Je pensais que le fait de lui dire au revoir serait horrible. Je pensais que ce serait le plus dur et qu’une fois les adieux passés, la suite serait plus facile.
J’avais tort.
Les jours passent depuis le départ de Sven pour la Suède. Il m’a envoyé un message avant de monter dans l’avion, où il me remerciait d’avoir rendu son séjour magique et que jamais il ne m’oublierait. J’ai souris, sur le coup, avant de me rappeler que je ne le verrai plus jamais.
Son absence est horrible. Avant son départ, nous nous sommes vus tous les jours, ou presque. Il était tout le temps là pour moi, et je n’avais qu’à appeler pour le voir.
Maintenant, tout cela est fini. J’ai conscience qu’il n’est plus là, proche de moi, mais à l’autre bout du monde.
Et c’est affreux.

J’ai l’impression d’avoir un trou béant dans la poitrine. Un trou qui s’accroît de jour en jour, toujours un peu plus.
Au début, nous discutions par mail, comme avant, comme lorsque nous nous sommes rencontrés. Nous pensions que cela nous aiderait à mieux vivre la situation. Grave erreur.
C’était encore pire. Nous parler sans pouvoir nous voir. Autant pour lui que pour moi.
Alors, nous avons décidé de ne plus nous parler. De ne plus rester en contact.
La décision a été horrible à prendre. C’est comme arracher un sparadrap. D’un coup sec. Sans à-coups. Souffrir un bon coup pour aller mieux.
C’est censé être bref, mais cela m’a paru être une éternité.

Je passe mes journées sur mon lit, en pyjama. C’est à peine si je prends le temps d’aller prendre une douche. Mes parents me forcent à descendre pour venir manger. Je n’ai pas faim, mais je m’oblige à avaler un peu de nourriture pour ne pas me laisser dépérir.
Puis, je retourne dans ma chambre, sur mon lit. J’essaie de dormir.
Le sommeil est mon meilleur ami. Cela fait passer le temps plus vite. On dit que le temps répare les blessures et je n’ai qu’une hâte : que le temps fasse son travail.

Malheureusement, j’ai l’impression que le temps passe lentement, trop lentement. Le manque ne s’estompe pas, il persiste et s’intensifie. Je suis toujours dépitée lorsque je me réveille et que je remarque que rien n’a changé. Comme si j’espérais un miracle et que tout disparaisse en un simple claquement de doigts.
Mais, cela ne fonctionne pas comme ça. Alors, parfois, je tente de faire un effort et de me lever de moi-même, sans que l’on vienne me chercher.
Il faut bien continuer à vivre… Ou du moins essayer.

Je ne fais pas grand chose de mes journées. Lorsque je sors de ma chambre, c’est pour aller dans la salle de bain ou dans le salon… Pour manger un peu. Lors de mes excursion, je vois mes parents, toujours présents. Je me demande s’il leur arrive de sortir un peu de la maison. J’ai l’impression qu’ils restent sans cesse ici depuis que Maman est à la retraite. Je culpabilise un peu car j’ai l’impression que c’est de ma faute s’ils ne profitent pas de leur retraite. Comme s’ils avaient peur que je fasse une bêtise s’ils avaient le malheur de mettre un pied dehors.

Après le départ de Sven, j’ai été obligée de tout avouer à mes parents. Ils ont remarqué sans problème mon changement d’attitude et ma mère ne m’a pas lâché jusqu’à ce que je lâche le morceau. A bout nerveusement, j’ai tout avoué. Ma relation avec Sven, mes choix amoureux, le harcèlement que je subissais sur internet… Elle a été d’une grande écoute et d’un soutien immense. Elle me laisse de l’espace quand j’en ai besoin, et elle se montre présente quand elle le juge nécessaire. Je sens mon père plus maladroit et moins à l’aise, mais je ne lui en tiens pas rigueur. Je sais que cela le perturbe plus qu’il ne veut l’admettre de voir sa fille malheureuse. Et qu’il voit aussi que ma mère assure comme une cheffe, comme si elle avait toujours fait ça.

Je mentirai si je disais que cela me fait pas du bien de lui parler. Cela me permet d’extérioriser mes démons. Puis, elle essaie de me rassurer, en m’assurant que cela va passer, que tout finira par aller mieux. Elle m’assure également qu’elle a fait le nécessaire pour le harcèlement que je subissais en ligne. J’ignore ce qu’elle a bien pu faire et je ne peux que la croire sur parole. Je ne suis pas retournée sur les réseaux sociaux depuis le départ de Sven.
Mais je connais ma mère. Si elle me dit qu’elle s’en est chargée, c’est qu’elle a pris un malin plaisir à défendre sa fille. Après tout, à une époque, elle traînait beaucoup sur des forums et elle maîtrise les codes d’internet grâce à ça.

Petit à petit, j’essaie de participer aux tâches de la maison. Je vis ici et pour le moment, je n’ai pas forcément envie de partir et de me trouver un logement. Je n’ai même pas de travail et pour le moment, je ne me sens pas la force de trouver quelque chose.
Alors, je fais ce que je peux pour ne pas non plus être un poids pour mes parents. Je leur cause déjà du soucis, alors je ne veux pas en rajouter une couche… Alors, doucement, je sors de ma chambre pour participer aux tâches ménagères, pour faire la lessive par exemple.

Pendant que je commence à sortir un peu plus de ma chambre, mes parents osent également sortir de la maison. Ils ne quittent pas le terrain, mais ils profitent de la terrasse devant la maison pour jouer aux échecs. Je crois que c’est cette passion qui les a rapproché, au départ… Cela doit leur rappeler leur jeunesse, je pense.
J’ignore qu’est-ce qui les ont motivé à profiter de l’extérieur. L’été est arrivé mais je doute que ce soit la saison la cause de ce changement. Il fait généralement plus frais à l’intérieur qu’à l’extérieur…

Un jour, je croise mon reflet dans le miroir. J’ai une tête à faire peur et mon allure fait pitié. Lorsque je me regarde, je ne vois qu’une pauvre fille qui pleure pour un mec. J’ai été harcelée et dénigrée, des filles meurent à cause de ça, mais non, je m’apitoie sur mon sort parce que Sven est rentré chez lui. Je ne ressemble plus à rien et je ne suis plus que l’ombre de moi-même.
Je suis dépitée face à mon reflet. L’image que mon miroir me renvoie ne me correspond pas. Je ne me reconnais plus…

Je respire un grand coup. J’essaie de rassembler mes idées. Je ne peux pas continuer comme ça. Ce n’est pas en restant enfermée dans ma chambre et en ne faisant rien de mes journées que j’irai mieux.
Alors, il faut que je me bouge. Quitte à me forcer, à me donner un coup de pieds aux fesses à moi-même. Il faut que je sorte et que je vois du monde. Il faut que j’occupe mon esprit et que je pense à autre chose qu’à Sven et son absence.
-Aller Rosie, tu peux le faire! Tu peux te sortir les doigts des fesses ! Tenté-je de me motiver, face au miroir.

Petit pas par petit pas, j’avance doucement. Et je me rends compte que j’ai déjà commencé à aller mieux, avant de décider de me bouger. C’est sans doute pour cela que mes parents ont commencé à prendre plus de liberté.
Je poursuis donc mes efforts, et cela commence par mon apparence. Je ne peux plus passer ma journée en pyjama alors je recommence à m’habiller et à me coiffer. La canicule étant bien installée, ce n’est pas bien compliqué de remplacer mon pyjama par des tenues légères. Petit à petit, la Rosae que tout le monde connait refait surface et je dois avouer qu’elle m’avait manqué, à moi aussi.
Puis, je me mets à chercher un travail. Je ne sais pas trop quoi faire de mes dix doigts, alors je ne suis pas très exigeante dans mes recherches. Jusqu’au jour où je suis tombée sur une offre qui m’ait apparu comme une évidence. Une place s’est libérée dans une grande association locale qui promeut l’égalité. Elle a plusieurs branches d’action et la présidente de l’association cherche quelqu’un dans la branche féministe. Je n’ai pas attendu davantage pour appeler et proposer ma candidature. Cette offre est arrivée comme un signe du destin, comme une route qui s’ouvre en toute logique face à moi.

Nous discutons pendant un moment avec la présidente et elle semble très intéressée par mon profil. Elle me rappellera mais je reste confiante. Ce n’est pas le travail le mieux payé du monde mais je m’en fiche. Je veux agir pour aider les autres et agir pour faire changer les mentalités. Et peut-être qu’un jour, plus aucune femme ne subira ce que j’ai vécu.
Pendant le déjeuner, ma mère me regarde avec un sourire. Je crois qu’elle a remarqué ma bonne humeur. Je pense que me voir reprendre du poil de la bête lui fait du bien. Cela me soulage de savoir qu’elle ne s’inquiète plus pour moi.
-Dis moi ma fille, commence-t-elle à me dire avec un regard complice, ça te dirait qu’on se fasse une après-midi au spa entre mère et fille ? J’ai déjà emmené ta sœur et je me suis toujours promis de t’y emmener toi aussi. Et je pense que cela te fera du bien, après cette mauvaise période…
-Bah, pourquoi pas. Accepté-je en lui offrant un sourire. Je vois ses yeux pétillés. Je crois qu’elle est heureuse de me voir sourire, à nouveau. Un sourire même pas forcé en plus, car je suis sincèrement ravie de passer une après-midi juste avec ma mère.
Et je suis d’accord avec elle : cela me fera du bien.

Après avoir terminé la vaisselle, nous partons donc toutes les deux au spa de Newcrest. Je découvre les lieux avec curiosité alors que ma mère semble être comme chez elle. Je la soupçonne y être retournée toute seule, ou avec Charlotte, lorsque nous avions le dos tourné… Mais avec raison. Avec nous trois à élever, cela devait lui faire du bien de venir ici se détendre. Surtout à cause des conflits qui nous liaient, Roxane et moi.

Ma mère décide de m’offrir un massage. En regardant sur les prix, je suis un peu gênée et elle ne me laisse pas d’autres choix que d’accepter. Si nous sommes venues ici, c’est parce qu’elle veut me faire plaisir. Je n’ai pas d’autres mots à dire que de choisir quel type de massage je souhaite. J’essaie de la convaincre de participer, mais elle refuse. Elle me dit que je n’aurais qu’à emmener mes filles, si j’en ai un jour.
Je souris pour la forme, mais pour le moment, avoir des enfants n’est pas dans mes objectifs.
Mon sourire se transforme d’ailleurs rapidement en grimace car le massage n’est pas forcément toujours agréable sur le coup. Mais une fois celui-ci terminé, je ne peux qu’admettre que je suis totalement détendue.

Après le massage, nous profitons ensuite du sauna. Il n’y a pas grand monde mais nous sommes en semaine. La plupart des gens travaillent à cette heure-ci. Et bientôt, ce sera peut-être aussi mon cas. J’ai la sensation qu’une nouvelle vie est en train de s’ouvrir à moi.
Mais avant d’entamer une existence trépidante, je profite encore un peu de moment privilégier avec ma maman.