
Après la fête de Noël, le temps reprend doucement son cours. Joy n’a pas quitté son kit d’apprentis chimiste et s’amuse à montrer les résultats de ses expériences à son grand-père. Cela amuse Papa de la voir ainsi, et je pense qu’elle doit lui rappeler Maman. C’était pas rare qu’elle nous parle de ses expériences à son travail, et il est vrai que l’on retrouve la même passion dans le son de sa voix.
Aujourd’hui, Joy fait d’ailleurs ses premiers pas à l’école. J’ai une boule au ventre en la voyant partir ce matin. Elle lève les yeux au ciel face à mes recommandations et elle part en vitesse. Lorsque je rejoins Papa sur le canapé, je remarque sans peine son air amusé.
-Qu’est-ce qui t’amuse au juste ?
-Toi, on dirait une mère poule. Me répond-t-il en souriant. Et puis, tu étais comme elle à son âge. Mais pas pour les mêmes raisons.
-Comment ça ?
-Toi, tu voulais aller à l’école pour te faire des amis alors que Joy veut apprendre de nouvelles choses. Me précise-t-il.
-Sans doute …. J’espère juste que tout va bien se passer pour elle ….
-Pourquoi voudrais-tu que cela se passe mal ?

-Parce que les enfants ne sont pas forcément tendres entre eux, surtout envers ceux qui sont différents… Soupiré-je, inquiète pour ma fille. Ma fibre maternelle laisse peut-être à désirer, mais j’ai tout de même envie de protéger Joy. Imaginer que des enfants puissent se moquer d’elle à cause de mes erreurs me retourne l’estomac.
-Tu n’as pas à t’en vouloir, tu sais. Comprend aisément mon père. Tu n’as pas choisi cette situation et tu ne peux pas contrôler ce qui va se passer à l’école. Mais… dis-toi que Joy ne se retrouvera pas dans une situation délicate, comme une enfant qui ne connaîtrait pas son père. Si l’instituteur demande qui sont ses parents, Joy saura répondre. A priori, les autres enfants ne remarqueront pas toute suite que notre situation familiale diffèrent de la leur. Et d’ici là, elle se sera fait des amis et elle ne sera pas toute seule en cas d’éventuelles moqueries.
-Tu as peut-être raison … Soufflé-je alors que la sonnette de la porte d’entrée se fait entendre.
-Ah, ça doit être ton frère. Il devait passer. M’informe mon père en se levant du canapé, tandis que je me pers dans mes pensées.
J’essaie de me dire que mon père n’a sans doute pas tort. Mais, je ne saurais l’expliquer, l’inquiétude subsiste en moi, comme si j’avais un mauvais pressentiment. Je me mets à regarder le plafond, priant pour que cette première journée d’école se passe à merveilles pour ma fille.

Papa passe un moment à discuter avec Ryan, tandis que je pars vaquer à mes occupations. Bien que la période des fêtes de fin d’années est plutôt tranquille, j’ai plusieurs événements à préparer pour la nouvelle année. Je suis même sortie faire un tour, espérant trouver l’inspiration pour trouver des thématiques afin d’attirer du monde et de susciter des dons.
A mon retour, Ryan est toujours là, et j’en profite pour passer un peu de temps avec lui.
-Enfin tu sors de ta cachette ! S’en amuse-t-il alors que je m’installe à côté de lui sur le canapé.
-Y’en a qui bosse, que veux-tu ! Tu devrais essayer ! M’empressé-je de répliquer sur le ton de la taquinerie.
-Papa m’a dit que tu t’inquiètes pour l’entrée à l’école de Joy. Ca va aller ?
-Je n’ai pas trop le choix… J’ai hâte qu’elle rentre pour être sûre que tout s’est bien passé. Lui avoué-je alors.
-Ca va aller, j’en suis sûr. Et estime-toi heureuse, tu n’as qu’une fille. Imagine-nous, avec trois enfants qui entrent en même temps à l’école !
-Oui, mais au moins, tes triplés pouvaient compter les uns sur les autres.
-C’est pas faux. Mais Joy a de la ressource, ça compte pour trois !

Après une journée à m’inquiéter pour elle, Joy finit par rentrer de l’école. Sans attendre, elle ouvre son cahier et s’installe à table pour commencer ses devoirs. Elle est concentrée sur ce qu’elle fait, et ne semble pas particulièrement perturbée. Curieuse, et ayant besoin d’être rassurée, je m’installe avec elle à table.
-Ca s’est bien passé aujourd’hui ? Lui demandé-je alors, sans passer par quatre chemins.
-Oui ça a été. Me répond-t-elle simplement, concentrée sur ses exercices.
-Tu… t’es faite des amis ?
-Pas vraiment, non. Me dit-elle en haussant les épaules avec nonchalance. Ils voulaient tous jouer dehors à la neige. J’aime pas le froid, j’ai préféré la bibliothèque. Il y a beaucoup de livres dedans, c’est fou ! Et la bibliothécaire est super gentille, elle m’a dit que je pouvais venir quand je voulais et qu’elle pourrait me conseiller des livres !
-Ah … Euh, c’est chouette … Soufflé-je, ne sachant pas tellement quoi penser des réponses de ma fille. D’un côté, elle ne semble pas avoir passé une mauvaise journée mais de l’autre, j’aimerais qu’elle puisse se faire des amis. Mais les autres enfants ont été gentils avec toi ?
-Bah… Oui mais ils voulaient que jouer, moi je voulais lire au chaud. Mais c’est pas leur truc. Mais je m’en fiche, ils font ce qu’ils veulent.
-Mais, c’est important d’avoir des amis, tu sais….
-Mais je vais aller jouer avec eux si j’ai pas envie de jouer au ballon. Marmonne-t-elle en secouant la tête. Et Maman, j’ai des devoirs à faire. Ca m’intéresse, j’ai envie d’apprendre plein de trucs !
-Bon, je te laisse tranquille alors… Soupiré-je avant de me lever de table pour la laisser travailler, perplexe suite à cette discussion.
Je ne sais pas tellement quoi en penser, puis je tente de me raisonner en me rappelant que ce n’était que son premier jour à l’école. Puis, je sens mon téléphone vibrer dans ma poche. Je le prends aussitôt pour regarder qui m’a envoyé un message, constatant aussitôt qu’il s’agit de Sven.
-Joy, ma puce, ton père souhaite te parler tout à l’heure. L’informé-je alors. Quand tu auras fini tes devoirs, tu pourras aller sur Skype discuter avec lui.
-C’est obligé ? J’ai commencé un livre et j’aimerai le finir. Soupire-t-elle alors.
-Oui ma puce. Il veut savoir comment s’est passé ta première journée d’école.
-Bon, d’accord.

Bon gré mal gré, Joy consent à aller dans le bureau, discuter un peu avec son père par internet. Depuis qu’il est rentré en Suède et que Joy est au courant qu’il est son père, il demande régulièrement à parler avec elle sur Skype, afin de pouvoir faire sa connaissance et être présent dans la vie de sa fille. Ce n’est pas l’idéal, mais c’est mieux que rien. De toute façon, nous n’avons pas de meilleures solutions.
Au début, Joy était plus motivée à parler avec son père, mais très vite, elle s’est lassée de ses discussions. Alors qu’elle acceptait volontiers de parler avec Sven au départ, maintenant, j’ai plus l’impression qu’elle lui parle parce qu’elle est obligée. Cela me sert le cœur, car je ne comprends pas pourquoi elle réagit ainsi. J’ai essayé de lui en parler, mais sans succès. Elle assure que tout va bien et que je me fais des idées.
-Oui Papa, ça a été ma journée… Assure-t-elle à son père, après qu’il lui ait demandé si cela s’était bien passé à l’école.
-Et les autres enfants, ils sont gentils ? L’interroge-t-il ensuite.
-Ouais… Mais ils passent leur temps à jouer dehors, c’est nul.
-Pourquoi tu ne vas pas avec eux ?
-Parce que c’est nul. Moi, je préfère les livres. Et dehors, il fait froid.
-Oh, on voit que tu n’as jamais mis les pieds en Suède. Je suis sûr qu’il fait plus chaud chez toi qu’ici.
-Ouais, peut-être. Hausse-t-elle simplement les épaules. Papa, y’a Papy qui m’a promis de m’apprendre à jouer aux échecs ! Comme ça, je pourrai être aussi forte que Mamie !
-Ah c’est super ça ! Comme ça, tu pourras m’apprendre quand je viendrai, et on jouera tous les deux !
-Ouais… Mais pour ça, faudrait déjà que Papy puisse m’apprendre à y jouer…
-Oh je vois… Je vais te laisser dans ce cas. Comprend-t-il alors, visiblement déçu de voir que Joy ne souhaite pas poursuivre la conversation. Observant la scène avec dépit, je secoue la tête, déçue de l’attitude de Joy. J’étais content de parler un peu avec toi.
-Oui, moi aussi. A bientôt Papa ! S’exclame-t-elle avant de se lever de la chaise de bureau pour sortir rapidement de la pièce. Dépitée, je ne tarde pas à prendre sa place pour m’excuser auprès de Sven. Il semble déçu de ne pas avoir pu parler davantage avec sa fille, mais tente de se montrer compréhensif. Il est vrai que c’est sans doute plus intéressant pour elle de jouer avec son grand-père que de parler avec son père par ordinateurs interposés…

Après avoir abandonné la conversation avec son père, Joy rejoint rapidement son grand-père à l’extérieur, prête à apprendre à jouer aux échecs. Papa semble surpris de la voir si vite arriver, mais ne dit rien. Il se contente d’apprendre les règles de base du jeu et de commencer une partie avec sa petite-fille.
-Je ne m’attendais pas à te voir arrivée si vite. Lui dit-il tout de même au bout de plusieurs minutes. Je croyais que tu devais parler avec ton père.
-Oui, mais moi j’avais envie de jouer aux échecs. Avoue-t-elle en haussant les épaules.
-Joy, ce n’est pas très gentil pour lui. La réprimande-t-il, tout en conservant un ton normal et calme. C’est ton père, et il veut faire partie de ta vie. C’est normal qu’il veuille te parler.
-Il fait ça parce qu’il se sent obligé. Hausse-t-elle les épaules en réponse. Il sait qu’il a une fille alors il veut me parler pour faire semblant qu’il s’occupe de moi.
-Joy, tu peux pas dire ça. Tu sais bien que la situation est plus compliquée que ça.
-Ouais, peut-être. Marmonne-t-elle, en se concentrant sur l’échiquier. En attendant, il vient jamais ici.
-C’est… compliqué ma puce. La Suède, c’est loin d’ici et il ne peut pas …
-Quand on veut, on peut. Se contente-t-elle de répliquer. Échec et mat Papy !!
-Oh… J’ai rien vu venir… Bravo ma grande !

Suite à sa conversation avec Joy à propos de Sven, Papa m’en a évidemment parlé. Vraisemblablement, Joy en veut à son père de ne pas être plus présent, physiquement, auprès de nous. Il est difficile de lui en vouloir : comment peut-elle créer des liens avec son père, sans passer véritablement de temps avec lui ? Il ne m’a pas fallu plus de temps pour en parler avec lui, pour qu’il sache ce qu’il se passe dans la tête de sa fille et que nous essayons de trouver ensemble une solution plus adaptée. Il m’a promis d’y réfléchir et m’a annoncé avoir posé des jours de congés : bientôt, il sera de retour parmi nous !
Et son retour n’a pas tardé : nous n’avons pas encore fêté la nouvelle année que Sven est de nouveau à Willow Creek. Il n’a pas reçu un accueil chaleureux de la part de Joy, mais nous restons optimiste. Nous pensons qu’il faut lui laisser le temps de s’attacher à son père.
Ce soir, Sven m’a proposé d’aller au restaurant, tous les deux. Cela nous permettra de discuter de notre avenir, à tous les trois. Il m’a semblé bien sérieux d’un coup, mais je n’ai pas pu refuser. Il s’agit, après tout, du but principal de sa visite.
Une fois devant le restaurant, je suis surprise de son choix : nous sommes dans le restaurant de Magnolia Promenade, juste à côté du cinéma. Celui où nous sommes allés il y a quelques années. Celui qui a vu les débuts de notre histoire. Je suis émue en repensant à ces souvenirs, mais si je me rappelle bien, la nourriture était … particulière. C’est surprenant qu’il ait voulu revenir ici.

En vérité, pour être tout à fait honnête, je dois avouer que je ne suis pas particulièrement à l’aise face à lui, en tête à tête. Je vois bien ses regards plein d’amour et d’espoirs. Ce sont des regards que je connais bien : il me regardait de la même façon lorsque nous étions adolescents. A l’époque, ils me provoquaient des papillons dans le ventre. Aujourd’hui, ils me mettent mal à l’aise. Je tente de faire bonne figure en examinant le menu, cherchant désespérément un plat qui me fasse envie, parmi tout ceux au nom bien étrange.
-Tu trouves ton bonheur ? Me demande alors Sven, en m’affichant un merveilleux sourire. Je tente de le lui rendre, mais j’ai l’impression d’être ridicule.
-Je ne sais pas trop… J’ai bien peur que ce soit toujours bizarre que dans mon souvenir.
-Laisse-leur une chance : peut-être que leurs plats salés sont meilleurs que leurs desserts !
-Espérons. Lui souris-je, pour ensuite passer commande auprès du serveur.

La discussion poursuit son cours, Sven se révélant être très bavard. Il m’interroge sur mon travail et parle avec passion du sien. De temps à autre, il me parle de sa famille, de ses amis. Visiblement, sa vie en Suède est palpitante et il n’a pas le temps de s’ennuyer. Parmi ses activités, je trouve quand même admirable qu’il parvienne à trouver du temps pour parler avec Joy sur Skype. Il essaie de s’investir dans sa vie et je vois bien qu’il s’est attaché à elle, qu’il veut bien faire.
Mais la situation est loin d’être simple et plus la soirée passe, plus j’ai l’impression qu’il tente de me faire passer un message. Mon malaise grandit et j’avoue que j’abuse un peu du jus de fruit pour me donner du courage. Ce n’est pas raisonnable, je suis même très probablement paranoïaque.
-Tu as déjà été en Suède, Rosie ? Me demande brusquement Sven, me faisant avaler ma gorgée de travers. Je manque de m’étouffer, désarçonnée par sa question. Elle semble anodine, mais mon instinct me dit qu’elle cache autre chose.

Le serveur finit par arriver, pour nous donner nos plats. Je lui lance un regard reconnaissant, comme s’il venait de me sortir d’une mauvaise passe. Mon regard se focalise sur mon assiette, et je suis rapidement sceptique face à son contenu. Autant, je reconnais rapidement le morceau de saumon, autant le reste demande encore à être identifié.
-C’est toujours aussi bizarre que dans mon souvenir. Remarqué-je alors, affichant un fin sourire, aussitôt partagé par Sven.
-J’avoue que j’avais oublié que c’était aussi bizarre leur plat. Ricane-t-il ensuite, affichant une moue désolée. En tout cas, je peux te garantir qu’en Suède, je n’ai pas encore trouvé de restaurant semblable à celui-ci.
-Je trouve que tu parles beaucoup de la Suède, ce soir. Lui fais-je alors remarqué, avec une moue suspicieuse.
-Oh euh… C’est juste que je trouve que c’est un pays formidable… Je pense qu’il pourrait te plaire, et à Joy aussi …
-Et pourquoi te mets-tu à penser à ça ?
-Eh bien… Joy me reproche de ne pas être assez présent dans sa vie. Alors, je me dis qu’il faudrait, envisager, un jour, de nous rapprocher. Et vivre en Suède pourrait être une possibilité. M’avoue-t-il doucement, comme s’il marchait sur des œufs.
-Euh, on verra. Marmonné-je, terriblement gênée, alors que son regard semble encore plus amoureux. J’ai l’impression qu’il espère que nous venions vivre avec lui, en Suède. J’avoue ne m’être jamais posée la question. Notre avenir est incertain, j’ignore jusqu’à quel point il souhaite s’engager auprès de nous. Je n’ai aucune envie de me casser les dents et me retrouver dans un pays dont j’ignore absolument tout…

Le repas se termine tranquillement. C’est avec soulagement que je termine mon assiette et que je vois l’heure de rentrer chez moi se rapprocher de plus en plus. La compagnie de Sven est agréable, mais la conversation dérive sur une pente un peu trop glissante à mon goût. De plus, les jus de fruits commencent à me monter à la tête et j’ai du mal à réfléchir. J’aurais peut-être du modérer un peu plus ma consommation.
Une fois nos assiettes vides, nous nous levons de table, prêts à partir. Sven se rapproche néanmoins de moi, me souffle qu’il passe une merveilleuse soirée en ma compagnie. Il me prend tendrement dans ses bras pour venir m’embrasser, avec tout l’amour dont il est capable.
Quant à moi, je me laisse faire. Le baiser est agréable, surtout avec l’esprit embrouillé, mais je ne peux m’empêcher de me dire que la situation n’est pas naturelle.

Lorsqu’il libère mes lèvres, j’avoue que je ne comprends plus ce qu’il se passe. Sven est de plus en plus bizarre. Il ne lâche pas mes mains et me regarde avec une tendresse infinie. Cela me touche, mais quelque chose cloche sans que je ne puisse dire quoi.
-Rosie… Je… Je dois t’avouer un truc…
-Quoi donc ?
-Je… Je t’aime. Me souffle-t-il avec douceur. Durant toutes ses années, je ne t’ai jamais oublié. Mes amis ont bien essayé de me faire sortir et rencontrer du monde, je n’ai jamais réussi à te retirer de ma tête… De mon cœur. Quand je t’ai revu, à San Myshuno, et que tu m’as annoncé par la suite que nous avons une fille, j’ai pris cela pour un signe du destin…
Je lui souris face à sa déclaration. Elle toucherait n’importe qui ayant un cœur. Je sais que je l’ai énormément aimé, à l’époque. Aujourd’hui, il conserve une place particulière dans mon cœur, et c’est la seule certitude que je peux avoir à jour, dans mon esprit tout embrouillé. Je m’apprête d’ailleurs à lui répondre, quand il fait un truc complètement insensé ….

Sven pose un genou à terre. Là, devant tout le monde, sans me quitter du regard. Je suis complètement interloquée par la situation. Mais que fait-il ? Pourquoi se met-il à genou ? Mon cœur bat à mille à l’heure. Est-ce par anticipation ou est-ce à cause du stress ? Je ne sais plus du tout. Je ne comprends rien à ce qu’il se passe !
-Sven ?! Mais qu’est-ce que tu fais ?
-Rosie, je suis convaincu que tu es la femme de ma vie. M’avoue-t-il en toute sincérité. Ces derniers jours, ça a été une torture de vivre sans toi, et sans Joy. J’aimerais que nous vivions ensemble, tous les trois, que nous formions une famille. J’aimerais que vous me rejoigniez, en Suède. Je sais que c’est compliqué, que tu ne peux pas partir comme ça, sans aucune garanti… Mais, je te garantis que je t’aime, que je veux vieillir avec toi. Je veux élever Joy avec toi. Je… Je veux d’autres enfants avec toi. Poursuit-il, évoquant un à un ses projets, alors que mon cœur se serre. Je ne peux m’empêcher de repenser à ma stérilité, dont il n’est pas au courant. Et voilà qu’il m’annonce vouloir d’autres enfants… Mais… Où veut-il en venir au juste ?

Et là, il sort une bague de sa poche. Une magnifique bague… de … fiançailles. Je louche aussitôt dessus, mon cerveau est en arrêt, ayant du mal à assimiler les informations qui se présentent à lui. Sven est-il réellement en train de faire ce que je pense ? Mais… Pourquoi ? Je ne comprends pas…
-Rosie, je veux faire ma vie avec toi. J’aimerais que tu me rejoignes à l’autel, dans une magnifique robe blanche, et que tu me dises oui pour la vie. Rosie, acceptes-tu de venir vivre avec moi, pour former notre propre famille ? Acceptes-tu de devenir ma femme ?

Oh… Mon… Dieu…
Le temps semble suspendu, attendant ma réponse pour reprendre son cours. Je suis totalement déstabilisée. Je ne m’attendais absolument pas à ce qu’il me demande de l’épouser, et de vivre avec lui. En Suède. C’est complètement insensé. C’est de la folie. Mais que suis-je censée répondre, au juste ?
Je n’ai même pas le temps de la réflexion, en plus. Je sens le regard du serveur peser sur moi. Je sens aussi que tous les autres clients du restaurant sont suspendus à mes lèvres, intéressés de savoir la suite des événements.
Quant à moi, je suis totalement perdue. Je ne sais pas ce que je veux. Ai-je envie de tout quitter pour partir vivre avec lui ? Ai-je envie de l’épouser ? Ai-je envie de tout ce qu’il me propose ?
Je l’ignore. Je suis perdue…
Puis, je pense à Joy. A Joy, qui ressent l’absence de son père. A Joy qui aimerait avoir un père plus présent. A Joy, qui voudrait sans doute vivre avec son père, pour ainsi pouvoir se rapprocher de lui.
Peut-être que, pour le bien de Joy, le mieux est de créer notre famille….
-Sven… C’est… C’est inattendu…
-Je sais. C’est peut-être un peu rapide. Mais je suis sûr de moi. Alors, pourquoi attendre ? Alors que nous avons perdu autant de temps ?
-Sven, je… Bredouillé-je, perdue, avant de finalement soupirer. Oui… C’est d’accord… Je veux bien t’épouser.

Instantanément, je vois le regard de Sven s’illuminer. Je lis tout le bonheur, toute la joie qu’il doit ressentir en cet instant. Un immense sourire s’affiche sur son visage. Sans aucun doute, il s’agit du plus beau jour de sa vie. Il semble tout d’un coup soulagé, libéré d’un poids, heureux de ma réponse. Je me mets à comprendre et compatir. Il est revenu de Suède avec l’idée de me demander de l’épouser, de tout quitter pour lui, pour nous. Depuis tout ce temps, le stress devait le ronger de l’intérieur, craignant une réponse négative de ma part. Maintenant que j’ai dit oui, le voilà libérer de ce poids, allégé par le bonheur d’un mariage imminent et la promesse d’un avenir merveilleux.
Pourtant, quand je glisse sa bague sur mon doigt, elle me semble peser une tonne.

Tandis que ma main tremble, Sven se relève, affichant toujours le même air heureux. Il ne tarde pas à m’embrasser, me transmettant tout l’amour qu’il a pour moi. Mon malaise grandit, j’ai l’impression que je vais tomber dans les pommes.
-Je suis si heureux, tu ne peux pas l’imaginer. Me susurre Sven, alors que j’affiche un sourire de façade. Je me sens monstrueuse. Tu verras, nous aurons une belle vie tous les trois. Je ferai tout pour.
-Je… J’imagine oui. Bredouillé-je avec un sourire timide, sonnant terriblement faux. Un trouble qu’il doit sans doute mettre sous le coup de l’émotion.
Mais qu’est-ce que j’ai fait ?