine que nous serons bien ici, avec Joy.
Mais je ne peux m’empêcher de m’inquiéter. Je n’ai pas été à la hauteur par le pensée avec ma fille et j’ai toujours peur de faire une bavure avec elle. Maintenant que son grand-père n’est plus parmi nous, j’ai encore plus envie de la rendre heureuse.
-Tu te plais ici, dans notre nouvelle maison ? Demandé-je à ma fille un matin, lors du petit-déjeuner.
-Bah oui pourquoi ? Me répond-t-elle alors, surprise par ma question.
-Je… Je veux juste être sûre que tu te sentes bien.
-Mais on l’a visité ensemble cette maison ! Me fait-elle remarquer, ce qui me fait sourire. Avec son innocence enfantine, elle me rappelle que je m’inquiète sans doute trop.

Petit à petit, au quotidien, j’apprends aussi à gérer une maison. Auparavant, j’étais simplement un soutien où j’aidais mes parents dans les tâches quotidiennes pour ne pas être un poids pour eux à la maison.
Mais aujourd’hui, je suis seule pour m’occuper de tout. C’est tout un apprentissage et une nouvelle organisation. Je fais mon possible de ne pas me laisser déborder et ne pas avoir la tête sous l’eau trop rapidement. J’essaie de rester optimiste, en dépit des circonstances. Même si je suis une mère célibataire et que je ne bénéficie plus de l’aide de mon père, j’ai la chance d’avoir une fille facile à vivre pour le moment.

Maintenant que nous sommes bien installées avec Joy dans notre nouvelle maison, j’ai invité mes amis et la famille de Ryan pour la crémaillère. Au delà de fêter l’emménagement, c’est aussi l’occasion de célébrer une nouvelle vie qui commence. Une vie où je me sens pleinement adulte, pleinement responsable dans tous les nouveaux aspects de ma vie.
Et j’ai envie de montrer cette nouvelle facette de moi aux gens que j’aime. J’ai envie de montrer que je ne suis plus la petite Rosie complètement perdue face aux événements de la vie.

Après avoir fini de tout préparer pour ce soir, je profite du temps libre devant moi pour aller faire un footing et découvrir les environs. Bien que Ryan vive ici depuis des années, je n’ai jamais pris le temps de visiter Brindleton Bay et de profiter de ses côtes maritimes. Il faut dire que les circonstances ne m’ont pas permis de venir ici bien souvent et d’en apprécier la qualité de vie..
Maintenant que j’ai terminé de vider les cartons, je peux enfin en profiter. Courir ici, sur les bords de mer, est vraiment agréable. Les décors sont magnifiques et cela me change de Willow Creek. L’air marin est vivifiant et les chants des mouettes me donnent l’impression d’être en vacances.

Lorsque Joy rentre de l’école et après qu’elle ait terminé ses devoirs, nous passons un moment toutes les deux à jouer aux échecs. Papa n’étant plus là, c’est elle qui poursuit mon apprentissage. Je la vois lever les yeux au ciel par moment, mais elle essaie de faire preuve de patience avec moi.
Je me retiens de rire, mais je dois bien admettre que jouer aux échecs avec moi doit être moins passionnant pour elle que lorsqu’elle jouait avec son grand-père. Malheureusement pour elle, je suis la meilleure adversaire qu’elle a sous la main !

Très vite, notre partie d’échec du jour est vite interrompu par l’arrivée du premier invité qui ne tarde pas à s’amuser avec la sonnette de la porte d’entrée. Je ne peux m’empêcher de sourire, comprenant sans mal qui vient d’arriver.
Après tout, il n’y a qu’un idiot qui s’amuse à jouer les enfants.
C’est donc sans surprise que je découvre Pierre devant ma porte, avec un grand sourire innocent sur les lèvres.
-Ca va ? Tu t’amuses à user la pile de la sonnette ? Le taquiné-je pour le saluer, en l’invitant à entrer à l’intérieur.
-C’est le prix à payer pour me forcer à venir dans la cambrousse ! Réplique Pierre sans attendre, ne manquant pas de me faire rire. Salut la crevette ! Ajoute-t-il ensuite en apercevant ma fille.
-Salut Tonton ! Lui répond-t-elle ensuite en lui souriant.

Peu de temps après l’arrivée de Pierre, c’est au tour de Ryan et de toute sa tribu d’arriver. Je ne manque pas de le taquiner du fait qu’il a beau être mon voisin, il n’est pas le premier à être arrivé ce soir. Il lève les yeux au ciel mais cela ne le manque pas de l’amuser.
Le visage de Joy s’illumine lorsqu’elle voit son oncle et accourt pour aller le saluer.

-Hey beh, quel accueil ! S’exclame-t-il en enserrant sa nièce dans ses bras, touché par cette marque d’affection.
Je suis également émue. Je n’avais pas remarqué à quel point elle s’était rapprochée de son oncle ses derniers temps, laissant son côté réservé de côté, mais cela ne pouvait pas me faire plus plaisir.

Très rapidement, les dernières invitées arrivent. Caroline et Manon se joignent à la fête et ma meilleure amie ne tarde pas à venir me saluer. Je ne peux m’empêcher de jeter un œil à son ventre, qui s’est bien arrondi.
Il y a quelques mois, avant la mort de mon père, Caroline et Manon ont fait appel à un spécialiste pour tenter d’avoir un enfant naturellement. Manon a entendu parler d’une méthode, mis en place par une scientifique de renom, qui a révolutionné la technique du bébé-éprouvette. Grâce à ça, Caroline a pu tomber enceinte de Manon et elles attendent maintenant son arrivé avec impatience.
-Coucou Caro ! Dis donc, ça pousse dis donc !
-M’en parle pas ! Je ne vois plus mes pieds et j’ai hâte qu’il sorte !
-Ahah, je ne peux que compatir !

Durant cette soirée, je me rends également compte que les triplés ont bien grandi. Ce sont maintenant des adolescents et j’ai du mal à réaliser qu’ils sont déjà aussi grands. Mais il suffit que j’observe leur visage pour me rappeler que la vitesse du temps qui passe n’est pas qu’une illusion. Comme beaucoup d’adolescents, ils ne sont pas forcément ravis d’aller à une soirée avec leurs « vieux » comme ils disent. Si bien que cela se ressent sur leur humeur.
-Sarah, tu fais quoi sur l’ordinateur ? Demande Joy à sa cousine, tandis que cette dernière cherche à s’occuper sur internet.
-Occupe toi de tes affaires ! Lui rétorque-t-elle aussitôt.
-Sarah ! Sois gentille avec ta cousine ! La gronde aussitôt Juliette avec fermeté.

La soirée se déroule à merveilles et tout le monde semble heureux d’être présent ici. En veillant à ce que tous les invités passent une bonne soirée, je ne peux m’empêcher de remarquer les marques d’affection que se porte Ryan et Juliette, ainsi que Caroline et Manon, les deux couples de la soirée. Cela me touche et me réjouit de les voir s’aimer autant. Les voir heureux est un vrai bonheur pour moi… Bien que cela me rappelle que, contrairement à eux, je suis seule.
Parfois, je m’interroge. Trouverais-je l’amour un jour, moi aussi ? En ai-je seulement envie ?
Je ne saurai répondre à ces questions. A vrai dire, je pense que j’ai juste envie d’apprendre à aimer ma vie, telle qu’elle est aujourd’hui. J’ai passé tellement de temps à être persuadée d’aimer Sven toute ma vie que pour l’instant, je ne vois pas refaire ma vie avec un autre homme.
Pour le moment, je me contente de refaire ma vie avec moi-même, et avec ma fille. Et cela me va très bien comme cela.

-Tout va bien Rosie ? Me sort soudainement Ryan de mes pensées, tandis que je suis en train de manger sur le canapé. J’ai une jolie table où on peut manger à quatre, mais il n’y a pas suffisamment de place pour accueillir tout le monde autour. Il faudrait peut-être que j’investisse dans une table d’appoint et des chaises supplémentaires que je pourrai sortir lorsque je reçois du monde.
-Oui ça va, ne t’inquiète pas. Le rassuré-je alors, avec un sourire. Je réfléchissais à ce que je pourrai améliorer dans cette maison.
-Elle est très bien cette maison, tu n’as pas à t’en faire. Me répond-t-il alors. J’ai bien fait de te dire qu’elle était à vendre, elle est parfaite pour toi et Joy… Et je t’avoue que je suis plutôt content d’avoir ma petite sœur qui vit juste à côté de chez moi. Ca me rassure davantage par rapport au fait si tu vivais loin, toute seule.
-Je suis contente aussi ! Et puis, j’avais envie de me rapprocher de ma famille et c’est bien mieux pour Joy aussi !
-Rosie ? Tu peux venir s’il te plait ? M’interpelle subitement Manon.

Intriguée, je ne tarde pas à me lever pour rejoindre mon amie, qui est tranquillement assise à table avec Caroline et Joy. Cette dernière semble amusée par la situation et écoute attentivement alors qu’elle a terminé son assiette. Elle m’étonne, d’ailleurs. Normalement, elle en aurait profité pour prendre la poudre d’escampette.
-Rosie, nous avons besoin de toi avec Caroline pour nous départager. M’avoue Manon sur un ton sérieux, avec un calepin à la main. En jetant un regard à Caroline, je la vois lever les yeux au ciel avec un sourire amusée.
-Je t’écoute.
-Voilà, pour le bébé, on hésite pour le prénom. Si c’est un garçon, on hésite entre Thibault et Hugo et si c’est une fille, on hésite entre Pauline et Coralie. Tu en penses quoi toi ?
-Euh ? Pourquoi vous voulez mon avis, au juste ? Leur demandé-je, un peu mal à l’aise et n’ayant aucune envie de m’immiscer dans une discussion aussi intime que le choix du prénom. D’autant plus que je ne suis pas certaine d’être une référence en la matière : il m’a fallu des mois pour trouver ne serait-ce qu’un prénom à donner à mon enfant… Il vaudrait mieux demander à Pierre ou à Paul, étant donné que ce sont eux les oncles !
-Oui, mais toi, tu seras la marraine. Et tu as donné un chouette prénom à ta fille donc on a confiance en tes goûts. Réplique aussitôt Caroline avec un sourire taquin.
-Je vois mais… Attendez, quoi ? Vous voulez que je sois la marraine ?! M’exclamé-je, surprise. Jamais auparavant elle m’en avait parlé et je n’aurais jamais pensé qu’elles songeraient à me donner ce rôle. Devant mon étonnement, Joy ne peut plus se retenir de rire. Visiblement, elle était au courant et attendait avec impatience ma réaction. Quelle chipie !
-Bien sûr, c’est une évidence. Me confirme Caroline avec bienveillance et émotion. Tu es une amie en or, et tu es comme une sœur pour moi. Tu as été présente aux moments importants de ma vie, même quand ça n’allait pas fort pour toi et tu seras un excellent modèle pour notre bébé ! Alors, tu es d’accord ?
-Caro, tu me touches. Bien sûr que je suis d’accord ! Accepté-je sans hésiter avant de me lever pour prendre ma meilleure amie dans mes bras. Vu mes piètres qualités de mère, je n’aurais jamais pensé avoir un tel rôle un jour, mais elle n’aurait pas pu me faire plus plaisir.

-Raah mais quelle cruche ! Elle est aveugle ou quoi ? Eh ho, ton mec couche avec ta pote là ! Ouvre les yeux, débile ! Braille brusquement Sarah, nous faisant sursauter et interrompant le moment émotion.
-En même temps, elle peut pas être belle et intelligente à la fois, hein ! Rétorque Alexandre, assis sur l’autre canapé, tandis que Kylian est focalisé sur son téléphone.
Je ne peux m’empêcher de lever les yeux lorsque je remarque mes neveux et nièce scotchés devant une émission de télé réalité où des personnes lambda sont enfermées dans une maison pendant plusieurs semaines. Elle est belle, la jeunesse !

-T’es bête ! Tu dis ça juste parce qu’elle a des nichons siliconés ! Réplique alors Sarah en lançant un regard noir à son frère.
-C’est nul votre truc. Soupire Kylian en se levant du canapé. Tiens Alex prends ma place. J’ai pas envie de perdre des neurones avec votre émission stupide.
-Bon les enfants, vous savez qu’on est censé passer un moment en famille ? Les interpelé-je tandis qu’Alexandre prend effectivement la place de son frère à côté de sa sœur.

-Mais Tata, on s’ennuie avec vos discussions de vieux ! S’exclame Alexandre, faisant pouffer Sarah, alors que Joy vient également s’asseoir sur le canapé avec Pierre.
-Grave ! Parler bébé et bavoir, c’est pas notre truc ! Confirme sans attendre Sarah.
-Ah la la ! Quel bel exemple vous donner à votre cousine ! Intervient alors Pierre, pour ensuite s’adresser à Joy. Ma petite, ne grandit jamais. Tu risques de perdre des neurones à l’adolescence et devenir aussi bête que tes cousins ! Se moque-t-il ensuite, ne manquant pas de faire rire ma fille.
Je dois avouer que je ne manque pas de sourire non plus, avant de me mettre à déchanter aussitôt. La réflexion de Pierre me rappelle brusquement que bientôt, Joy fêtera son anniversaire. Elle aussi va pas tarder à devenir une adolescente. Mon anniversaire ne tardera pas à suivre non plus …
Cela me fait tout drôle, de penser à cela. Je suis si jeune, et pourtant, j’ai une fille qui sera bientôt une adolescente. A ce rythme, je serai grand-mère avant d’avoir des cheveux blancs. Mais je préfère ne pas y penser…
Le temps passe si vite…

Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 24

Aujourd’hui est une journée morne et triste. La météo s’associe à notre chagrin, le temps étant à la pluie alors qu’a lieu les obsèques de mon père. Davantage de monde a pu se libérer : Pierre et Caroline, ainsi que Manon, sont venus pour nous soutenir, et Ryan est également présent avec sa femme. Cela me réchauffe le cœur qu’ils soient tous là, même si cela ne remplacera jamais la présence de mon père.
Au moins, je me sens moins seule, tandis que j’accompagne Papa dans sa dernière demeure.

Dans le caveau familial, j’attends un instant avec l’urne de Papa dans les bras, avant de la poser sur la table, juste à côté de celle de Maman. Je les regarde avec tristesse. Mes parents me manquent, tous les deux. Maman a beau être décédée depuis plusieurs années, son absence me pèse tout autant que celle de Papa. Les souvenirs affluent dans mon esprit, et mon cœur se serre dans ma poitrine.
Aujourd’hui, ils ne sont plus de deux urnes, reposant l’une à côté de l’autre, pour l’éternité. Je me mords la lèvre inférieure, pour m’empêcher de pleurer. J’essaie de me consoler, de me dire que Maman n’est plus seule désormais dans cet endroit lugubre, mais je ne peux oublier le fait que je viens tout juste de perdre mon père. Qu’il n’est plus avec nous, dorénavant.

Je sens une présence à côté de moi. Après un regard, je m’aperçois que Joy s’est éloignée de son oncle pour se rapprocher de moi, et des urnes.
J’ai autorisé Joy à venir aujourd’hui, et à manquer l’école. Elle est suffisamment grande pour gérer un tel événement, et je pense sincèrement qu’elle a besoin d’être là pour pouvoir dire au revoir à son grand-père. L’école a été compréhensive et n’a pas manifesté d’inconvénient. Comment être contre après tout, face à ce genre d’épreuve.
Et puis, je crois qu’elle m’en aurait voulu, si je l’avais forcé à aller à l’école pendant les obsèques de son grand-père.

Lorsque j’observe le visage de ma fille, mon cœur se serre une nouvelle fois. Elle n’a pas cessé de pleurer depuis que son grand-père est parti et, en cet instant, elle a les larmes aux yeux. Elle regarde un bref moment les urnes de ses grands-parents, avant de détourner le regard. Comme si cette vision est trop difficile pour elle.
J’ai un mal fou à essayer de lui changer les idées et elle est même incapable de tenir une conversation avec son père. Sven a été désolé lorsque je lui ai annoncé que mon père est décédé. Je savais qu’il n’avait pas spécialement envie de me parler, mais je me devais de l’informer, pour qu’il puisse être présent pour sa fille. Il l’a appelé tous les jours depuis, mais j’ignore si ses appels présentent un quelconque réconfort pour Joy.

La gorge nouée, incapable de parler, je me contente de prendre la main de Joy pour lui montrer que je suis là, que nous sommes deux dans cette épreuve. Je ne dis rien de plus, et mon regard se fixe une nouvelle fois sur les urnes de mes parents. C’est tellement dur de se dire qu’ils sont là, après les avoir toujours connu bien vivants. D’avoir leur visage en tête, leur regard, leur sourire, leur voix, leur rire en tête. J’ai une multitude de souvenirs qui me viennent à l’esprit, rendant cette vision contradictoire encore plus insupportable.
-Rosie ? M’interpelle doucement Caroline.
-Mh ?
-Tout le monde est sorti du caveau. Tu veux que je vous laisse un instant, juste toutes les deux ? Me demande-t-elle, inquiète, alors que je remarque que mes amis, ainsi que Ryan et Juliette, sont effectivement sortis pour nous laisser un instant d’intimité et de recueillement.
-Ca.. Ca va aller. Merci. Lui soufflé-je d’une voix à peine audible, tandis qu’elle sort à son tour.

Maintenant que nous sommes seules, j’entends Joy renifler. Je baisse le regard vers elle et constate qu’elle ne retient plus ses larmes. Je me sens si mal lorsque je la vois ainsi. J’aimerai tellement pouvoir effacer son chagrin, lui épargner cette épreuve.
Malheureusement, je n’ai pas de super pouvoirs et je ne peux pas faire de miracle.

-C’est pas juste. Soupire-t-elle entre deux sanglots. Pourquoi Papy devait-il mourir ? Pourquoi doit-on mourir ?

-Ma puce, je… Malheureusement je n’ai pas vraiment de réponse à tes questions. Lui réponds-je, mal à l’aise. Comment répondre à ses questions existentielles sans pour autant la déprimer à vie ? Comment lui dire que la vie en elle-même est totalement absurde, sans pour autant ruiner tous ses rêves d’enfant ? La mort fait partie de la vie. Cela fait partie de l’ordre des choses : quand des personnes meurent, d’autres naissent. C’est ainsi que cela fonctionne.
-Ca sert à quoi de vivre si c’est pour mourir au final ? Si c’est pour être triste dès que quelqu’un meurt ? Bougonne-t-elle, sans comprendre.
-C’est une très grande question philosophique Joy, et il n’existe pas encore de réponse universelle. Chacun répond à sa manière à cette question. On vit pour réaliser ses rêves, pour aimer, pour essayer d’améliorer les choses qui ne vont pas, pour offrir un monde meilleur aux générations futures. Tu comprends ?
-Je crois… mais… Papy me manque… Soupire-t-elle en recommençant à pleurer.

-A moi aussi il me manque. Lui avoué-je en la prenant dans mes bras pour la réconforter. Mais j’essaie de me dire qu’il est heureux là où il est. Il a rejoint Mamie, ils vont pouvoir passer l’éternité ensemble, maintenant, et veillez sur nous, ensemble. Je me dis qu’il voudrait que nous soyons heureuses, toutes les deux, et que nous soyons pas tristes trop longtemps.
-Tu crois qu’il est plus heureux maintenant là-bas, qu’avec nous ?
-Bien sûr que non, c’est juste un bonheur différent. Je te raconte ça pour que tu es ça en tête et peut-être, que ça te consolera un peu.
-Maman ….
-Oui ma puce ?
-Toi aussi tu vas mourir un jour ?

Sa question me surprend et ne me met pas spécialement à l’aise. Mais dans son regard larmoyant, je décèle également de l’inquiétude. Comme si elle avait peur de me perdre, après avoir perdu son grand-père. Comme si elle avait peur de se retrouver toute seule.
-Un jour oui. Lui confirmé-je, souhaitant être honnête avec elle. Mais pas avant très longtemps, je te le promets. Ce ne sera pas avant que je sois vieille, avec des rides et des cheveux blancs. Et à ce moment-là, tu seras grande, et peut-être que tu auras ta propre maison.
-Je ne veux pas que tu meures, Maman.
-Je te rassure, je n’ai pas l’intention de te laisser toute suite. Ne t’inquiète pas ma puce, je suis encore là pour très longtemps, je ne vais pas t’abandonner. Je suis là, avec toi, d’accord ? Essayé-je de la rassurer, avant de la serrer contre moi une nouvelle fois.
-D’a… ccord…

Nous restons un moment toutes les deux, seules dans le caveau. Je garde ma fille dans mes bras durant tout ce temps, ne souhaitant pas la lâcher tant que les larmes menacent de couler ses joues. Pire que le décès de mon père, le chagrin de ma fille m’est insupportable.
La porte du caveau s’ouvre subitement, nous faisant sursauter toutes les deux. Je me redresse et constate que Manon est venue nous rejoindre, comme pour vérifier que nous allions bien. Elle me prend alors dans ses bras, pour soutenir dans la perte de mon père.

Joy, quant à elle, décide de sortir du caveau pour prendre l’air. La pluie est toujours au rendez-vous, mais cela n’empêche pas à mes proches de discuter tranquillement dans le cimetière. Malgré le mauvais temps, ils sont tous là, à attendre que nous soyons prêtes à sortir.
Et je ne les remercierais jamais assez pour leur soutien.

Je finis par sortir à mon tour du caveau. Nous sommes retourner à Willow Creek, pour prendre un goûter à la maison. J’ai préparé des gâteaux, un peu plus tôt dans la journée. Cela m’a occupé l’esprit. Mais je n’ai pas eu le cœur d’avaler quoique ce soit.
La journée terminée, et après avoir mis Joy au lit puis veiller à ce qu’elle se soit bien endormie, je me laisse tomber sur mon lit. La journée a été longue, et j’ai l’impression d’avoir enfin l’autorisation de relâcher les tensions. Je suis maintenant seule, je n’ai plus besoin d’être forte pour ma fille. J’ai enfin le droit à un instant, où je peux être triste, où je peux évacuer mon chagrin…

Petit à petit, la vie reprend son cours. Joy retourne à l’école, je reprends également le travail. Le manque est toujours là, mais nous apprenons à vivre avec. Au fil des jours, Joy semble plus légère et commence à retrouver le sourire. Cela me soulage, même si des progrès restent à faire. De son côté comme du mien.
J’ai l’impression de vivre dans le passé. J’ai des souvenirs dans chaque recoin de la maison. Le moindre objet réveille ma mémoire. A chaque fois, cela me mine le moral. Je n’ose plus toucher à quoique ce soit, et je suis incapable d’entrer à l’intérieur de la chambre de mes parents. Au fond de moi, je sais que je serai incapable de m’approprier cette pièce.
Et au fil du temps, je me rends compte que cette maison est trop grande, et que j’ai des difficultés à l’entretenir toute seule. De temps en temps, Ryan passe pour m’aider, mais j’éprouve toujours les mêmes blocages. L’évidence finit par me frapper : nous devons tourner définitivement la page, et changer de maison.
Mais, j’ai retenu les leçons du passé. Cette décision ne m’impacte pas que moi.
-Joy, ma puce, je souhaiterai te parler de quelque chose. Lui annoncé-je, un peu sur la réserve. Je crains sa réaction. Elle était tellement proche de ses grands-parents que j’ai peur qu’elle ne veuille pas partir d’ici.
-Ah ? Fait-elle, visiblement intéressée et curieuse d’en savoir plus.
-Co… Comment tu te sens dans cette maison ?
-Bah… Normal. Mais ça fait drôle qu’il n’y ait plus Papy. J’ai l’impression qu’il est partout.
-J’ai cette impression aussi… Et je trouve la maison grande, pour juste nous deux… Joy, je vais être honnête avec toi. Je pense vendre la maison pour en acheter une autre, plus petite, plus adaptée pour nous. Qu’on ne soit plus dans la maison de Papy et Mamie, mais dans la nôtre. Qu’en penses-tu ? Lui proposé-je, un peu nerveuse.
-C’est pas pour partir en Suède ? Me demande-t-elle, avec un léger sourire en coin. Ma fille ferait-elle des blagues, maintenant ?
-Non, nous n’allons pas vivre en Suède.
-Bon, bah alors d’accord.

Rassurée par la réaction de ma fille, je m’empresse de mettre la maison en vente et de commencer mes recherches de maison. C’est étrange à dire, mais je me sens comme ragaillardie par ce nouveau projet. Je n’ai jamais osé quitter le domicile familial, craignant de me retrouver seule avec Joy. A une époque, je rêvais de m’installer à San Myshuno dans un super petit appartement. Je rêvais de vivre en ville.
Mais aujourd’hui, mes recherches ne comprennent pas la ville. Mes envies ont changé, et je pense également à Joy. Elle a besoin d’extérieur, de verdure, de tranquillité. Tout le contraire d’un quotidien tumultueux en centre-ville.
Et aujourd’hui, je pense avant tout au bien-être de Joy.

Je n’ai aucun mal à vendre la maison de mes parents, ainsi que les meubles. J’ai décidé de ne pas garder grand chose d’ici. Je veux repartir d’une page blanche, et ne pas m’encombrer de choses inutiles ou qui ne me ressemblent pas.
Ce déménagement, c’est avant-tout un nouveau départ.
J’ai également trouvé une maison. C’est Ryan qui m’en a parlé, persuadé qu’elle me plairait. Lors de la première visite, je ne peux qu’admettre qu’il avait raison. J’ai un véritable coup de cœur, et j’espère que Joy le partagera. Je lui fais visiter la maison quelques jours plus tard, et lorsque je vois ses yeux pétiller d’émerveillement, je sais que nous avons trouvé notre nouvelle maison.
Nous n’avons plus qu’à faire nos cartons… Et quitter Willow Creek.

Car la maison que nous avons trouvé se situe à Brindleton Bay, juste à côté de celle de Ryan. Il s’entendait bien avec ses anciens voisins et c’est comme cela qu’il a su qu’ils mettaient leur maison en vente. Ryan est mon frère et c’était l’occasion rêver de me rapprocher de lui, de ma famille.
La maison offre de beaux espaces, sans être trop grande. Elle a seulement deux chambres et une seule salle de bain. Pour nous deux, c’est amplement suffisant.
Maintenant, dans cette nouvelle maison, notre nouvelle vie commence.