Le temps suit son cours et poursuit son œuvre. Petit à petit, je me sens mieux. Sven me manque toujours mais je pense qu’il occupera toujours une place particulière dans mon cœur. J’ignore si un jour, j’arriverai à l’oublier complètement, mais je suis sûre d’une chose : j’apprendrai à vivre avec son absence. Je vais mieux petit à petit et ma nouvelle occupation n’y est pas étrangère ! J’ai été prise dans l’association et j’ai commencé à travailler peu de temps après cette bonne nouvelle.
Ce travail se révèle passionnant et je me sens utile au milieu de tous ces gens intéressants. Je rencontre des personnes différentes et intéressantes et cela me fait un bien fou. Mes collègues sont tous sympathiques -oui, il y a même des hommes dans ma branche, comme quoi, rien n’est perdu d’avance dans notre lutte pour l’égalité entre les hommes et les femmes ! Ils m’ont accueilli à bras ouverts et ont pris le temps de m’expliquer l’organisation dans l’association, son historique, les actions menées au quotidien et les manifestations à venir. C’est passionnant et je sens que je vais me plaire ici !
Aujourd’hui, nous nous sommes rendus dans des collèges pour sensibiliser les élèves aux droits des femmes et à l’égalité entre tous les êtres humains. Nos avons organisé des ateliers et les adolescents ont eu l’air réceptifs. Cette journée est tellement gratifiante !
Puis, je reçois un appel de Paul. Il me propose de le rejoindre au parc de Willow Creek. Il souhaite me parler et apparemment c’est important.
Alors, en sortant du travail à San Myshuno, je me dépêche d’aller au parc pour rejoindre mon ami. Il m’a manqué, cela fait tellement longtemps que je l’ai pas vu !

-Hey Paul ! Cela me fait plaisir de te voir ! Le salué-je joyeusement en le serrant dans mes bras.
-Salut Rosie, je suis content de te voir aussi. On va s’asseoir ?
-Je te suis !

Je le suis donc jusqu’à une table de pique-nique. Le temps est agréable et c’est sympathique de se retrouver ici, à l’extérieur en cette fin d’après-midi.
-Alors ? Comment vas-tu ? Ca fait un bail que je t’ai pas vu !
-Je vais bien. Et toi ? Comment te sens-tu avec le départ de Sven ? Me demande-t-il, inquiet à mon égard.
-Je fais avec. Soupiré-je. Mais ça va mieux, je crois. Et comme mon nouveau boulot me passionne, ça m’aide à penser à autre chose.
-Je suis ravie pour toi Rosie… Ca m’a fait mal au cœur de savoir que tu n’allais pas bien…
-C’est… gentil. Mais c’est derrière moi maintenant, je pense. Et toi ? Quoi de neuf ? Changé-je aussitôt de sujet. Tu m’as dit que tu avais quelque chose à me dire et cela avait l’air important.

-Tu n’as pas changé. Toujours à aller droit au but ! S’en amuse-t-il en réaction à ma question. Néanmoins, il semble nerveux et malgré tout l’effort qu’il met à le cacher, je n’ai aucune peine à le voir.
-Que veux-tu ! Je suis une grande curieuse et impatiente en plus de ça ! M’en amusé-je, en essayant de ne pas trop m’inquiéter quant à sa nervosité. S’il a quelque chose de vraiment important à m’annoncer, cela explique sans doute son stress. Sans doute craint-il ma réaction alors, je tâche de paraître sereine et bienveillante. Peut-être que cela le rassurera. Alors ? Cette nouvelle ?
-Eh bien… J’ai décidé de faire un tour du monde. M’avoue-t-il finalement.

-Pardon ?! Laissé-je échapper, surprise par son annonce. Paul va faire un tour du monde ? Il va partir ?
J’ai du mal à y croire. Lui, si discret d’habitude, va partir à la découverte du monde ? Il est bien la dernière personne que j’aurais imaginé partir …. Et cela me fait un choc. Après avoir perdu Sven, je perds maintenant un ami…
-Je pars faire un tour du monde. Répète-t-il patiemment mais d’une voix plus assuré. Il semble tellement sûr de lui lorsqu’il dit ça, et plus apaisé maintenant qu’il me l’a dit à voix haute.
-Mais… Pourquoi ? Pendant combien de temps ?
-Je… J’ignore quand je reviendrai… J’ai juste besoin de partir en fait. Soupire-t-il dans un haussement d’épaules. Je… C’est… C’est le bordel dans ma vie en ce moment, que ce soit à la maison ou autre… T’imagine pas à quel point c’est le bazar et j’ai besoin de m’éloigner, pour faire le point… Pour découvrir autre chose, aussi.
-Donc, tu fuis ?

-Je ne dirai pas ça comme ça. Mais comme je t’ai dit, j’ai besoin de prendre du recul. Me corrige-t-il calmement, en me souriant gentiment. Et c’est un rêve de gosse de voir ce qu’il se passe en-dehors de nos frontières alors je me dis que c’est le moment ou jamais. J’ai l’intention de prendre le temps dont j’ai besoin, d’où le fait que je ne sais pas combien de temps je pars… Ni même si je vais revenir un jour, pour ne rien te cacher. Toutes les options sont possibles et je ne suis pas encore décidé.
-Je… vois… Essayé-je d’encaisser la nouvelle. L’un de mes meilleurs amis s’en va, pour une durée indéterminée. Cela me fait tout drôle, mais je n’ai pas mon mot à dire. Si c’est ce que tu veux, je te souhaite un bon tour du monde… Mais tu as intérêt à m’envoyer des photos !
-Pas de problème ! Ne peut-il s’empêcher de rire.
-Ta famille a réagi comment à la nouvelle ? Lui demandé-je ensuite, soudainement inquiète pour mes amis, Pierre et Caroline.
-Ma mère l’a bien pris. Elle me soutient et m’assure qu’elle m’enverra de l’argent pour que je puisse subvenir à mes besoins… Quant à mon père… C’est tout le contraire. Soupire-t-il, son regard se faisant plus sombre. Il dit que j’abandonne la famille et que je devrais avoir honte. Un comble, quand on sait comment il occupe son temps libre. Ajoute-t-il en serrant le poing. Il n’a pas besoin d’en dire plus pour que je comprenne. Les infidélités de son père ne sont plus tellement un secret et mon cœur se serre à cette pensée. Je ne peux m’empêcher de penser à Roxane et Ryan, fruits de ses écarts de conduite. Mais il peut bien dire ce qu’il veut, je m’en fiche. Je suis adulte et il n’y a rien de mal à faire un tour du monde. Pierre m’encourage et Caro m’a fait promettre de lui écrire régulièrement.
-Ca ne m’étonne pas d’eux. Lui souris-je alors, en faisant référence à son frère et à sa sœur.

Les semaines passent. Paul s’est envolé vers d’autres horizons, sans manquer de me dire au revoir avant de partir. J’ai eu la gorge noué, mais je me suis reprise. Nous avons grandi et il est normal que chacun suive sa route. J’ai décidé de rester, il a souhaité partir. J’espère juste qu’il sera heureux, durant son voyage. Et peut-être qu’un jour, il reviendra et nous nous reverront à ce moment-là.
Quant à moi, je poursuis ma route. Je me donne à fond dans mon travail. C’est vraiment enrichissant et je m’épanouis de plus en plus dans l’association. Je découvre aussi San Myshuno, qui est vraiment un lieu incroyable. Peut-être qu’un jour je viendrai vivre ici, pour me rapprocher de mon travail… Mais pas toute suite. Je suis bien chez mes parents et je ne me sens pas encore prête à les quitter. J’ai perdu trop de personnes à mon goût ces derniers temps, j’ai encore besoin de stabilité … Et je n’ai pas non plus assez d’économies pour me permettre de prendre un appartement toute suite !

En attendant, je profite de mon petit quotidien. En ce moment, je profite du beau temps pour aller dans la rue et faire connaitre l’association. Plus de gens nous connaîtrons, plus nous pourrons agir. Nous pourrons faire passer nos idées, faire réfléchir sur nos problématiques, et aider les femmes en difficulté.
Alors, même si je me sens parfois seule avec mon panneau en plein milieu de la place du quartier des épices, je reste motivée. Je sais que je ne fais pas tout ça pour rien.
Ma mère est fière de mon travail, et elle est même émue. Elle m’a avoué que ma grand-mère, sa mère, s’était elle-aussi engagée dans l’association, en son temps. Elle s’était même lancée en politique et est devenue la première femme à diriger notre monde ! Quand j’ai raconté ça à mes collègues, ils n’ont pas voulu me croire avant de ressortir de vieilles coupures de journaux. Le nom Opaline n’est pas très répandu et ils ont se rendre à l’évidence : ils travaillent avec la petite-fille d’une femme importante !

Mais je crois que j’en fais un peu trop. Ou que je frôle l’insolation à être tout le temps dehors en plein soleil. J’oublie un peu vite que nous sommes en été et que le soleil tape fort. Je frise le coup de chaud et j’inquiète ma mère avec mes nausées. Elle essaie de me convaincre de mettre un chapeau mais j’ai horreur d’avoir un truc sur la tête !
En plus, je me sens un peu ballonnée, depuis quelques temps. En découvrant San Myshuno, j’ai aussi découvert différentes spécialités culinaires et je crois que j’ai un peu abusé. J’ai même du demandé un tee-shirt plus grand à l’association tellement j’ai pris du poids !
Il va peut-être que je me calme sur les samoussas … Ou que je me remette au sport aussi. Je me suis un peu trop encroûtée !

Malgré mes bonnes résolutions, je n’ai pas pu m’empêcher de m’arrêter à un stand de nourriture en sortant du travail. Mon ventre crie famine et je ne peux pas résister à ces bonnes odeurs en rentrant chez moi. Le stand se trouve sur le chemin vers la gare aussi ! Tout est fait pour me faire craquer !
En même temps, j’ai tout le temps faim en ce moment. Je soupire devant mon assiette.
Je crois que j’essaie de compenser, en fait.

En quelques mois, j’ai perdu Sven, puis Paul… Fini ma vie de petite adolescente, bonjour la vie d’adulte et ses bouleversements. Du coup, je mange, comme pour compenser et m’aider à vivre ces étapes et à passer à autre chose.
Cela me déprime subitement. La nourriture n’est pas une solution, j’en ai bien conscience. Par moment, je suis nostalgique de ma vie passée, même si j’avais Roxane sur le dos. Je crois qu’elle était plus facile à supporter que ce que je vis maintenant.
En même temps, je l’ai toujours connu insupportable. Je me demande bien ce qu’elle devient maintenant, mais j’avoue que je ne prends même pas la peine de prendre de ses nouvelles. A vrai dire, je m’en fous. Elle n’en prend pas non plus, à ce que je sache.
Je soupire une nouvelle fois en fixant mon assiette vide. Je suis incorrigible. En plus, je crois que j’ai trop mangé, j’ai mon ventre qui se tord dans tous les sens.