Génération Rose – Génération 2 – Chapitre 28
-Oui allô ?
-Rosae ? C’est moi…
…..
…..
……
-Qu’est-ce que tu veux ?
-Je… Je suis sur Brindleton Bay aujourd’hui, et pour quelques jours et …
-Qu’est-ce que ça peut me faire ?
-J’aimerais te parler.
-Et si je n’en ai pas envie ?
-S’il te plait… C’est… important.
…..
….
…..
……
….
-Rendez-vous au bar du port. Dans une heure.
-Merci, Rosae.

Je n’arrive pas à croire que je suis ici. Je n’arrive pas à croire que j’ai accepté.
Et j’arrive encore moins à croire que j’ai bien reçu ce coup de téléphone.
Cela fait tellement d’années que je ne l’ai pas vu, que je ne lui ai pas parlé. Nous n’avons fait aucun pas vers l’autre durant tout ce temps, jusqu’à aujourd’hui. Pour quelles raisons ? Qu’est-ce qui s’est passé pour que je reçoive cet appel ?
J’ai tourné en rond pendant 45 minutes chez moi, incapable de faire quoi que ce soit, incapable de me concentrer sur une quelconque tâche. Sur le trajet jusqu’au port, mon esprit est focalisé sur ce rendez-vous, venu de nul part.
Maintenant que je suis dans le bar, m’installant à une table, je suis toujours aussi troublée. Je suis la première arrivée. Je ne sais pas quoi penser. Je ne sais pas quoi faire. Cette situation est tellement incongrue. Comment dois-je agir, là, maintenant ?
Mais qu’est-ce qui m’a pris d’accepter de la voir ?

Soudain, la porte du bar s’ouvre et je l’aperçois. Les années ont passé mais je la reconnais sans peine.
Roxane. Ma sœur.
Que je n’ai pas vu depuis le dernier anniversaire de Maman. Je n’étais même pas encore majeure, à l’époque. Les triplés de Ryan venaient à peine de naître et moi, je n’étais pas encore enceinte de Joy. Je ne lui ai pas parlé non plus, depuis cette date.
Il s’est passé tellement de temps depuis… J’ai l’impression que cela fait une éternité qu’elle est sortie de ma vie.
Elle semble me chercher du regard, jusqu’à ce qu’elle m’aperçoive. Prise de panique, je lui fais signe de m’attendre et je fonce aux toilettes me rafraîchir. Je me sens mal, rien qu’à l’idée de lui faire face. Les souvenirs m’assaillent et je me rappelle de tout ce qu’elle m’a fait subir. De ses moqueries, de ses insultes, de son rejet. Je me rappelle qu’elle n’a jamais pu me supporter, juste parce que je suis venue au monde. Je me rappelle qu’elle ne m’a jamais donné signe de vie, depuis la dernière fois que nous nous sommes vues. Je me rappelle qu’elle n’était pas présente à l’enterrement de Maman, ni à celui de Papa.
Ma gorge se noue tandis que je prends appui sur le lavabo pour retrouver mes esprits. Qu’est-ce qu’elle fait ici ? Pourquoi souhaite-t-elle, tout d’un coup, me voir ? Quelle mouche l’a piqué ?

Je soupire, je respire un grand coup. Je ne peux plus reculer. Je ne suis plus une enfant. Il faut que je l’affronte et que je découvre pourquoi elle a souhaité me parler.
Je sors donc des toilettes, fébrile. Je la vois assise à la même table où je l’ai attendu. Elle semble calme et ne manifeste aucune impatience. Lentement, je la rejoins et je m’assois en face d’elle. En silence. Hors de question que je lui parle la première.
Nous nous scrutons l’une et l’autre pendant plusieurs minutes. Aucune de nous ne parle. C’est tellement étrange, que nous soyons assises ici, ensemble, depuis toutes ses années, depuis tout ce qui s’est passé. Cela me fait bizarre, d’être face à elle.
Je reconnais Roxane sans problème, mais j’ai l’impression d’être face à une étrangère.
Je ne perçois aucune animosité dans son regard. Juste de l’embarras et de l’hésitation. Des clients du bar semblent la reconnaître, elle la grande violoniste de talent, mais elle n’y prête aucune attention.
Et soudain, chose étonnante, elle me sourit. Un sourire embarrassé, certes, mais un sourire tout de même.

-Je… Je suis contente de voir, Rosae… C’est fou comme tu ressembles à Maman… Me dit-elle soudainement, avec une voix posée, qui trahit à peine sa nervosité. Je hausse un sourcil d’incompréhension. Son attitude n’a aucun sens. D’où elle me parle normalement, maintenant ? D’où elle est contente de me voir, moi, maintenant ?
-Tu m’as appelé juste pour remarquer la ressemblance avec Maman ? Ne puis-je m’empêcher de lui répondre sur un ton cinglant.
-Non… Bien sûr que non… Souffle-t-elle en perdant son sourire. Elle se pince les lèvres et regarde ses mains. Elle ne semble plus savoir où se mettre. Un nouveau silence s’installe entre nous, durant lequel je ne cesse de la fixer avec un regard suspicieux. Roxane est ailleurs, on dirait qu’elle cherche ses mots. Son attitude est tellement déconcertante, tellement opposée à celle de la Roxane que j’ai connu. Si je voulais te voir c’est parce que … c’est parce que… Ajoute-t-elle ensuite, la voix tremblante. Elle prend alors une grande inspiration, comme pour se donner du courage. C’est parce que je voudrais m’excuser.

Je me fige en entendant ces mots. Un blanc s’impose entre nous, le temps que j’assimile l’information qui me parait tellement incongrue. Après tellement d’années, Roxane se réveille enfin et souhaite subitement s’excuser ? C’est invraisemblable, surréaliste ! Ma respiration s’accélère et mon regard se durcit. Je n’arrive pas à y croire ! Ses excuses ne sont que des foutaises !
-Tu te fous de moi, Roxane ? Répliqué-je froidement, en faisant un effort monstre pour ne pas me mettre à crier au milieu du bar. Tu m’as malmenée durant toute mon enfance et mon adolescence, tu as disparu de ma vie depuis le dernier anniversaire de Maman et tu reviens maintenant, comme une fleur, pour me dire que tu es désolée ? La bonne blague, et tu attends quoi de moi, au juste ? Que je te dise super, on oublie tout, viens on va faire du shopping ?
-Rosae, je sais que…
-Que quoi, Roxane ? La coupé-je, sans lui laisser le temps de parler. J’ai contenu tellement de rancœur à son égard que maintenant que j’ai l’occasion de tout lui balancer, rien ne semble pouvoir m’arrêter. Que tu m’as fait du mal ? Que tu as été injuste envers moi ? Ce n’est pas un scoop, ça, Roxane ! Tu n’as jamais cessé d’être méchante avec moi, de m’insulter, de m’humilier à la moindre occasion ! Pour aucune raison ! Je ne t’avais absolument rien fait, je suis juste venue au monde ! Je vais t’annoncer un truc de dingue, Roxane ! Je n’y suis absolument pour rien ! Et je n’y suis pour rien non plus si ma route à croiser celle des enfants de ton père biologique ! Je n’y suis pour rien si je suis devenue amie avec eux ! Je n’y suis pour rien si j’ai préféré sortir et passer du temps avec eux, plutôt qu’à la maison ! Non, sur ce dernier point, c’est entièrement de ta faute ! A force de me faire rejeter par ma sœur, j’ai été trouver l’amour et l’affection dont j’avais besoin ailleurs ! D’autant plus quand ma sœur m’a également privée de mon frère ! Comme si ça ne te suffisait pas de me pourrir la vie, tu as également retourné Ryan contre moi ! Bien, bravo, la frangine ! Quel bel exemple que tu donnes ! C’est admirable ! Et après tout ça, tu as disparu de nos vies, pour faire la tienne tranquillou à Del Sol Valley, puis autour du monde, à faire le seul truc bien que tu puisses faire : jouer du violon ! Certes, tu donnais des nouvelles aux parents, à Ryan, mais tu n’es jamais revenue pointer le bout de ton nez ! Maman, et encore moins Papa, n’ont pu te voir une dernière fois avant de partir ! Quand nous avions besoin de soutien, tu étais absente ! Tu vivais dans ta bulle dorée, tranquille, dans ton coin ! Où étais-tu quand ils sont morts ? Où étais-tu quand il a fallu organiser leur enterrement ? Où étais-tu quand il a fallu leur dire au revoir ? Absente, comme toujours ! Pour Maman, je peux comprendre, tu as eu des soucis pour venir, mais pour Papa ? Ah oui, pardon, ce n’était pas ton père, à tes yeux! Tu n’as jamais été capable de l’appeler Papa! Alors qu’il s’est occupé de toi, de la même manière qu’il s’est occupé de moi et de Ryan ! Mais, ingrate comme tu es, tu n’as même pas pris la peine de venir à son enterrement, de venir lui dire au revoir ! Tu devais certainement avoir mieux à faire, là-bas, dans ton monde à Del Sol Valley !
-Rosae, je n’ai jamais vécu dans une jolie bulle dorée, tranquille, comme tu dis, bien au contraire. Soupire-t-elle tristement, après que j’ai terminé ma tirade. Elle reste calme cependant, et je réalise qu’elle m’a laissé parler tout du long, sans jamais chercher à se défendre, encaissant ma colère sans broncher, comme si elle s’y attendait.
Comme si elle savait qu’elle le méritait.

Je la regarde avec scepticisme. Que veut-elle dire par là ? Je secoue la tête, incapable de croire ne serait-ce un mot qui sort de sa bouche.
-Ne raconte pas n’importe quoi. J’ai déjà vu tes représentations sur scène à la télévision. Tu as toujours rayonné.
-Ce n’était qu’une image que je me donnais, Rosae. Tu sais bien que ce que l’on donne à voir n’est pas forcément la vérité. M’assure-t-elle en réponse. Pour tout t’avouer, je n’ai pas touché à mon violon depuis la mort de Nick.
-Tu continues à l’appeler par son prénom. Relevé-je avec aigreur. Il t’a adopté, élevé comme sa propre fille, et même maintenant qu’il est mort, tu n’es pas fichue de l’appeler Papa. Tu étais pourtant bien là pour signer les papiers du notaire et toucher ta part de l’héritage.
-Seulement pour ne pas faire traîner la succession. Je n’ai pas touché un centime de l’héritage des parents. Réfute-t-elle en secouant la tête. J’ai tout mis dans des placements au profit de mes neveux et nièces qui se débloqueront à leur majorité. Y compris pour Joy, pour ton information. J’ai pu ouvrir un compte pour elle grâce à Nick, vu qu’il avait procuration là-dessus.
Je suis estomaquée par cette révélation. Je ne comprends absolument rien. Comment Roxane est-elle au courant de l’existence de ma fille ? Comment connait-elle son prénom ? Pourquoi a-t-elle fait ce geste pour elle, alors qu’elle m’a toujours détesté ? Ce n’est absolument pas logique !
-Je… J’ai cru que Papa avait souscrit une assurance-vie pour Joy… J’étais tellement ailleurs que j’ai cru que le virement soudain sur son compte provenait de ça… Murmuré-je, livide. Pourquoi aurais-tu fait ça ?
-Parce que je ne voulais pas de l’héritage des parents, je l’ai réalisé quand Maman est décédée. Mais je n’avais pas non plus envie de vous embêter, toi et Ryan, à le contester. Je n’ai pas d’enfants, alors j’ai décidé que le mieux serait de donner ma part à mes neveux et mes nièces. Ils en auront plus besoin que moi pour bien commencer dans la vie. Et Joy… Elle est ma nièce aussi.
-Je… Je ne comprends pas…
-Je ne veux pas de cet héritage parce que je ne le mérite pas. Tout comme je ne mérite pas d’appeler Nick, Papa. Comme tu l’as si bien dit, j’ai été affreuse et ingrate. Beaucoup plus avec toi, mais aussi avec les parents… J’ai commencé à en avoir conscience à la mort de Maman… Je l’ai privé de derniers moments avec sa fille, juste parce que je ne voulais pas prendre le risque de te voir, juste parce que je voulais fuir la maison. Je m’en suis énormément voulu pour ça, et je m’en veux encore. J’ai été dévastée de manquer ses obsèques. Mais je suis quand même venue, j’ai même été voir Nick à la maison. Tu étais au travail à ce moment-là, et Nick gardait Joy durant ton absence. Nous avons beaucoup parlé et il m’a raconté les derniers événements de ta vie, aussi. A ma demande, pour ta gouverne, car je voulais savoir d’où sortait cette adorable petite tête blonde. Je suis d’ailleurs désolée de ce qui t’es arrivée. Que tu sois tombée enceinte si jeune, pour ton hystérectomie… Et aussi pour ton mariage annulé. Si je n’avais pas été aussi stupide, j’aurais, peut-être, pu être une meilleure sœur et être présente pour toi… Soupire-t-elle finalement, sa voix trahissant les regrets qu’elle semble éprouver.
-Pourquoi n’être pas revenue plus tôt, alors ?

-Parce que j’ai été bête, et que j’ai privilégié ma fierté. Hausse-t-elle simplement les épaules. En fait, il faut que tu saches que j’ai fait un gros travail sur moi-même, ces dernières années… Pour être honnête, j’ai suivi une thérapie. M’avoue-t-elle avec embarras, suite à quoi je ne peux cacher ma surprise. La mort de Maman a réveillé beaucoup de choses chez moi, que j’étais incapable de gérer. Je pleurais n’importe quand, sans raison apparente. J’ai eu une crise de larmes pas possible pendant une répétition, et je ne saurais même pas t’expliquer pourquoi car on jouait un nouveau morceau. J’avais des insomnies, mon alimentation était anarchique. Je pouvais passer plusieurs jours sans quasiment rien manger ou, au contraire, avaler n’importe quoi. Bref, on m’a obligé à aller voir un psy.
-Et du coup si tu es là, c’est parce que ton psy t’a dit de le faire pour le bien de ta thérapie ? Supposé-je en levant les yeux au ciel.
-Non, cela fait plusieurs semaines que je ne l’ai pas vu. Si je suis là, c’est de mon propre chef. M’affirme-t-elle. Mais ma thérapie m’a permis de comprendre plein de choses…
-Lesquelles ?
-Que j’étais en colère. J’ai emmagasiné beaucoup de colère durant toutes ces années… J’étais en colère contre Don Lothario, car il a refusé de nous reconnaître. J’étais en colère contre Maman, car elle a fait des enfants avec un homme marié, car elle n’a pas été totalement honnête avec nous concernant l’identité de notre père biologique. J’étais en colère parce qu’elle a refait sa vie avec Nick et qu’elle recréait une famille avec lui. J’étais en colère parce que tu étais là, que tu avais tes deux parents, contrairement à moi. Je ne comprenais pas pourquoi moi, je ne pouvais pas avoir mon « vrai » père. Alors, je me suis défoulée sur toi, parce que tu représentais tout ce qui me rendait en colère. Je me suis accrochée à Ryan parce qu’il était le seul à être dans la même situation que moi. Comme si nous étions tous les deux contre le reste du monde. J’ai grandi avec cette colère, j’étais aveuglée par elle. J’étais incapable de réaliser cette situation, car faire disparaître cette colère, c’était comme enlever une partie de mon identité. Puis, j’ai fui. J’ai fui mes problèmes, je t’ai fui, toi. A mes yeux, tu étais la cause de mes problèmes et j’étais persuadée qu’en te fuyant, je serais libérée et que je me sentirais mieux. Mais j’avais tort. Mes problèmes, c’était moi qui les créaient. Si j’ai pété les plombs après la mort de Maman, c’est parce qu’au fond, j’ai réalisé que ma vie entière était un mensonge. Un mensonge que je me suis crée de toute pièce. Il m’a fallu du temps pour l’admettre, et encore plus pour me reconstruire ensuite. Il a fallu que j’apprenne à me définir autrement qu’avec cette colère. Si je ne suis pas revue avant, Rosae, c’est parce que j’en étais incapable. Il fallait que je fasse tout ce travail pour… pour réaliser à quel point j’ai été injuste envers toi et que je puisse enfin me tenir devant toi sans risquer de sombrer à nouveau dans mes travers. Je t’ai appelé sur un coup de tête, aujourd’hui, car j’ai ressenti le besoin de te présenter mes excuses, tout au fond de moi. Comme si je sentais que c’était le bon moment pour le faire. Alors, je te le dis maintenant, Rosae… Je suis sincèrement, et profondément désolée pour tout ce que je t’ai fait subir.

Je prends un instant de réflexion. J’ai besoin d’un temps pour réfléchir, pour repenser à ses paroles. Cela me semble tellement surréaliste, tellement que cela casse l’image que j’ai de Roxane. Je sais, au fond de moi, qu’elle dit la vérité. Elle transpire la sincérité par tous les pores et mon cœur se serre à l’idée de ce qu’elle a vécu.
Mais quelque chose me bloque. Quelque chose m’empêche de lui accorder mon pardon.
-Ce… C’est trop facile, Roxane. Secoué-je la tête, ne sachant pas quoi penser de cette conversation. Après tout ce qui s’est passé, tu viens là, du jour au lendemain, m’expliquer tout ça et me présenter ton pardon… Comprends-moi que c’est difficile à digérer.
-Je le comprends, je peux te l’assurer. Me confirme-t-elle dans un hochement de tête.
-D’autant plus que tu n’étais pas là à l’enterrement de Papa. Où étais-tu ?
-Chez moi. Incapable de sortir et de mettre un pied dehors. M’avoue-t-elle en baissant les yeux. Quand Nick est mort, j’ai réellement compris que j’avais tout gâché. Je refusais de sortir, d’affronter un monde où je devais assumer mes erreurs et admettre que j’allais devoir vivre avec ça sans pouvoir revenir en arrière. Nick avait beau m’appeler régulièrement, j’avais honte de m’être mal comportée avec lui aussi. J’avais honte et pourtant, il continuait d’agir normalement, de me parler comme si j’étais sa fille.
-Parce que tu es sa fille, Roxane.
-Je sais. Mais je ne suis pas sûre que je le mérite… C’est pourquoi que je ne pouvais pas sortir de chez moi, et me rendre à l’enterrement de Nick. Parce que j’étais effondrée de ne pas avoir réussi à mériter d’être sa fille. Et je m’en veux tellement pour ça…
-Roxane, ce n’est pas un titre qui se mérite, tu sais ? Lui dis-je, la gorge nouée. Je sens l’émotion m’envahir, mais je fais mon possible pour la retenir. Mon cœur me hurle une chose alors que ma tête crie le contraire. Je suis totalement déstabilisée. Tu es sa fille car il t’a élevé, et aimé comme telle. Il aurait fait n’importe quoi pour toi, de même que pour Ryan et moi. Peu importe tes erreurs.
-Je sais, au fond de moi je le sais. Mais je m’en veux tellement, si tu savais… J’ai tout gâché et rien de ce que je pourrai faire ne pourra rattraper ces années perdues.

Un nouveau silence s’installe entre nous. Roxane respire un grand coup et ferme les yeux, comme si elle se retient se pleurer. Je ne l’ai jamais vu ainsi, aussi fragile et vulnérable. J’ai devant moi une Roxane que je ne connais pas. Une Roxane totalement différente de celle qui m’a malmenée durant toutes ces années…
Pourtant, je suis incapable de déterminer si je dois lui pardonner ou non. Est-ce bien raisonnable ? N’est-ce pas trop tard pour cela ? Reste-t-il quelque chose à réparer, depuis tout ce temps ? En ai-je non seulement envie ?
-Roxane… Qu’est-ce que… Qu’est-ce que tu attends de moi au juste ? Lui demandé-je dans un souffle, après que nous ayons repris toutes les deux nos esprits.
-Je… Je ne sais pas. Me répond-t-elle avec sincérité. Je… Je crois que je n’attends pas grand chose. Honnêtement, je ne sais pas si je me pardonnerais, à ta place. Je suis venue te voir parce que je te devais des excuses. Je ne peux pas changer le passé, et crois-moi que si je le pouvais, je le ferai. Mais aujourd’hui… La seule chose que je peux faire, c’est ça. Mais toi… Tu… Tu fais ce que tu veux. Tu ne me dois absolument rien et je comprendrais que tu ne veuilles pas de moi dans ta vie.
Je me contente d’hocher la tête, avant de me replonger dans mes réflexions. Je suis touchée par son histoire, ainsi que par ses excuses. Mais de quoi ai-je envie, pour nous deux ?

Au bout de plusieurs longues minutes, je finis par me lever en silence. Roxane fait de même, cherchant à contenir ses larmes.
Spontanément, sans me forcer, et pour la première fois de ma vie, je la prends dans mes bras. Elle sursaute de surprise avant de rendre mon étreinte.
-Rosae, je suis tellement désolée pour ce que je t’ai fait subir. Me répète-t-elle sans plus parvenir à retenir ses larmes. Je mentirai si je disais que je n’ai pas les larmes aux yeux.

–Je sais. Je ne suis pas certaine que nous aurons une belle relation fraternelle toutes les deux et j’ignore si nous serons proche, un jour. Il va me falloir du temps, Roxane. Trop de blessures doivent cicatriser.
-Bien sûr, c’est légitime. Je n’attendais pas de miracle.
…
-Roxane ?
-Oui ?

-Je te pardonne.